Une baignoire dans un lieu indéfini, saturé de blanc. Deux paires de jambes féminines pendent mollement à chaque extrémité. Deux femmes sans nom, sans histoire, s’affrontent dans une lutte qui est un jeu de pouvoir et de domination. Pendant une petite heure, une guerre d’une grande intensité physique pousse les protagonistes au bout de leur résistance, au bout de leur cycle amoureux. Rapport de force, tentative de noyade, caresses violentes et rugueuses. Elles s’épient, se tournent autour, s’embrassent, s’enlacent, s’agressent mutuellement dans un va-et-vient entre attraction et haine. Je t’aime moi non plus, « je ne t’aime pas » récitera l’une des deux sur une litanie d’intonations qui en change le sens et la portée, dans un travail vocalique qui s’élance dans les aigus et les graves comme une possédée. « Je ne suis pas une proie », je ne suis pas de la race des chiens, et pourtant je veux aimer comme un chien.
Ce petit spectacle explosif s’inscrit dans une dramaturgie des corps, ces corps où il prend racine. Pas de propos sur les relations SM, pas de psychanalyse sur les jeux de pouvoir dans les couples, mais plutôt une lente descente dans la psyché telle qu’elle s’exprime dans son ambigüité quotidienne. De fait, ces deux comédiennes agissent dans le mode performatif et non théâtral. Elles ne sont pas des rôles, elles ne sont pas des comédiennes jouant des personnages, elles sont l’expression de leurs corps aux prises avec la résistance. Attraction de la chair de l’autre, mais répulsion du bourreau en lui. Rejet de la caresse, mais urgence du désir. Besoin du corps de l’autre, mais refus de son intrusion. Clap Clap, commencé par le jeu de main qu’on pratiquait à deux dans la cours d’école et qui visait à tester la vitesse et la précision des réactions de l’autre, pousse la recherche de l’autre encore plus loin. Comment puis-je atteindre l’autre et dans quel type de relation, dans quel objectif : l’amitié, l’amour, la possession charnelle, la jouissance ?
La tension érotique de ce spectacle d’une incroyable densité maintient le spectateur dans une instabilité vivifiante. L’éveil du désir est constamment battu en brèche. Les seuls accessoires sur scène appuient et amplifient cette ambigüité : la baignoire comme lieu de plaisir, d’immersion, de nettoyage, d’auto-caresse, à la limite refuge utérin, peut aussi se transformer en lieu d’agression, de noyade, de lutte où les corps dérapent et se blessent. Le boyau d’arrosage comme instrument de plaisir, comme vaporisateur rafraîchissant, ou comme instrument violent avec un jet puissant giclé dans l’oreille ou dans les yeux. Les deux femmes sont vêtues d’une camisole et d’une petite culotte blanches, costume minimal derrière lequel elles ne peuvent se cacher. Ni masque, ni maquillage, ni habit. Ainsi les deux femmes, isolées dans un espace indéfini, sont confinées à elles-mêmes. Elles n’auront comme exutoire que l’eau contenue ou l’eau projetée. Le reste se joue entre elles, dans l’expérimentation de la soumission et de la dominance, dans l’inversion de ces forces, dans l’exploration de la souffrance affligée et reçue.
Il s’agissait « d’explorer les forces du dominé et les faiblesses du dominant », comme le dit justement l’auteur et metteur en scène Gabriel Plante. Pari tenu. Clap Clap nous permet d’assister au déroulement du primitif, à l’expression de l’instinct animal, à l’exploration du règne animal, précisément en équilibre entre le prédateur et sa proie. Le cycle irrésolu de cette tension tient ici, contrairement à la jungle, au refus d’être la victime, refus qui anéantit le prédateur, soudainement contraint à explorer ses propres tendances masochistes.
Clap Clap est un théâtre de deux corps explorant leur tragédie intime. Tout se joue dans cet instant où des forces élémentaires mises en tension expriment les fondements de la relation amoureuse à la Gainsbourg qui définissait l’amour comme « un mouvement alternatif qui va de l’appétit au dégoût et du dégoût à l’appétit. » La force de cette pièce repose sur le travail immédiat des comédiennes qui s’investissent dans une relation trouble, épuisant leur chair dans une confrontation où il n’y a ni vainqueur, ni vaincu. Mais, pour notre plus grand plaisir, de très beaux moments de tendresse et de violence épurés de moralisme.
Clap Clap
Texte et mise en scène par Gabriel Plante
Avec Alexa-Jeanne Dubé et Marie-Philip Lamarche
Une production Théâtre À Deux (TAD)
Le spectacle sera possiblement repris à Montréal au cours de la prochaine saison
Une baignoire dans un lieu indéfini, saturé de blanc. Deux paires de jambes féminines pendent mollement à chaque extrémité. Deux femmes sans nom, sans histoire, s’affrontent dans une lutte qui est un jeu de pouvoir et de domination. Pendant une petite heure, une guerre d’une grande intensité physique pousse les protagonistes au bout de leur résistance, au bout de leur cycle amoureux. Rapport de force, tentative de noyade, caresses violentes et rugueuses. Elles s’épient, se tournent autour, s’embrassent, s’enlacent, s’agressent mutuellement dans un va-et-vient entre attraction et haine. Je t’aime moi non plus, « je ne t’aime pas » récitera l’une des deux sur une litanie d’intonations qui en change le sens et la portée, dans un travail vocalique qui s’élance dans les aigus et les graves comme une possédée. « Je ne suis pas une proie », je ne suis pas de la race des chiens, et pourtant je veux aimer comme un chien.
Ce petit spectacle explosif s’inscrit dans une dramaturgie des corps, ces corps où il prend racine. Pas de propos sur les relations SM, pas de psychanalyse sur les jeux de pouvoir dans les couples, mais plutôt une lente descente dans la psyché telle qu’elle s’exprime dans son ambigüité quotidienne. De fait, ces deux comédiennes agissent dans le mode performatif et non théâtral. Elles ne sont pas des rôles, elles ne sont pas des comédiennes jouant des personnages, elles sont l’expression de leurs corps aux prises avec la résistance. Attraction de la chair de l’autre, mais répulsion du bourreau en lui. Rejet de la caresse, mais urgence du désir. Besoin du corps de l’autre, mais refus de son intrusion. Clap Clap, commencé par le jeu de main qu’on pratiquait à deux dans la cours d’école et qui visait à tester la vitesse et la précision des réactions de l’autre, pousse la recherche de l’autre encore plus loin. Comment puis-je atteindre l’autre et dans quel type de relation, dans quel objectif : l’amitié, l’amour, la possession charnelle, la jouissance ?
La tension érotique de ce spectacle d’une incroyable densité maintient le spectateur dans une instabilité vivifiante. L’éveil du désir est constamment battu en brèche. Les seuls accessoires sur scène appuient et amplifient cette ambigüité : la baignoire comme lieu de plaisir, d’immersion, de nettoyage, d’auto-caresse, à la limite refuge utérin, peut aussi se transformer en lieu d’agression, de noyade, de lutte où les corps dérapent et se blessent. Le boyau d’arrosage comme instrument de plaisir, comme vaporisateur rafraîchissant, ou comme instrument violent avec un jet puissant giclé dans l’oreille ou dans les yeux. Les deux femmes sont vêtues d’une camisole et d’une petite culotte blanches, costume minimal derrière lequel elles ne peuvent se cacher. Ni masque, ni maquillage, ni habit. Ainsi les deux femmes, isolées dans un espace indéfini, sont confinées à elles-mêmes. Elles n’auront comme exutoire que l’eau contenue ou l’eau projetée. Le reste se joue entre elles, dans l’expérimentation de la soumission et de la dominance, dans l’inversion de ces forces, dans l’exploration de la souffrance affligée et reçue.
Il s’agissait « d’explorer les forces du dominé et les faiblesses du dominant », comme le dit justement l’auteur et metteur en scène Gabriel Plante. Pari tenu. Clap Clap nous permet d’assister au déroulement du primitif, à l’expression de l’instinct animal, à l’exploration du règne animal, précisément en équilibre entre le prédateur et sa proie. Le cycle irrésolu de cette tension tient ici, contrairement à la jungle, au refus d’être la victime, refus qui anéantit le prédateur, soudainement contraint à explorer ses propres tendances masochistes.
Clap Clap est un théâtre de deux corps explorant leur tragédie intime. Tout se joue dans cet instant où des forces élémentaires mises en tension expriment les fondements de la relation amoureuse à la Gainsbourg qui définissait l’amour comme « un mouvement alternatif qui va de l’appétit au dégoût et du dégoût à l’appétit. » La force de cette pièce repose sur le travail immédiat des comédiennes qui s’investissent dans une relation trouble, épuisant leur chair dans une confrontation où il n’y a ni vainqueur, ni vaincu. Mais, pour notre plus grand plaisir, de très beaux moments de tendresse et de violence épurés de moralisme.
Clap Clap
Texte et mise en scène par Gabriel Plante
Avec Alexa-Jeanne Dubé et Marie-Philip Lamarche
Une production Théâtre À Deux (TAD)
Présenté dans le cadre des Chantiers du Carrefour international de théâtre de Québec
Le spectacle sera possiblement repris à Montréal au cours de la prochaine saison