Critiques

Farewell Montreal : Avant de te dire adieu

Imaginez une fête à laquelle un copain vous aurait conviés. Vous ne connaissez pas les hôtes, Chad Dembski et Dustin Harvey. Vous savez tout au plus que le premier habite à Montréal, le second à Halifax. Vous avez peut-être mal noté l’heure ou l’adresse, avez été surpris par le déluge. Vous arrivez une fois qu’il ne reste que quelques invités. Des ballons rouges jonchent le sol, les rubans collés au plafond manquent un peu de vigueur. Plus personne ne danse. Les derniers fêtards se sont assis, autour d’une table ou sinon sur le tapis du salon. Vous vous joignez à eux, un peu incertain, pourtant confiant. 

Vous regardez l’écran et apercevez Chad et Dustin vous faisant de grands signes d’au revoir. Vous ne pouvez vous empêcher de sourire,  vous imaginant les réflexions que se passent les passants. Et puis, le ton bascule. Une première question est posée, en musique. Comment dites-vous au revoir? Par une caresse, un baiser, une accolade? L’interrogation s’immisce en vous, doucement. Chad vous propose ensuite des enregistrements, réalisés aux quatre coins de la ville, boîtes noires qui contiennent des parcelles de vie montréalaise, qu’il dispose aux quatre points cardinaux. On se perd dans cette polyphonie de voix, qui finit par servir de trame de fond à un autre texte. « Why do you live where you live?» (Pourquoi habites-tu là où tu habites?) Dustin doit trouver une multitude de raisons pour justifier son choix, de la proximité de l’océan à celle des coffee shops, des contraintes matérielles au plaisir de faire partie d’une communauté. Le mot est semé, sans que l’on se rende compte sur le coup de l’importance qu’il aura. On tombe ensuite dans le registre tragico-comique. Sur fond de Con partiro, Dustin court au ralenti devant la caméra qui capte ce qui se produit rue St-Denis. Au moment où l’on s’y attend le moins, il perd une partie de sa chevelure, causant l’hilarité générale. 

Chad prend la relève, fait circuler des photos de Montréal et aborde le sujet de l’utopie. Pourquoi pense-t-on à une cité futuriste en évoquant le terme quand, peut-être, elle pourrait être réalisée maintenant? D’autres questions seront posées, à répétition, poussant le spectateur à superposer ses propres réponses – tout en espérant sans doute ne pas avoir à les révéler aux autres. À qui ou quoi veux-tu dire au revoir? Qui ou quoi pourrait te pousser à rester?

Questions qui creusent la soif. Verres de styromousse et Belle Gueule sont distribués, avant que Farewell to Nova Scotia de Gordon Lightfoot n’instille une réelle dose de nostalgie.  Deux autres thèmes seront encore lancés, méditations sur l’utopie. Que serait-il arrivé si tous ceux qui ont quitté Montréal étaient restés?  Qu’arriverait-il si tous ceux présents dans cette salle n’en sortaient pas pendant 25, 50, 100 ans? On se prend à regarder les autres autrement, réalisant que ce sens de la communauté se tisse au fond de façon volontaire, avec une facilité déconcertante si on le souhaite. On n’hésitera pas quand l’un des hôtes viendra nous présenter à un ou une partenaire de danse. On fait connaissance, avec le sourire. Si on doit passer les prochains 25 ans de notre vie dans la Salle Jean-Claude Germain, autant y mettre du sien… Certains partiront même avec un numéro de téléphone. On sort de la performance le regard lavé, prêt à prendre le pouls de Montréal par un chaud soir d’été, en se disant qu’au fond, on aimerait bien être réinvité chez Chad et Dustin, qu’il s’y est passé quelque chose…

Farewell Montreal
De Chad Dembski et Dustin Harvey
Une production Secret Theatre
Présenté au Théâtre d’Aujourd’hui dans le cadre du OFFTA les 1er et 2 juin 

 

Lucie Renaud

À propos de

Décédée en 2016, elle était professeure, journaliste et rédactrice spécialisée en musique classique, en théâtre et en nouvelle littérature québécoise.