Quiconque connaît le travail de Jérémie Niel sait qu’il laisse une grande liberté au spectateur: Niel n’est pas homme à prémâcher sa pensée pour nous la rendre plus facile à digérer. Dans sa dernière création, Croire au mal, les clés de lecture sont rares, et chacun peut tirer de ce qu’il voit une multitude d’interprétations. Mais il y a là une noirceur, une violence, profondément perturbantes.
Ce n’est pas la première fois que le metteur en scène fait une incursion du côté de la danse. Ici, comme il l’avait fait dans Tentatives, il utilise ce médium pour nous montrer la réalité (plutôt sordide) qui se cache derrière l’apparence de normalité de la vie quotidienne. Ce qu’il dénonce, c’est l’hypocrisie entourant la famille, cette institution aux allures de mythe qui, en cette époque de divorce, de recomposition, d’homoparentalité, voit ses fondements traditionnels remis en question. Côté cour, un salon où la mère, interprétée par Francis La Haye, fait du yoga, se maquille et reçoit des amis pour l’apéritif. Les rares conversations sont hachées, inaudibles, couvertes par des chansons de Claude Dubois. Le père, incarné par Niel lui-même, passera le spectacle assis dos aux spectateurs, sans prononcer un seul mot, élément peut-être indispensable à la naissance de la famille, mais au final absent. Désintéressé? Désinvesti? Castré? À nous de décider.
Côté jardin, un grand espace vide, où évoluent les danseurs Karina Champoux et Simon-Xavier Lefebvre, parfois rejoints par La Haye, au son d’un rock tonitruant (la conception sonore de Jean-Sébastien Côté s’appuyant sur la musique de We are wolves contribue grandement à la force du spectacle). Ce territoire, c’est l’univers parallèle, celui des non-dits, des rapports de force, des tensions, de la solitude, de la violence, une sorte de plongée psychanalytique dans les tréfonds de l’âme humaine. Les corps y sont en déséquilibre, flottent, s’entrechoquent, s’épuisent en cris muets. Parfois ils se heurtent, se font mal, parfois ils se collent, comme pour exprimer un existentiel besoin de douceur, au-delà de la brutalité, pour y échapper sans doute.
Coupés de la scène (laquelle est tantôt plongée dans la pénombre, tantôt éclairée par une lumière blanche aveuglante) par un immense filet qui prend du plafond, brièvement mais violemment pris à parti par Champoux qui nous demande d’un ton agressif: «Qu’est-ce que tu regardes?», nous sommes confrontés par Niel à notre hypocrisie, notre refus de voir les choses en face, spectateurs de la misère du monde, protégés par notre propre déni. Mais ces passages dansés, parfois d’une violence inouïe, peuvent avoir des allures de purgatoire, et on ne peut s’empêcher de se sentir en sursis, de se demander à quel moment on sera soi-même plongé dans l’horreur.
Des personnages, on ne saura pratiquement rien. Tout au plus glane-t-on quelques pistes au hasard d’un flash de style photo de famille, ou quand la mère énumère ses caractéristiques. Ce qui nous est raconté ici, ce n’est pas une histoire, c’est le côté obscur de l’humanité. Il est très clair dès le début du spectacle de par l’entrée en matière aux airs d’apocalypse mêlant très efficacement rock assourdissant, flashs et narration poétique, que Niel a l’intention de nous secouer. Le pari est réussi, et on ne sort pas de la salle indemne: on vient de voir le mal, et on aimerait bien pouvoir ne pas y croire.
Conception, chorégraphie et mise en scène : Jérémie Niel. Avec Karina Champoux, Francis La Haye, Simon-Xavier Lefebvre et Jérémie Niel. Une production de Pétrus, présentée au Théâtre La Chapelle jusqu’au 3 mars 2012.
Quiconque connaît le travail de Jérémie Niel sait qu’il laisse une grande liberté au spectateur: Niel n’est pas homme à prémâcher sa pensée pour nous la rendre plus facile à digérer. Dans sa dernière création, Croire au mal, les clés de lecture sont rares, et chacun peut tirer de ce qu’il voit une multitude d’interprétations. Mais il y a là une noirceur, une violence, profondément perturbantes.
Ce n’est pas la première fois que le metteur en scène fait une incursion du côté de la danse. Ici, comme il l’avait fait dans Tentatives, il utilise ce médium pour nous montrer la réalité (plutôt sordide) qui se cache derrière l’apparence de normalité de la vie quotidienne. Ce qu’il dénonce, c’est l’hypocrisie entourant la famille, cette institution aux allures de mythe qui, en cette époque de divorce, de recomposition, d’homoparentalité, voit ses fondements traditionnels remis en question. Côté cour, un salon où la mère, interprétée par Francis La Haye, fait du yoga, se maquille et reçoit des amis pour l’apéritif. Les rares conversations sont hachées, inaudibles, couvertes par des chansons de Claude Dubois. Le père, incarné par Niel lui-même, passera le spectacle assis dos aux spectateurs, sans prononcer un seul mot, élément peut-être indispensable à la naissance de la famille, mais au final absent. Désintéressé? Désinvesti? Castré? À nous de décider.
Côté jardin, un grand espace vide, où évoluent les danseurs Karina Champoux et Simon-Xavier Lefebvre, parfois rejoints par La Haye, au son d’un rock tonitruant (la conception sonore de Jean-Sébastien Côté s’appuyant sur la musique de We are wolves contribue grandement à la force du spectacle). Ce territoire, c’est l’univers parallèle, celui des non-dits, des rapports de force, des tensions, de la solitude, de la violence, une sorte de plongée psychanalytique dans les tréfonds de l’âme humaine. Les corps y sont en déséquilibre, flottent, s’entrechoquent, s’épuisent en cris muets. Parfois ils se heurtent, se font mal, parfois ils se collent, comme pour exprimer un existentiel besoin de douceur, au-delà de la brutalité, pour y échapper sans doute.
Coupés de la scène (laquelle est tantôt plongée dans la pénombre, tantôt éclairée par une lumière blanche aveuglante) par un immense filet qui prend du plafond, brièvement mais violemment pris à parti par Champoux qui nous demande d’un ton agressif: «Qu’est-ce que tu regardes?», nous sommes confrontés par Niel à notre hypocrisie, notre refus de voir les choses en face, spectateurs de la misère du monde, protégés par notre propre déni. Mais ces passages dansés, parfois d’une violence inouïe, peuvent avoir des allures de purgatoire, et on ne peut s’empêcher de se sentir en sursis, de se demander à quel moment on sera soi-même plongé dans l’horreur.
Des personnages, on ne saura pratiquement rien. Tout au plus glane-t-on quelques pistes au hasard d’un flash de style photo de famille, ou quand la mère énumère ses caractéristiques. Ce qui nous est raconté ici, ce n’est pas une histoire, c’est le côté obscur de l’humanité. Il est très clair dès le début du spectacle de par l’entrée en matière aux airs d’apocalypse mêlant très efficacement rock assourdissant, flashs et narration poétique, que Niel a l’intention de nous secouer. Le pari est réussi, et on ne sort pas de la salle indemne: on vient de voir le mal, et on aimerait bien pouvoir ne pas y croire.
Croire au mal
Conception, chorégraphie et mise en scène : Jérémie Niel. Avec Karina Champoux, Francis La Haye, Simon-Xavier Lefebvre et Jérémie Niel. Une production de Pétrus, présentée au Théâtre La Chapelle jusqu’au 3 mars 2012.