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12ᵉ Congrès du CQT : trois petits votes et puis s’en vont

© CQT

Un vote de trois propositions, voilà ce que je retiens de ce 12e Congrès du Conseil québécois du théâtre tenu à Montréal en novembre dernier sur le thème « Les Théâtres institutionnels et le développement de l’art théâtral ».

Un vote de trois propositions adoptées à l’unanimité par l’assemblée présente qui permettra, souhaitons-le, aux compagnies théâtrales québécoises propriétaires de lieux de production et de diffusion d’obtenir du gouvernement québécois, à force de rencontres, de persuasion, voire d’acharnement, des fonds spécifiques dévolus à l’entretien de leurs toits, murs et tuyaux. Ces fonds, importants pour nos compagnies théâtrales mais minimes dans l’ensemble du budget provincial, dégageraient du coup de précieuses sommes qui serviraient à mieux pratiquer un art qui n’en finit plus de tenter de se déployer à la mesure du talent et des ambitions des différentes générations d’artistes qui écrivent, conçoivent, mettent en scène et jouent dans un Québec s’enlisant de plus en plus dans la morosité intellectuelle.

Ce vote aura aussi permis d’adopter à l’unanimité une charte définissant, pour la première fois de notre plus si courte histoire, l’institution théâtrale québécoise, charte qu’un comité de réflexion dont j’ai fait partie pendant près d’un an a minutieusement élaborée. Ce vote a été suivi d’une autre proposition demandant aux Conseils des arts de tenir compte de l’adoption de cette charte dans leurs évaluations des compagnies théâtrales. Il est important de noter qu’un nouveau comité bonifiera cette charte dans les mois et années à venir afin que soit formé un nouveau comité formé de… piloté par… sous l’égide des conseils des arts de… et ministères de… dont le mandat sera de… voir s’il est pertinent ou non que nous nous dotions collectivement de véritables institutions théâtrales ! Si la réponse à cette question cruciale (à laquelle personne n’ose répondre ouvertement dans le milieu du théâtre québécois) est contre toute attente positive, une autre commission ou un comité consultatif se réunira sans doute afin de déterminer quelles seront ces éventuelles et chimériques institutions théâtrales québécoises.

Le vote de ces trois propositions est à l’image de ce qu’est devenue notre société : résolument pragmatique, éternellement indécise.

Bien sûr que ces propositions votées à l’unanimité sont importantes ! Elles donnent une force de frappe, une légitimité certaine à tous ceux et celles (et je ne peux ici que saluer bien bas ces vaillantes personnes) qui prennent le bâton de pèlerin afin de faire valoir aux nombreux décideurs/branleurs qui nous gouvernent, et qui visiblement ne comprennent toujours pas grand-chose aux enjeux réels qui animent le théâtre québécois, le bien-fondé de ces modestes demandes, qui auraient dû être honorées depuis belle lurette. Alors, d’où me vient cette impression persistante de déception/tristesse/amertume/frustration/désillusion lorsque je repense à ce Congrès portant sur cette réalité essentielle à l’évolution de notre société que sont les théâtres institutionnels québécois ?

C’est que nous avons, somme toute, bien peu parlé d’idéal théâtral et de la façon dont nos théâtres institutionnels devraient en rendre compte. Nous avons plutôt frileusement effleuré les thèmes de la durée des mandats des directions artistiques, de la composition des conseils d’administration et de l’obsession du développement de publics. Il aura été trop peu question d’art et des conditions de pratique que nous devons réunir afin que le tout de nos productions théâtrales égale la somme des talents de tous ces créateurs et artistes passionnés qui ne demandent qu’à se dépasser à l’intérieur de nos théâtres institutionnels. J’ai été par ailleurs troublé de constater que tous les directeurs artistiques de nos théâtres institutionnels n’étaient pas présents comme un seul homme à ce Congrès, qui était tout de même entièrement consacré à leur réalité, certains d’entre eux ayant préféré y déléguer leur direction générale, leur direction administrative ou encore personne. Cet état de fait en dit beaucoup sur le rôle qu’entendent jouer les directions artistiques de nos théâtres institutionnels dans ce dur combat à mener pour l’avancement collectif de notre art. Je dois également dire ma déception de ce que trop peu d’acteurs, d’auteurs, de scénographes, de concepteurs et de metteurs en scène œuvrant régulièrement au sein de ces théâtres soient venus témoigner de l’importance de pourvoir nos théâtres institutionnels des moyens nécessaires à leur épanouissement.

Je suis d’un Québec des années 60 et 70 en pleine ébullition et qui ne cessait de se mettre au monde, d’un Québec de flamboyants orateurs syndicalistes, politiciens et artistes, d’un Québec où les mots « combat » et « avenir » étaient sur toutes les lèvres et dans bien des cœurs. Dans ce Québec moderne, tout était à inventer, à réformer, à définir et redéfinir : la langue, l’argent, l’éducation, la santé, la beauté. C’est dans ce contexte hautement effervescent que des artistes téméraires ont joué le tout pour le tout en rejetant un poussif académisme théâtral. Ils ont fondé leurs propres compagnies, en ont audacieusement investi d’autres. Ces hommes et ces femmes visionnaires, poilus, baveux, joyeux et musclés, ont forgé de toutes pièces une brillante dramaturgie pour adultes, pour enfants et pour adolescents dans une langue québécoise inventive et débridée, ont inventé du même coup la mise en scène québécoise avec un jeu et un imaginaire scénographique qui nous sont propres.

Quelque 50 ans plus tard, notre Québec a énormément changé. Sa démographie, ses valeurs, sa richesse, sa pauvreté, ses espoirs et ses désarrois sont nettement différents de ce qui prévalait dans les années 60 et en 70. Un des principaux défis de l’art théâtral est d’être solidement ancré dans son époque afin qu’il puisse répondre à ce qui nous assaille, nous hante, nous interpelle. Ce 12e Congrès était l’occasion idéale d’interroger sainement la place, le rôle et les moyens que nous voulons accorder aujourd’hui à notre théâtre institutionnel afin que puisse se pratiquer un théâtre bien de notre temps dans une époque difficile où l’ordre, la loi et une désolante morale intégriste font un spectaculaire retour en force. Cette occasion privilégiée de questionnement profond et d’engagement artistique fut, hélas !, bien mollement saisie.

Alors que les idées, les visions et les passions auraient dû fuser de toutes parts lors de ce Congrès, alors que nous aurions dû vouloir refaire le monde par la force de notre art qui repose tout de même sur la puissance de la parole, une chose m’a brutalement frappé : devant ce lot d’échanges prudents, raisonnables, tactiques, timorés ou parfois un peu creux, prononcés par celles et ceux qui dirigent nos destinées théâtrales, je constatais que je fais partie d’un milieu théâtral qui fut jadis impétueux, mais qu’on a eu à l’usure à force de décisions gouvernementales structurantes jamais prises, toujours éludées. Je fais partie d’un milieu dont on a épuisé la capacité de rêver, un milieu dont le sens critique s’est émoussé à force d’avoir à produire, saison après saison, des spectacles qui doivent rejoindre impérativement tous les publics en même temps, question de survivance. Je fais partie d’un milieu aux griffes rentrées et aux dents limées à force de s’être fait tasser dans le coin par des gouvernements fédéraux, provinciaux et municipaux insensibles à nos aspirations, à notre réalité et à nos défis. Je fais partie d’un milieu dont le sens de la révolte et de la mobilisation s’est atrophié de manière affligeante.

Le théâtre québécois institutionnel est très certainement à la recherche d’une nouvelle légitimité, d’un nouveau souffle. Je crains qu’il ne soit en train de perdre du terrain au sein de notre société, lentement mais sûrement, au profit de nouvelles formes artistiques, manifestations culturelles et événements festifs à grand déploiement plus prisés par les classes politique et médiatique, et par le public. Ce 12e Congrès m’a laissé entrevoir que le théâtre québécois n’est plus l’aventure folle et libre qu’il a déjà été et qu’il s’est enlisé, bien malgré lui, dans les méandres d’un lourd système administratif, qui ne répond qu’à une déprimante logique comptable. Ce 12e Congrès m’a démontré aussi notre faible capacité à nommer courageusement ce dont nous souffrons et ce qui nous entrave afin que puisse s’accomplir l’un-peu-plus-grand au sein de nos théâtres institutionnels.

Pour une réponse au slogan qui chapeautait ce 12e Congrès, « Nous aurons les institutions que nous voulons ! », et qui aurait dû surgir à l’issue de celui-ci, ce sera pour une prochaine fois. Pour l’instant, il reste ces trois votes pratiques concernant des toits, des murs, des tuyaux ainsi qu’une charte définissant une éventuelle institution théâtrale québécoise. C’est quand même un début…

Mais est-ce normal que le théâtre québécois en soit encore à ses débuts ?

Philippe Couture

À propos de

Critique de théâtre, journaliste et rédacteur web travaillant entre Montréal et Bruxelles, Philippe Couture collabore à Jeu depuis 2009. En plus de contribuer au Devoir, à des émissions d’ICI Radio-Canada Première, au quotidien belge La Libre et aux revues Alternatives Théâtrales et UBU Scènes d’Europe, il est l’un des nouveaux interprètes du spectacle-conférence La Convivialité, en tournée en France et en Belgique.