Les artisans de la compagnie italienne Motus ne prétendent pas faire œuvre définitive. Chacun de leurs spectacles, pièces ou «contests», intégrant danse, vidéos, événements en direct, se présente comme une étape dans une longue réflexion sur le rôle de l’art dans la cité. Après l’éclatant succès d’Alexis. Una tragedia greca au FTA, l’an dernier, ils reviennent à Montréal pour une quatrième fois, avec un objet théâtral intrigant, qui cherche à nommer, puis à créer sous nos yeux et – un peu − avec nous, un espace de rêve et de liberté, une île où vivre ensemble avec les tempêtes.
Après Genest, Sophocle ou Brecht, c’est chez Shakespeare que la «bande» de Motus a été trouver son inspiration centrale, une «tempête» qu’elle nous offre ici en première mondiale, vision métaphorique des turbulences de notre temps: naufrages de réfugiés, tornades, tourments économiques et financiers. Le spectateur en sort la tête résonant d’images, de mots, de musique, de mouvements, et plein de ces questions que lui ont posées Ariel, Caliban ou Miranda, ou encore les comédiens en séance de travail: «Où est le capitaine ?»; «Une tempête est-elle une révolution?»; «Ici, c’est dedans ou c’est dehors?»; «Comment faire l’utopie sans l’imposer?» Quelques réponses, lumineuses ou subversives, nous sont données: «Il ne faut pas se protéger des tempêtes, il faut les déchaîner», proclame Ariel, tandis que Taliban-Glen, alias Malcom X, se révolte: «Je refuse le nom donné par le maître».
Traversée par les concepts de l’utopie chez Michel Foucault (l’utopie «ouverte», celle qui inclut les contradictions), Nella Tempesta fait aussi appel à de grands chantres de la contestation. Comme le poète martiniquais Aimé Césaire, qui leur fournit une vision de Caliban, figure de l’étranger, du colonisé qui revendique sa terre. On entend aussi la voix de Judith Malina, incarnation de l’artiste qui refuse les compromissions et dont le mythique Living Theatre a représenté un espace d’égalité entre les artistes. Les notions de pouvoir à l’intérieur même de Motus sont d’ailleurs une des préoccupations de ses têtes dirigeantes (la projection des discussions entre comédiens est partie prenante de la représentation), et ces artistes polyvalents refusent le vedettariat.
Néanmoins, aux côtés d’un Glen Çaçi ondulant et fiévreux, cette magnifique artiste androgyne qu’est Silvia Calderoni brûle littéralement les planches dans le rôle d’Ariel. Tour à tour impérieuse et soumise, elle est celle qui exécute les ordres du «maître de la scène», esprit entre les mains du magicien, comédienne entre celles du metteur en scène, toujours en rébellion, plaidant pour nous tous le libre-arbitre de l’individu face au pouvoir.
Dans les roulements du tonnerre, le fracas des vagues ou sur les notes méditatives du piano, dissimulés par la pénombre ou cernés par la lumière blanche, les cinq comédiens investissent totalement le théâtre, escaliers et gradins compris. D’innombrables couvertures, symbole de la survie, du bien-être, sont, avec le projecteur − emblème de la puissance d’un Prospero absent qu’éteint à la fin Ariel−, les seuls accessoires du décor, mais si omniprésents qu’ils en deviennent des vedettes.
Les comédiens les plient, les déplient et les replient inlassablement, s’en couvrent, s’y cachent – bêtes monstrueuses rampant sur le sol −, les empilent et Glen y monte comme sur un gratte-ciel, statue d’Enver Hodja bientôt déboulonnée. Ariel se traîne dans une longue couverture tigrée qui deviendra le manteau de Prospero. Et puis, à la fin, c’est le lancer de couvertures en direction du public. Un public qui sort un peu étourdi, peut-être, de tant de mouvements, d’interrogations – en italien, en anglais, en français −, mais avec un goût urgent de vivre et d’agir.
Nella Tempesta
Conception et mise en scène: Enrico Casagrande et Daniela Nicoló
Les artisans de la compagnie italienne Motus ne prétendent pas faire œuvre définitive. Chacun de leurs spectacles, pièces ou «contests», intégrant danse, vidéos, événements en direct, se présente comme une étape dans une longue réflexion sur le rôle de l’art dans la cité. Après l’éclatant succès d’Alexis. Una tragedia greca au FTA, l’an dernier, ils reviennent à Montréal pour une quatrième fois, avec un objet théâtral intrigant, qui cherche à nommer, puis à créer sous nos yeux et – un peu − avec nous, un espace de rêve et de liberté, une île où vivre ensemble avec les tempêtes.
Après Genest, Sophocle ou Brecht, c’est chez Shakespeare que la «bande» de Motus a été trouver son inspiration centrale, une «tempête» qu’elle nous offre ici en première mondiale, vision métaphorique des turbulences de notre temps: naufrages de réfugiés, tornades, tourments économiques et financiers. Le spectateur en sort la tête résonant d’images, de mots, de musique, de mouvements, et plein de ces questions que lui ont posées Ariel, Caliban ou Miranda, ou encore les comédiens en séance de travail: «Où est le capitaine ?»; «Une tempête est-elle une révolution?»; «Ici, c’est dedans ou c’est dehors?»; «Comment faire l’utopie sans l’imposer?» Quelques réponses, lumineuses ou subversives, nous sont données: «Il ne faut pas se protéger des tempêtes, il faut les déchaîner», proclame Ariel, tandis que Taliban-Glen, alias Malcom X, se révolte: «Je refuse le nom donné par le maître».
Traversée par les concepts de l’utopie chez Michel Foucault (l’utopie «ouverte», celle qui inclut les contradictions), Nella Tempesta fait aussi appel à de grands chantres de la contestation. Comme le poète martiniquais Aimé Césaire, qui leur fournit une vision de Caliban, figure de l’étranger, du colonisé qui revendique sa terre. On entend aussi la voix de Judith Malina, incarnation de l’artiste qui refuse les compromissions et dont le mythique Living Theatre a représenté un espace d’égalité entre les artistes. Les notions de pouvoir à l’intérieur même de Motus sont d’ailleurs une des préoccupations de ses têtes dirigeantes (la projection des discussions entre comédiens est partie prenante de la représentation), et ces artistes polyvalents refusent le vedettariat.
Néanmoins, aux côtés d’un Glen Çaçi ondulant et fiévreux, cette magnifique artiste androgyne qu’est Silvia Calderoni brûle littéralement les planches dans le rôle d’Ariel. Tour à tour impérieuse et soumise, elle est celle qui exécute les ordres du «maître de la scène», esprit entre les mains du magicien, comédienne entre celles du metteur en scène, toujours en rébellion, plaidant pour nous tous le libre-arbitre de l’individu face au pouvoir.
Dans les roulements du tonnerre, le fracas des vagues ou sur les notes méditatives du piano, dissimulés par la pénombre ou cernés par la lumière blanche, les cinq comédiens investissent totalement le théâtre, escaliers et gradins compris. D’innombrables couvertures, symbole de la survie, du bien-être, sont, avec le projecteur − emblème de la puissance d’un Prospero absent qu’éteint à la fin Ariel−, les seuls accessoires du décor, mais si omniprésents qu’ils en deviennent des vedettes.
Les comédiens les plient, les déplient et les replient inlassablement, s’en couvrent, s’y cachent – bêtes monstrueuses rampant sur le sol −, les empilent et Glen y monte comme sur un gratte-ciel, statue d’Enver Hodja bientôt déboulonnée. Ariel se traîne dans une longue couverture tigrée qui deviendra le manteau de Prospero. Et puis, à la fin, c’est le lancer de couvertures en direction du public. Un public qui sort un peu étourdi, peut-être, de tant de mouvements, d’interrogations – en italien, en anglais, en français −, mais avec un goût urgent de vivre et d’agir.
Nella Tempesta
Conception et mise en scène: Enrico Casagrande et Daniela Nicoló
Une production de la compagnie Motus (Italie), à la Cinquième Salle de la PdA, à l’occasion du FTA, jusqu’au 27 mai 2013.