Pièce qui devait le propulser du jour au lendemain au faîte de la gloire, La ménagerie de verre de Tennessee Williams reste l’une de ses plus belles œuvres. Qu’on l’ait vu une ou cinq fois sur scène, on ne peut s’empêcher d’éprouver une tendresse certaine pour ces pages, portrait à peine décoloré d’une Amérique révolue. Le metteur en scène Yan Rompré en a tiré un objet finement ciselé, chaque élément – que ce soit scénographie, costumes, mise en scène ou choix de la distribution – ayant été pesé, assumé, poli jusqu’à ce que la lumière puisse le traverser de part en part.
Métaphore de la représentation, la pièce se décline comme un hymne à l’imaginaire. Tom écrit des poèmes dans son petit carnet et ne pense qu’à voir le monde, comme Williams lui-même. L’ancienne belle du Sud Amanda refuse de voir terni le souvenir de tous ces prétendants. Laura invente des destins à ses bibelots de verre.
La scénographie et les costumes de Geneviève Lizotte transposent idéalement cet état de rêve à demi-conscient, le bleu-gris (qui peut évoquer la nostalgie aussi bien que l’heure bleue de l’aube) se retrouvant aussi bien sur la chemise de Tom, la robe de Laura que le jabot et les poignets d’Amanda, le chandail de Jim, les tentures que sur le passe-partout de la photo du père, cet employé du téléphone «amoureux des longues distances». Le travail d’éclairage particulièrement soigné de Marie-Ève Pageau et l’habile trame sonore de Michel Smith deviennent un complément idéal à cette lecture toute en demi-teintes de la pièce. René Gingras a opté pour une traduction à la musicalité inhérente, légèrement surannée, représentative de l’époque évoquée (en parlant par exemple des «vues» plutôt que du cinéma), sans qu’elle ne sonne jamais ampoulée.
Yan Rompré a su encadrer ses acteurs avec minutie et maximiser le potentiel de la salle intime du Prospero, que ce soit en inscrivant Jim en témoin de la pièce (le personnage campé par le metteur en scène étant assis au premier rang avant son entrée en scène) ou en permettant à la voix de Tom, le narrateur, de prendre naissance dans le public même. Dorothy Berryman revient à la scène après plusieurs années dans un rôle qui semble taillé sur mesure pour elle (alors qu’elle avait fait ses débuts au théâtre en 1973 dans le rôle de Laura). Aucune surenchère ici, aucune volonté de caricaturer le personnage de cette mère envahissante, qui pourtant aime profondément ses enfants. Même lorsqu’elle s’emporte ou saoule son entourage avec un énième récit tiré de sa jeunesse sur une plantation, elle reste troublante de retenue, sans pour autant que cela ne soit jamais perçue comme de la faiblesse. Philippe Cousineau se révèle idéal dans le personnage de Tom, réussissant aussi bien à établir un lien étroit avec le public quand il devient narrateur qu’en servant de soutien essentiel aux névroses des autres personnages. Enrica Boucher campe une Laura en apparence fragile, mais qui nous rappelle que, si elle le souhaitait réellement, sa vie pourrait basculer.
«On vit une époque difficile. On a rien à se raccrocher, sinon les uns aux autres.» Des phrases qui démontrent, une fois encore, toute la pertinence du théâtre.
La ménagerie de verre. Texte de Tennessee Williams. Mise en scène de Yan Rompré. Une production TG_2 Théâtre. Au Théâtre Prospero jusqu’au 1er février 2014.
Pièce qui devait le propulser du jour au lendemain au faîte de la gloire, La ménagerie de verre de Tennessee Williams reste l’une de ses plus belles œuvres. Qu’on l’ait vu une ou cinq fois sur scène, on ne peut s’empêcher d’éprouver une tendresse certaine pour ces pages, portrait à peine décoloré d’une Amérique révolue. Le metteur en scène Yan Rompré en a tiré un objet finement ciselé, chaque élément – que ce soit scénographie, costumes, mise en scène ou choix de la distribution – ayant été pesé, assumé, poli jusqu’à ce que la lumière puisse le traverser de part en part.
Métaphore de la représentation, la pièce se décline comme un hymne à l’imaginaire. Tom écrit des poèmes dans son petit carnet et ne pense qu’à voir le monde, comme Williams lui-même. L’ancienne belle du Sud Amanda refuse de voir terni le souvenir de tous ces prétendants. Laura invente des destins à ses bibelots de verre.
La scénographie et les costumes de Geneviève Lizotte transposent idéalement cet état de rêve à demi-conscient, le bleu-gris (qui peut évoquer la nostalgie aussi bien que l’heure bleue de l’aube) se retrouvant aussi bien sur la chemise de Tom, la robe de Laura que le jabot et les poignets d’Amanda, le chandail de Jim, les tentures que sur le passe-partout de la photo du père, cet employé du téléphone «amoureux des longues distances». Le travail d’éclairage particulièrement soigné de Marie-Ève Pageau et l’habile trame sonore de Michel Smith deviennent un complément idéal à cette lecture toute en demi-teintes de la pièce. René Gingras a opté pour une traduction à la musicalité inhérente, légèrement surannée, représentative de l’époque évoquée (en parlant par exemple des «vues» plutôt que du cinéma), sans qu’elle ne sonne jamais ampoulée.
Yan Rompré a su encadrer ses acteurs avec minutie et maximiser le potentiel de la salle intime du Prospero, que ce soit en inscrivant Jim en témoin de la pièce (le personnage campé par le metteur en scène étant assis au premier rang avant son entrée en scène) ou en permettant à la voix de Tom, le narrateur, de prendre naissance dans le public même. Dorothy Berryman revient à la scène après plusieurs années dans un rôle qui semble taillé sur mesure pour elle (alors qu’elle avait fait ses débuts au théâtre en 1973 dans le rôle de Laura). Aucune surenchère ici, aucune volonté de caricaturer le personnage de cette mère envahissante, qui pourtant aime profondément ses enfants. Même lorsqu’elle s’emporte ou saoule son entourage avec un énième récit tiré de sa jeunesse sur une plantation, elle reste troublante de retenue, sans pour autant que cela ne soit jamais perçue comme de la faiblesse. Philippe Cousineau se révèle idéal dans le personnage de Tom, réussissant aussi bien à établir un lien étroit avec le public quand il devient narrateur qu’en servant de soutien essentiel aux névroses des autres personnages. Enrica Boucher campe une Laura en apparence fragile, mais qui nous rappelle que, si elle le souhaitait réellement, sa vie pourrait basculer.
«On vit une époque difficile. On a rien à se raccrocher, sinon les uns aux autres.» Des phrases qui démontrent, une fois encore, toute la pertinence du théâtre.
La ménagerie de verre. Texte de Tennessee Williams. Mise en scène de Yan Rompré. Une production TG_2 Théâtre. Au Théâtre Prospero jusqu’au 1er février 2014.