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En attendant Gaudreault, précédé de Ta Yeule Kathleen : Miserere pour solitaires à la dérive

© Jérémie Battaglia

Une mère seule avec une stridence dans la tête.  Ça vous rend dingue. Cette virulente attaque sonore, insupportable, c’est Kathleen, le bébé que personne ne veut avoir, celui qui vous déshumanise. Seule en scène avec un lit d’enfant et des carrés de lumière qui esquissent des lieux différents, la mère célibataire du 3e nous emporte dans un flot de mots intenses, où elle tient tous les rôles.

En une courte demi-heure, Sébastien David parvient à inventer un univers, familier certes, mais dessiné à grands traits précis. Ici se construit un drame qui s’étend comme une flaque d’huile sur la vie de cette femme qui «a du caractère», mais qui, dans son impulsivité, commet des actes aux conséquences funestes. Coincée sur l’aide sociale, Lynn étouffe dans sa prison faite des hurlements de Kathleen, qui sont une réclamation absolue, et que personne ne peut satisfaire.

Captivé, à la fois par la comédienne (Marie-Hélène Gosselin) et par la vigueur d’un texte aux perspectives entrecroisées, le public embarque dans un récit émouvant, allégé par quelques répliques comiques. Un peu d’humour pour éclairer cet univers misérable que l’esprit semble avoir déserté. Au fil de la narration se matérialisent les protagonistes absents et pourtant déterminants dans le ratage de sa vie : le père inconnu, un Roméo Dallaire idéalisé, un beau gars rencontré dans un bar (l’ultime catastrophe), une gardienne qui ne répond pas, une amie qui s’est enfuie. Jeux de lumière subtils, un lit, une comédienne. Il y dans le travail scénique une parenté avec Les 3 exils de Christian E., et dans la construction du texte une filiation avec La Nuit juste avant les forêts de Koltès surtout par le débit, par l’urgence de dire, quand les mots soutiennent l’existence même.

Puis fondu enchaîné avec ce fameux Gaudreault que tous attendent. Autour de la mère esseulée du 3e gravitent d’autres personnages marqués par la vie: William, le junkie, Dédé dont le frère vient de mourir d’une overdose et Monique l’agoraphobe, harponnée par un tricheur du chat, qui se fout d’elle. Trois destins, trois comédiens, trois chaises et un texte solide dans une construction brillante où se tissent des liens entre ces personnages sans qu’ils ne le sachent eux-mêmes. Ils se côtoient, habitent le même quartier, le même bloc et se frôlent pour se rejoindre à la fin en un ultime doigt d’honneur.

Le dépouillement de la scénographie laisse toute la place à un texte rigoureux et au jeu impeccable des comédiens. Dédé (Frédéric Côté), William (Sébastien David) et Monique (Marie-Hélène Gosselin) attendent tous un Gaudreault qui semble tenir leur vie entre ses mains. Mais Gaudreault n’existe pas, il est l’attente même. Il est le prétexte pour ne rien faire. Thème classique s’il en est, mais construit ici de manière savoureuse. Il faudrait ajouter à la liste des sources, La Vie mode d’emploi de Pérec, en plus sinistre, bien sûr. Mais dans ce puzzle des karmas entrelacés, l’espoir réside dans la révolte: il faut tenir tête à Gaudreault et affirmer sa présence au monde.

Un spectacle à voir pour sa fraîcheur et ses jeux raffinés qui dépassent l’image misérabiliste saturée des quartiers dits populaires.

En attendant Gaudreault, précédé de Ta yeule Kathleen

Texte et mise en scène : Sébastien David. Une production du Collectif En attendant. À Premier Acte jusqu’au 11 février 2012.