Loin est un mini festival de théâtre en hommage au cinéma. Le duo Hugo Lamarre et Thomas Gionet-Lavigne nous invite à une archéologie du cinéma basée sur la jeunesse d’Alfred Hitchcock, et à partir de ses carnets réels ou fictifs qui deviennent autant de jalons de la genèse du maître du suspense. Ces carnets traversent en quelque sorte le 20e siècle et constituent la trame pour une filmographie du mystère. D’abord Alfred devenant Hitchcock, puis Mathias Müller et enfin David Lynch. Trois personnes qui ont existé, mais présentées ici comme des personnages de théâtre, artistes torturés nageant dans une aura mystérieuse, empreinte d’étranges tensions internes qui les torturent en permanence.
Le récit, sous une fine trame biographique, s’intéresse plutôt aux méandres de la construction de l’art. Comment une intuition, comment une note anodine et superflue, comment un problème technique, comment une intention de suspense et de mystère se matérialiseront dans des procédures formelles. Travail de la caméra et mise en tension des faciès dans des éclairages chirurgicaux, pour Albert; cut up et collage, jeu de permutation emprunté aux lignes des carnets de l’ado Alfred pour Mathias; construction d’une image troublante, ouverte sur les possibles pour David. Cette généalogie de l’art s’articule à partir des troubles personnels, des obsessions, des monstres tapis au fond des cœurs et qui poussent les protagonistes à résoudre la quadrature du cercle encore et encore. Et en filigrane, la femme éternelle. La femme rivale qui deviendra la complice d’Alfred, les femmes imaginaires qui n’apaiseront jamais l’urgence de séduction de Mathias, la femme mythique toute contenue dans un extrait vidéo, que nous ne verrons jamais, et qu’il faut faire revivre dans le corps d’une autre pour David.
Le Théâtre Hareng rouge nous propose avec Loin une œuvre qui nous ramène à l’essence même du théâtre: un texte fort porté subtilement par des comédiens en grand contrôle dont le jeu est remarquable. Soulignons l’émouvante présence de Véronique Daudelin qui porte dans le regard, les hésitations, le tremblement de la voix tout le drame d’une mère déroutée par les comportements étranges de son fils. Prise en étau entre un amour inconditionnel envers son étrange benjamin et les pressions sociales, elle incarne cette insoutenable torsion entre l’individu et la société dont le regard impitoyable fera éclater la cellule familiale. Inoubliable Jonathan Gagnon qui campe un Hitchcock d’une grande véracité, Eliott Laprise en un Matthias obsédé par le travail et la chair fraîche et excédé par les questions idiotes des critiques, Jean-Nicolas Marquis Gagnon en oncle Alfred et particulièrement hitchcockien en amoureux trompé; admirable Mary-Lee Picknell en blonde de substitution dans la psychose de David, Jeanne-Gionet Lavigne en future madame Hitchcock et en jeune amante désinvolte prête aux jeux fantasques de l’amour multiple. Bonne contenance aussi de Lucien Ratio qui accepte l’effacement tranquille du père et le barmen psychologue qui prête une oreille attentive. Un petit bémol sur Thomas Gionet-Lavigne, meilleur en auteur que dans le rôle de David qu’il installe dans une intériorité qui reste factice, trop fabriquée pour être crédible. Mais quel auteur!
La scénographie constitue l’autre pôle de ce spectacle (Jean-François Labbé). Les murs nus laissent l’imaginaire fabriquer son film à partir des accessoires qui occupent la scène. Comme si nous assistions à un tournage sur blue screen. De fait, la pièce repose sur les comédiens qui donnent l’impression de jouer en gros plan. Toutes les images évoquées surgissent en nous à partir du texte et de la bande sonore (Alex Thériault) qui illustre et ponctue la trame narrative comme au cinéma.
Empruntant aux deux arts, Loin s’installe dans une zone hybride où les procédures du théâtre et du cinéma se vampirisent mutuellement pour offrir un spectacle d’une grande fraîcheur. Et à coup sûr, ça donne le goût de revoir la filmographie d’Alfred Hitchcock (20 films présentés au Cinéma Cartier du 10 au 16 février), de découvrir les œuvres de Matthias Müller et de revisiter David Lynch. Là où la fiction plonge au cœur même de l’énigme et du mystère.
Texte : Thomas Gionet-Lavigne, Hugo Lamarre. Mise en scène : Hugo Lamarre. Avec Véronique Daudelin, Jonathan Gagnon, Jeanne Gionet-Lavigne, Thomas Gionet-Lavigne, Éliot Laprise, Jean-Nicolas Marquis-Gagnon, Mary-Lee Picknell-Tremblay, Lucien Ratio. Une production du Théâtre Hareng rouge, présentée à Premier Acte jusqu’au 28 janvier 2012.
Loin est un mini festival de théâtre en hommage au cinéma. Le duo Hugo Lamarre et Thomas Gionet-Lavigne nous invite à une archéologie du cinéma basée sur la jeunesse d’Alfred Hitchcock, et à partir de ses carnets réels ou fictifs qui deviennent autant de jalons de la genèse du maître du suspense. Ces carnets traversent en quelque sorte le 20e siècle et constituent la trame pour une filmographie du mystère. D’abord Alfred devenant Hitchcock, puis Mathias Müller et enfin David Lynch. Trois personnes qui ont existé, mais présentées ici comme des personnages de théâtre, artistes torturés nageant dans une aura mystérieuse, empreinte d’étranges tensions internes qui les torturent en permanence.
Le récit, sous une fine trame biographique, s’intéresse plutôt aux méandres de la construction de l’art. Comment une intuition, comment une note anodine et superflue, comment un problème technique, comment une intention de suspense et de mystère se matérialiseront dans des procédures formelles. Travail de la caméra et mise en tension des faciès dans des éclairages chirurgicaux, pour Albert; cut up et collage, jeu de permutation emprunté aux lignes des carnets de l’ado Alfred pour Mathias; construction d’une image troublante, ouverte sur les possibles pour David. Cette généalogie de l’art s’articule à partir des troubles personnels, des obsessions, des monstres tapis au fond des cœurs et qui poussent les protagonistes à résoudre la quadrature du cercle encore et encore. Et en filigrane, la femme éternelle. La femme rivale qui deviendra la complice d’Alfred, les femmes imaginaires qui n’apaiseront jamais l’urgence de séduction de Mathias, la femme mythique toute contenue dans un extrait vidéo, que nous ne verrons jamais, et qu’il faut faire revivre dans le corps d’une autre pour David.
Le Théâtre Hareng rouge nous propose avec Loin une œuvre qui nous ramène à l’essence même du théâtre: un texte fort porté subtilement par des comédiens en grand contrôle dont le jeu est remarquable. Soulignons l’émouvante présence de Véronique Daudelin qui porte dans le regard, les hésitations, le tremblement de la voix tout le drame d’une mère déroutée par les comportements étranges de son fils. Prise en étau entre un amour inconditionnel envers son étrange benjamin et les pressions sociales, elle incarne cette insoutenable torsion entre l’individu et la société dont le regard impitoyable fera éclater la cellule familiale. Inoubliable Jonathan Gagnon qui campe un Hitchcock d’une grande véracité, Eliott Laprise en un Matthias obsédé par le travail et la chair fraîche et excédé par les questions idiotes des critiques, Jean-Nicolas Marquis Gagnon en oncle Alfred et particulièrement hitchcockien en amoureux trompé; admirable Mary-Lee Picknell en blonde de substitution dans la psychose de David, Jeanne-Gionet Lavigne en future madame Hitchcock et en jeune amante désinvolte prête aux jeux fantasques de l’amour multiple. Bonne contenance aussi de Lucien Ratio qui accepte l’effacement tranquille du père et le barmen psychologue qui prête une oreille attentive. Un petit bémol sur Thomas Gionet-Lavigne, meilleur en auteur que dans le rôle de David qu’il installe dans une intériorité qui reste factice, trop fabriquée pour être crédible. Mais quel auteur!
La scénographie constitue l’autre pôle de ce spectacle (Jean-François Labbé). Les murs nus laissent l’imaginaire fabriquer son film à partir des accessoires qui occupent la scène. Comme si nous assistions à un tournage sur blue screen. De fait, la pièce repose sur les comédiens qui donnent l’impression de jouer en gros plan. Toutes les images évoquées surgissent en nous à partir du texte et de la bande sonore (Alex Thériault) qui illustre et ponctue la trame narrative comme au cinéma.
Empruntant aux deux arts, Loin s’installe dans une zone hybride où les procédures du théâtre et du cinéma se vampirisent mutuellement pour offrir un spectacle d’une grande fraîcheur. Et à coup sûr, ça donne le goût de revoir la filmographie d’Alfred Hitchcock (20 films présentés au Cinéma Cartier du 10 au 16 février), de découvrir les œuvres de Matthias Müller et de revisiter David Lynch. Là où la fiction plonge au cœur même de l’énigme et du mystère.
Loin
Texte : Thomas Gionet-Lavigne, Hugo Lamarre. Mise en scène : Hugo Lamarre. Avec Véronique Daudelin, Jonathan Gagnon, Jeanne Gionet-Lavigne, Thomas Gionet-Lavigne, Éliot Laprise, Jean-Nicolas Marquis-Gagnon, Mary-Lee Picknell-Tremblay, Lucien Ratio. Une production du Théâtre Hareng rouge, présentée à Premier Acte jusqu’au 28 janvier 2012.