«Entre la bonté et moi, il y a une autoroute de campagne devant un verger. […] Vouloir être bon, c’est vite suivi de trois constatations inéluctables: 1. Y a ben trop de trafic. 2. J’ai pas le temps d’attendre. 3. Des pommes, je suis aussi ben d’aller m’en acheter.» Ainsi parle Gilles Jean (Patrice Dubois), avocat de son état, faisant sans ironie et sans honte le constat de ce trait peu enviable de sa personnalité. Il faut dire que l’homme atteint des sommets de vilenie, ayant accepté de défendre l’entreprise qui a causé le coma du fils de son ami d’enfance. De retour dans son village natal, le voici confronté à l’ami en question (Dany Michaud), à sa femme (Sylvie De Morais), ainsi qu’à sa propre mère (Louise Laprade), essayant tant bien que mal de s’expliquer.
Dans Bienveillance, Fanny Britt – l’auteure de Couche avec moi (c’est l’hiver), Hôtel Pacifique, Enquête sur le pire et Chaque jour – se penche sur l’empathie, la générosité, le don de soi, et sur ce qui peut conduire certains à en être étrangement dépourvus. Est-ce une question de nature profonde, le résultat d’une éducation mal menée, le produit des choix successifs dont se compose l’existence ou un phénomène socioculturel? En trame de fond flottent la perte et le désarroi dans lequel elle nous plonge, dont les traductions sont multiples: sentiment de culpabilité, apathie, déni, chagrin impérissable, etc.
De prime abord habité par des préoccupations essentiellement matérialistes, le personnage principal traverse une crise existentielle telle qu’il bredouille durant la plupart de ses interactions, lui qui a pourtant dû bâtir sa carrière sur son éloquence et son aplomb. Ce qui frappe, déconcerte et irrite, c’est sa lâcheté, et on serait tenté de le détester n’eussent été de ces apartés durant lesquels il nous ouvre son âme, révélant un homme blessé et tiraillé, trop couvé par une mère à jamais endeuillée par la perte de ses trois premiers enfants et le départ de son mari.
Dans ces monologues empreints de lucidité, habilement mis en scène par Claude Poissant, la plume de Fanny Britt prend toute sa mesure, habile, précise, égaillant des touches d’humour, jouant avec les sonorités et les répétitions, championne de la formule qui fait mouche. Ces moments de bonheur littéraire sont amplifiés par l’excellente prestation de Patrice Dubois, qui endosse avec subtilité la peau de cet avocat carriériste et prospère dont les prises de conscience n’auront pas l’effet que l’on attend.
De leur côté, les parents éplorés, qui incarnent les Bonnes valeurs, avec un B majuscules (la générosité, l’honnêteté, la fidélité, le respect, l’abnégation), manquent quelque peu de relief. Heureusement, le personnage de la mère syndicaliste donne de la couleur aux échanges («J’t’ai pas donné mon accord pour devenir un trou de cul mon p’tit gars»; «On est des ruraux mais on n’est pas des ânes!»), et leur évite de sombrer dans la platitude consternée qu’appelle la situation (après tout, la vie d’un enfant est en jeu).
Malheureusement, la fin de cette pièce à la fois grave et drôle – la scène entre Gilles Jean et son patron (joué avec brio par Christian E. Roy) est caractéristique de l’humour corrosif de Britt, qui évite au drame de tomber dans le pathos – est un brin décevante avec sa morale à saveur judéo-chrétienne (de type les premiers seront les derniers et les derniers seront les premiers); de plus, la chanson (il s’agit de la mise en musique du poème de Blaise Cendrars intitulé Tu es plus belle que le ciel et la mer, auquel il est fait allusion dans la pièce) apporte peu de choses et s’insère assez mal dans la pièce tout en constituant un clin d’oeil qui manque de subtilité. Mais peu importe, car la qualité de l’écriture, l’efficacité de la mise en scène et la finesse de l’interprétation de Dubois font de Bienveillance un spectacle à voir.
«Entre la bonté et moi, il y a une autoroute de campagne devant un verger. […] Vouloir être bon, c’est vite suivi de trois constatations inéluctables: 1. Y a ben trop de trafic. 2. J’ai pas le temps d’attendre. 3. Des pommes, je suis aussi ben d’aller m’en acheter.» Ainsi parle Gilles Jean (Patrice Dubois), avocat de son état, faisant sans ironie et sans honte le constat de ce trait peu enviable de sa personnalité. Il faut dire que l’homme atteint des sommets de vilenie, ayant accepté de défendre l’entreprise qui a causé le coma du fils de son ami d’enfance. De retour dans son village natal, le voici confronté à l’ami en question (Dany Michaud), à sa femme (Sylvie De Morais), ainsi qu’à sa propre mère (Louise Laprade), essayant tant bien que mal de s’expliquer.
Dans Bienveillance, Fanny Britt – l’auteure de Couche avec moi (c’est l’hiver), Hôtel Pacifique, Enquête sur le pire et Chaque jour – se penche sur l’empathie, la générosité, le don de soi, et sur ce qui peut conduire certains à en être étrangement dépourvus. Est-ce une question de nature profonde, le résultat d’une éducation mal menée, le produit des choix successifs dont se compose l’existence ou un phénomène socioculturel? En trame de fond flottent la perte et le désarroi dans lequel elle nous plonge, dont les traductions sont multiples: sentiment de culpabilité, apathie, déni, chagrin impérissable, etc.
De prime abord habité par des préoccupations essentiellement matérialistes, le personnage principal traverse une crise existentielle telle qu’il bredouille durant la plupart de ses interactions, lui qui a pourtant dû bâtir sa carrière sur son éloquence et son aplomb. Ce qui frappe, déconcerte et irrite, c’est sa lâcheté, et on serait tenté de le détester n’eussent été de ces apartés durant lesquels il nous ouvre son âme, révélant un homme blessé et tiraillé, trop couvé par une mère à jamais endeuillée par la perte de ses trois premiers enfants et le départ de son mari.
Dans ces monologues empreints de lucidité, habilement mis en scène par Claude Poissant, la plume de Fanny Britt prend toute sa mesure, habile, précise, égaillant des touches d’humour, jouant avec les sonorités et les répétitions, championne de la formule qui fait mouche. Ces moments de bonheur littéraire sont amplifiés par l’excellente prestation de Patrice Dubois, qui endosse avec subtilité la peau de cet avocat carriériste et prospère dont les prises de conscience n’auront pas l’effet que l’on attend.
De leur côté, les parents éplorés, qui incarnent les Bonnes valeurs, avec un B majuscules (la générosité, l’honnêteté, la fidélité, le respect, l’abnégation), manquent quelque peu de relief. Heureusement, le personnage de la mère syndicaliste donne de la couleur aux échanges («J’t’ai pas donné mon accord pour devenir un trou de cul mon p’tit gars»; «On est des ruraux mais on n’est pas des ânes!»), et leur évite de sombrer dans la platitude consternée qu’appelle la situation (après tout, la vie d’un enfant est en jeu).
Malheureusement, la fin de cette pièce à la fois grave et drôle – la scène entre Gilles Jean et son patron (joué avec brio par Christian E. Roy) est caractéristique de l’humour corrosif de Britt, qui évite au drame de tomber dans le pathos – est un brin décevante avec sa morale à saveur judéo-chrétienne (de type les premiers seront les derniers et les derniers seront les premiers); de plus, la chanson (il s’agit de la mise en musique du poème de Blaise Cendrars intitulé Tu es plus belle que le ciel et la mer, auquel il est fait allusion dans la pièce) apporte peu de choses et s’insère assez mal dans la pièce tout en constituant un clin d’oeil qui manque de subtilité. Mais peu importe, car la qualité de l’écriture, l’efficacité de la mise en scène et la finesse de l’interprétation de Dubois font de Bienveillance un spectacle à voir.
Bienveillance
Un texte de Fanny Britt, dans une mise en scène de Claude Poissant
Une coproduction du Théâtre PÀP et des Productions À tour de rôle, à l’Espace GO jusqu’au 27 octobre 2012