Cinq frères et sœurs sont réunis dans un salon mortuaire. Ils viennent d’enterrer leur père, Nino. Mais il ne s’agit pas ici d’un de ces règlements de comptes familiaux, si fréquents sur nos scènes. Ils vont, au contraire, dans une atmosphère presque jubilatoire, se livrer à un devoir de mémoire en racontant l’épopée picaresque qui a conduit Nino, à travers la Rome dévastée de juin 1944, à la recherche des 1 000 lires nécessaires à l’achat… d’un cochon vivant dérobé aux Allemands. «Papa a raconté cette histoire pendant toute sa vie. C’est un peu comme notre héritage», expliqueront ses enfants.
Ce récit de mémoire, l’Opsis est allé le chercher, pour l’avant-dernier opus de son cycle italien – le cycle, une des caractéristiques que j’aime chez cette compagnie qui se caractérise par la diversité des inspirations et l’unité de vision –, dans un roman d’Ascanio Celestini, un Romain né en 1972, spécialiste du théâtre-récit. Ce genre, entre documentaire et fiction, vise à maintenir vivante la mémoire orale et Celestini a lui-même puisé dans les souvenirs de son propre père pour écrire cette Histoire d’un idiot de guerre. De ce qui était à l’origine un monologue, Luce Pelletier, directrice artistique de l’Opsis, a fait une partition à cinq voix, une sorte de jeu de rôles, où les trois frères et les deux sœurs vont, tour à tour, endosser les personnages de l’histoire paternelle.
Le début réaliste, bascule peu à peu dans l’étrange et même dans le fantastique. Grâce à la scénographie aussi simple que polyvalente d’Olivier Landreville, une des réussites de cette mise en scène inventive, le salon funéraire va devenir le champ de bataille, successivement dramatique et loufoque, au milieu duquel Nino et son père, incapables d’assumer seuls le coût du cochon, vont recruter les improbables membres de leur fameuse «coopérative». Et les vêtements sagement suspendus le long des murs du salon vont se transformer en personnages, simples citoyens perdus entre les belligérants, héros malgré eux d’histoires drôles ou touchantes, en soldats américains ou allemands, menaçants ou égarés, quand ils ne deviendront pas des piles de cadavres, ou même un chien, à l’agonie tragico-comique.
Dans ces récits-gigognes, les cinq enfants sont tour à tour le pivot d’un épisode de la saga paternelle. Rythmés par la musique martiale ou guillerette de Catherine Gadouas, se succéderont, entre autres, le drame de l’homme devenu vieux en une seule nuit, la vision macabre et pourtant humoristique de la charrette des morts, le cortège des morts-vivants, celui du vendeur de patates, l’histoire de l’homme au bras rachitique… Chacun des comédiens s’y investit avec un plaisir évident, mais Luc Bourgeois est particulièrement suave en barbier aux mains miraculeuses.
On le voit, la rupture de ton et le mélange des genres, qui surprennent un peu, mais finissent par convaincre, sont une des constantes de ce spectacle où on passe sans transition de l’émotion à l’amusement. Les événements historiques, comme le bombardement de San Lorenzo ou les rafles de jeunes Italiens envoyés en camp de travail en Allemagne, côtoient des passages fantaisistes, comme l’histoire carrément hilarante du barbier ou encore celle du jeune Primo «aux prises» avec deux Polonaises, voires iconoclastes, comme la scène où une mouche et une Vierge Marie hystérique nous offrent une nouvelle interprétation de la Résurrection!
On ne perd jamais de vue cependant le fil conducteur, la «coopérative du cochon», cette entreprise marquée par l’entraide, la débrouillardise et, dans une certaine mesure, la réussite, la fin nous réservant, comme à ses membres, une petite surprise…
La Coopérative du cochon
Texte d’Ascanio Celestini
Adaptation et mise en scène de Luce Pelletier
Une production du Théâtre de l’Opsis
Présentée au Théâtre Prospero jusqu’au 3 novembre 2012
Cinq frères et sœurs sont réunis dans un salon mortuaire. Ils viennent d’enterrer leur père, Nino. Mais il ne s’agit pas ici d’un de ces règlements de comptes familiaux, si fréquents sur nos scènes. Ils vont, au contraire, dans une atmosphère presque jubilatoire, se livrer à un devoir de mémoire en racontant l’épopée picaresque qui a conduit Nino, à travers la Rome dévastée de juin 1944, à la recherche des 1 000 lires nécessaires à l’achat… d’un cochon vivant dérobé aux Allemands. «Papa a raconté cette histoire pendant toute sa vie. C’est un peu comme notre héritage», expliqueront ses enfants.
Ce récit de mémoire, l’Opsis est allé le chercher, pour l’avant-dernier opus de son cycle italien – le cycle, une des caractéristiques que j’aime chez cette compagnie qui se caractérise par la diversité des inspirations et l’unité de vision –, dans un roman d’Ascanio Celestini, un Romain né en 1972, spécialiste du théâtre-récit. Ce genre, entre documentaire et fiction, vise à maintenir vivante la mémoire orale et Celestini a lui-même puisé dans les souvenirs de son propre père pour écrire cette Histoire d’un idiot de guerre. De ce qui était à l’origine un monologue, Luce Pelletier, directrice artistique de l’Opsis, a fait une partition à cinq voix, une sorte de jeu de rôles, où les trois frères et les deux sœurs vont, tour à tour, endosser les personnages de l’histoire paternelle.
Le début réaliste, bascule peu à peu dans l’étrange et même dans le fantastique. Grâce à la scénographie aussi simple que polyvalente d’Olivier Landreville, une des réussites de cette mise en scène inventive, le salon funéraire va devenir le champ de bataille, successivement dramatique et loufoque, au milieu duquel Nino et son père, incapables d’assumer seuls le coût du cochon, vont recruter les improbables membres de leur fameuse «coopérative». Et les vêtements sagement suspendus le long des murs du salon vont se transformer en personnages, simples citoyens perdus entre les belligérants, héros malgré eux d’histoires drôles ou touchantes, en soldats américains ou allemands, menaçants ou égarés, quand ils ne deviendront pas des piles de cadavres, ou même un chien, à l’agonie tragico-comique.
Dans ces récits-gigognes, les cinq enfants sont tour à tour le pivot d’un épisode de la saga paternelle. Rythmés par la musique martiale ou guillerette de Catherine Gadouas, se succéderont, entre autres, le drame de l’homme devenu vieux en une seule nuit, la vision macabre et pourtant humoristique de la charrette des morts, le cortège des morts-vivants, celui du vendeur de patates, l’histoire de l’homme au bras rachitique… Chacun des comédiens s’y investit avec un plaisir évident, mais Luc Bourgeois est particulièrement suave en barbier aux mains miraculeuses.
On le voit, la rupture de ton et le mélange des genres, qui surprennent un peu, mais finissent par convaincre, sont une des constantes de ce spectacle où on passe sans transition de l’émotion à l’amusement. Les événements historiques, comme le bombardement de San Lorenzo ou les rafles de jeunes Italiens envoyés en camp de travail en Allemagne, côtoient des passages fantaisistes, comme l’histoire carrément hilarante du barbier ou encore celle du jeune Primo «aux prises» avec deux Polonaises, voires iconoclastes, comme la scène où une mouche et une Vierge Marie hystérique nous offrent une nouvelle interprétation de la Résurrection!
On ne perd jamais de vue cependant le fil conducteur, la «coopérative du cochon», cette entreprise marquée par l’entraide, la débrouillardise et, dans une certaine mesure, la réussite, la fin nous réservant, comme à ses membres, une petite surprise…
La Coopérative du cochon
Texte d’Ascanio Celestini
Adaptation et mise en scène de Luce Pelletier
Une production du Théâtre de l’Opsis
Présentée au Théâtre Prospero jusqu’au 3 novembre 2012