«Fatal est ce mariage», se lamente le loyal Gloucester quand il découvre les conditions liées à l’union de Henry VI et de Marguerite d’Anjou. Un adjectif qui dépeint parfaitement cette alliance funeste et ses terribles conséquences, une succession sanglante de complots, de meurtres et de malheurs dont l’ambitieuse et combative fille du roi René est présentée comme largement responsable.
Une lutte impitoyable pour le trône d’Angleterre, que le directeur d’Omnibus, Jean Asselin, nous présente à sa manière, composite, décalée et ludique: 2h15 de spectacle qui condensent les 3 parties du Henri VI de Shakespeare, les cinquante ans de règne de ce roi faible, bon et mystique, avec pour toile de fond, la guerre de Cent Ans, puis le combat à finir des Deux Roses, ces clans ennemis et cousins, les Lancaster (les Rouges) et les York (les Blancs)… Au centre de cette intrigue touffue et parfois confuse, un couple, parfaitement désassorti, interprété par deux forts comédiens au jeu contrasté: Sylvie Moreau, Marguerite, centre des regards et de l’action, et Paul Ahmarani, Henry, spectateur impuissant et geignard de sa propre histoire.
Pour mettre en mouvement cette saga politique, le metteur en scène réquisitionne toute l’aire de jeu possible, et la passerelle, l’escalier, les nombreuses ouvertures remplacent efficacement le décor absent. Dans ce large espace vide, les huit comédiens ont la charge de représenter à eux seuls quelque soixante personnages, sans compter les armées en présence… Plusieurs scènes, comme les face-à-face des belligérants, dos au mur, par groupe de quatre, ou l’humiliation publique d’Eleanor Cobham, promenée nue pour cause de sorcellerie, ou encore le trio royal saluant son peuple du haut du balcon, sont fortes visuellement et symboliquement. Parfois, en dépit des mêlées générales, les comédiens peinent à investir les lieux et paraissent comme semés dans cette vaste étendue.
Dans cette représentation délibérément hybride, caractérisée par la rupture de ton, un choix réussi: les costumes qui évoquent les années 50. Certaines images gardent la beauté du modèle shakespearien («Tes yeux sont un livre ouvert à la page du crime», s’exclame le bon Henry), mais les dialogues offrent un métissage plus ou moins convaincant d’archaïsmes et d’expressions vernaculaires. «Lève-toi debout», intime ainsi le digne Gloucester au cardinal, tandis que Warwick, le «faiseur et défaiseur de roi», n’hésite pas à traiter son opposant de «bâtard d’enfant d’chienne». Pour sa part, l’héritier déshérité proteste: «Vous pouvez pas m’faire ça, papa. J’veux régner, moi itou», lequel papa, lui, se lamente: «Ah! Que ne suis-je né pour un p’tit pain?» Les allusions à l’actualité québécoise sont constantes. Le peuple critique les malversations, «les abus de pouvoir des fonctionnaires», réclame «une intervention musclée», défile au son de «So, So, So, Solidarité!».
Trouvaille scénique intéressante, le recours à la télé, qui permet de combler les ellipses historiques. Et plaisante: on nous y donne des nouvelles du siège d’Orléans, on nous parle «marché boursier et taux préférentiel», quand on ne cause pas people. D’autres sourires en coin: la Marseillaise qui accompagne l’entrée triomphale de Marguerite à Londres, où le sergent de police est vêtu en bobby, tandis qu’à Paris, la «Ville lumière», un garçon de café apporte des rafraîchissements sur un plateau. D’un goût plus discutable, la scène où un jeune prétendant défèque dans un coin, puis apporte à son père le rouleau de papier hygiénique dont il couronnera le duc d’York déchu. On perd un peu de vue dans ce télescopage de styles le message de la trilogie de Shakespeare: seuls la loi et l’ordre peuvent assurer la paix. Bref, un spectacle à voir surtout pour retrouver l’esprit d’Omnibus. Et avant de partir, penser à rafraîchir ses connaissances sur la guerre des Deux Roses.
Fatal
D’après Henry VI de William Shakespeare
Adaptation, traduction et mise en scène: Jean Asselin
«Fatal est ce mariage», se lamente le loyal Gloucester quand il découvre les conditions liées à l’union de Henry VI et de Marguerite d’Anjou. Un adjectif qui dépeint parfaitement cette alliance funeste et ses terribles conséquences, une succession sanglante de complots, de meurtres et de malheurs dont l’ambitieuse et combative fille du roi René est présentée comme largement responsable.
Une lutte impitoyable pour le trône d’Angleterre, que le directeur d’Omnibus, Jean Asselin, nous présente à sa manière, composite, décalée et ludique: 2h15 de spectacle qui condensent les 3 parties du Henri VI de Shakespeare, les cinquante ans de règne de ce roi faible, bon et mystique, avec pour toile de fond, la guerre de Cent Ans, puis le combat à finir des Deux Roses, ces clans ennemis et cousins, les Lancaster (les Rouges) et les York (les Blancs)… Au centre de cette intrigue touffue et parfois confuse, un couple, parfaitement désassorti, interprété par deux forts comédiens au jeu contrasté: Sylvie Moreau, Marguerite, centre des regards et de l’action, et Paul Ahmarani, Henry, spectateur impuissant et geignard de sa propre histoire.
Pour mettre en mouvement cette saga politique, le metteur en scène réquisitionne toute l’aire de jeu possible, et la passerelle, l’escalier, les nombreuses ouvertures remplacent efficacement le décor absent. Dans ce large espace vide, les huit comédiens ont la charge de représenter à eux seuls quelque soixante personnages, sans compter les armées en présence… Plusieurs scènes, comme les face-à-face des belligérants, dos au mur, par groupe de quatre, ou l’humiliation publique d’Eleanor Cobham, promenée nue pour cause de sorcellerie, ou encore le trio royal saluant son peuple du haut du balcon, sont fortes visuellement et symboliquement. Parfois, en dépit des mêlées générales, les comédiens peinent à investir les lieux et paraissent comme semés dans cette vaste étendue.
Dans cette représentation délibérément hybride, caractérisée par la rupture de ton, un choix réussi: les costumes qui évoquent les années 50. Certaines images gardent la beauté du modèle shakespearien («Tes yeux sont un livre ouvert à la page du crime», s’exclame le bon Henry), mais les dialogues offrent un métissage plus ou moins convaincant d’archaïsmes et d’expressions vernaculaires. «Lève-toi debout», intime ainsi le digne Gloucester au cardinal, tandis que Warwick, le «faiseur et défaiseur de roi», n’hésite pas à traiter son opposant de «bâtard d’enfant d’chienne». Pour sa part, l’héritier déshérité proteste: «Vous pouvez pas m’faire ça, papa. J’veux régner, moi itou», lequel papa, lui, se lamente: «Ah! Que ne suis-je né pour un p’tit pain?» Les allusions à l’actualité québécoise sont constantes. Le peuple critique les malversations, «les abus de pouvoir des fonctionnaires», réclame «une intervention musclée», défile au son de «So, So, So, Solidarité!».
Trouvaille scénique intéressante, le recours à la télé, qui permet de combler les ellipses historiques. Et plaisante: on nous y donne des nouvelles du siège d’Orléans, on nous parle «marché boursier et taux préférentiel», quand on ne cause pas people. D’autres sourires en coin: la Marseillaise qui accompagne l’entrée triomphale de Marguerite à Londres, où le sergent de police est vêtu en bobby, tandis qu’à Paris, la «Ville lumière», un garçon de café apporte des rafraîchissements sur un plateau. D’un goût plus discutable, la scène où un jeune prétendant défèque dans un coin, puis apporte à son père le rouleau de papier hygiénique dont il couronnera le duc d’York déchu. On perd un peu de vue dans ce télescopage de styles le message de la trilogie de Shakespeare: seuls la loi et l’ordre peuvent assurer la paix. Bref, un spectacle à voir surtout pour retrouver l’esprit d’Omnibus. Et avant de partir, penser à rafraîchir ses connaissances sur la guerre des Deux Roses.
Fatal
D’après Henry VI de William Shakespeare
Adaptation, traduction et mise en scène: Jean Asselin
Une production d’Omnibus, à l’Espace libre jusqu’au 11 mai 2013