Edgar, un petit garçon de huit ans, fils de Ludwig (Daniel Parent) et Suzanne (Évelyne Rompré) est mort, renversé par le véhicule conduit par Edna (Annick Bergeron), agente de police qui poursuivait Olaf, petit délinquant cocaïnomane (Jérôme Minière) au volant de la voiture volée à Karoline (Noémie Godin-Vigneau), amante de Ludwig et de Rabe (Maxime Denommée), le seul témoin du drame. Sept ans plus tard, les personnages se retrouvent pour reconstituer le fil des événements, avec l’espoir secret de puiser chez un autre la force de poursuivre une existence tourmentée. Mais chacun est claquemuré dans ses non-dits qui empoisonnent le sang coulant dans les veines, la lave tiède du petit garçon qui a coulé sur la chaussée.
De Dea Loher, auteure allemande, l’Espace Go a présenté Manhattan Medea, mis en scène par Denise Guilbault en 2011. Le dernier feu, texte aux phrases courtes, sans ponctuation ni didascalie (un extrait du texte est projeté en début et fin de spectacle) pose des questions sans attendre de réponses.
Comment survivre à la douleur ?
Dans un décor blanc comme une page s’inscrit le palimpseste de l’histoire qu’on nous raconte. Dessins d’enfants, symboles, chiffres se tracent et se recouvrent, comme les strates de la mémoire. Sur scène, un lit, une baignoire, sept chaises – univers qui rappelle les images d’asiles pour aliénés du temps de Charcot, dans lequel huit personnages réunis par un même malheur en cherchent désespérément le sens et la responsabilité. Huit solitudes qui s’entrechoquent sans jamais se rejoindre. À chacun son drame, à chacun ses deuils. Les personnages ne dialoguent pas, ils soliloquent. Ils se racontent à eux-mêmes, dans un récit aussi fragmenté que leur personnalité, dans une ultime tentative de reconstruction, utopique et dérisoire. Des amochés de la vie. Ainsi de Karoline, mutilée après un cancer du sein, qui conjugue sa perte en portant des prothèses mammaires de plus en plus imposantes ; Rosmarie (Louise Laprade), la mère de Ludwig, atteinte d’Alzheimer, qui attend qu’Edgar revienne de l’école pour jouer avec lui, elle à qui il faut sans cesse redire l’indicible, en pure perte. L’errance du père, le silence d’Olaf – brisé parfois par un monologue sur air de rap – et la logorrhée de Peter, son amant, racontent ce qu’ils n’osent ou ne peuvent exprimer. Suzanne, la mère aux bras vides, sourde à tout ce qui n’est pas son chagrin, se cogne aux parois de verre de la cage dans laquelle elle s’est enfermée pour couver son deuil. Et il y a Rabe, l’étranger, l’ancien militaire revenu de la guerre avec ses traumatismes et ses fantômes.
Dans sa quête éperdue pour retrouver son enfant mort, Suzanne se rapproche de Rabe, celui qui a vu. Mais Rabe n’a pas les mots pour dire ce qui le ronge, et quand enfin il se libère, c’est en chuchotant à l’oreille de Suzanne endormie. Sa souffrance et sa culpabilité, il lui faudrait les tuer pour les faire taire – expiation ultime d’un crime, le seul qu’il n’a pas commis. Mais le suicide n’est-il pas un meurtre qui se trompe d’objet ?
La mise en scène très précise de Denis Marleau et Stéphanie Jasmin, la belle unité entre les personnages dégagent une froideur calculée, une intensité pudique. Ici, on ne joue pas sur l’émotion, même s’il s’en dégage de certaines « parenthèses » que livrent les personnages. Jasmin et Marleau ont cette merveilleuse intelligence du texte, qu’éclaire une direction d’acteurs sans faille. Spectacle exigeant et raffiné, Le dernier feu est d’une rare beauté. Pure et dure.
Le dernier feu
De Dea Loher
Mise en scène par Denis Marleau et Stéphanie Jasmin
Une coproduction UBU et Espace GO, à l’affiche de l’Espace GO jusqu’au 16 février 2013
Edgar, un petit garçon de huit ans, fils de Ludwig (Daniel Parent) et Suzanne (Évelyne Rompré) est mort, renversé par le véhicule conduit par Edna (Annick Bergeron), agente de police qui poursuivait Olaf, petit délinquant cocaïnomane (Jérôme Minière) au volant de la voiture volée à Karoline (Noémie Godin-Vigneau), amante de Ludwig et de Rabe (Maxime Denommée), le seul témoin du drame. Sept ans plus tard, les personnages se retrouvent pour reconstituer le fil des événements, avec l’espoir secret de puiser chez un autre la force de poursuivre une existence tourmentée. Mais chacun est claquemuré dans ses non-dits qui empoisonnent le sang coulant dans les veines, la lave tiède du petit garçon qui a coulé sur la chaussée.
De Dea Loher, auteure allemande, l’Espace Go a présenté Manhattan Medea, mis en scène par Denise Guilbault en 2011. Le dernier feu, texte aux phrases courtes, sans ponctuation ni didascalie (un extrait du texte est projeté en début et fin de spectacle) pose des questions sans attendre de réponses.
Comment survivre à la douleur ?
Dans un décor blanc comme une page s’inscrit le palimpseste de l’histoire qu’on nous raconte. Dessins d’enfants, symboles, chiffres se tracent et se recouvrent, comme les strates de la mémoire. Sur scène, un lit, une baignoire, sept chaises – univers qui rappelle les images d’asiles pour aliénés du temps de Charcot, dans lequel huit personnages réunis par un même malheur en cherchent désespérément le sens et la responsabilité. Huit solitudes qui s’entrechoquent sans jamais se rejoindre. À chacun son drame, à chacun ses deuils. Les personnages ne dialoguent pas, ils soliloquent. Ils se racontent à eux-mêmes, dans un récit aussi fragmenté que leur personnalité, dans une ultime tentative de reconstruction, utopique et dérisoire. Des amochés de la vie. Ainsi de Karoline, mutilée après un cancer du sein, qui conjugue sa perte en portant des prothèses mammaires de plus en plus imposantes ; Rosmarie (Louise Laprade), la mère de Ludwig, atteinte d’Alzheimer, qui attend qu’Edgar revienne de l’école pour jouer avec lui, elle à qui il faut sans cesse redire l’indicible, en pure perte. L’errance du père, le silence d’Olaf – brisé parfois par un monologue sur air de rap – et la logorrhée de Peter, son amant, racontent ce qu’ils n’osent ou ne peuvent exprimer. Suzanne, la mère aux bras vides, sourde à tout ce qui n’est pas son chagrin, se cogne aux parois de verre de la cage dans laquelle elle s’est enfermée pour couver son deuil. Et il y a Rabe, l’étranger, l’ancien militaire revenu de la guerre avec ses traumatismes et ses fantômes.
Dans sa quête éperdue pour retrouver son enfant mort, Suzanne se rapproche de Rabe, celui qui a vu. Mais Rabe n’a pas les mots pour dire ce qui le ronge, et quand enfin il se libère, c’est en chuchotant à l’oreille de Suzanne endormie. Sa souffrance et sa culpabilité, il lui faudrait les tuer pour les faire taire – expiation ultime d’un crime, le seul qu’il n’a pas commis. Mais le suicide n’est-il pas un meurtre qui se trompe d’objet ?
La mise en scène très précise de Denis Marleau et Stéphanie Jasmin, la belle unité entre les personnages dégagent une froideur calculée, une intensité pudique. Ici, on ne joue pas sur l’émotion, même s’il s’en dégage de certaines « parenthèses » que livrent les personnages. Jasmin et Marleau ont cette merveilleuse intelligence du texte, qu’éclaire une direction d’acteurs sans faille. Spectacle exigeant et raffiné, Le dernier feu est d’une rare beauté. Pure et dure.
Le dernier feu
De Dea Loher
Mise en scène par Denis Marleau et Stéphanie Jasmin
Une coproduction UBU et Espace GO, à l’affiche de l’Espace GO jusqu’au 16 février 2013