Nul ne sera surpris d’apprendre que le Festival de Stratford a dû composer ces dernières années avec une baisse importante de fréquentation, qui va de pair avec le manque de renouvellement de son public. Le pari du directeur artistique, Antoni Cimolino, a été cette année de créer une série d’événements autour du festival: conférences et débats ayant pour sujet les pièces elles-mêmes ou des thèmes qui leur sont relatifs.
Si j’en juge par les événements auxquels j’ai assisté et par mes conversations avec les festivaliers, les événements du «Forum» ont été bien reçus par le public. L’avenir dira si cette stratégie sera suffisante pour renflouer les coffres du festival et attirer plus de spectateurs, mais il vaut la peine de louer cette initiative qui tend à renforcer le caractère éducatif d’un festival de théâtre ayant su résister à la tentation d’alléger sa programmation.
Certes, la véritable gageure du Festival de Stratford pourrait être d’atteindre un public plus jeune. Car, bien que plusieurs écoles de l’Ontario organisent en mai et en juin des voyages permettant aux élèves d’assister à une pièce et que le festival offre aux jeunes pendant toute sa saison d’importants rabais, il ne semble pas y avoir de véritable renouvellement de la clientèle. Comment intéresser les jeunes au théâtre? Ce n’est peut-être pas un hasard si, au programme du Festival, on trouve cette année une pièce commissionnée de l’auteur canadien anglais John Murrell, Taking Shakespeare, ayant pour objet la relation entre une professeure âgée et blasée et un jeune étudiant universitaire autour d’Othello, l’un des quatre Shakespeare du Festival.
Taking Shakespeare
De l’aveu même de l’auteur, la pièce Taking Shakespeare a été créée pour Martha Henry, une doyenne du festival, qui a elle-même monté cette année Measure for Measure. Alors que son personnage (sans nom) apprendra à Murph (joué avec crédibilité par Luke Humphrey) à apprécier le théâtre, l’actrice est amenée, pour le plus grand plaisir des spectateurs, à réciter des extraits d’Othello. Pièce intimiste et réaliste à deux acteurs (admirablement mise en scène par Diana Leblanc), Taking Shakespeare ne constitue ainsi pas seulement une variation sur le thème de l’initiation d’un jeune étudiant décrocheur (que son intérêt pour les jeux vidéo semblent garder à des lieux du théâtre de Shakespeare) par un maître désabusé (qui retrouvera, grâce à cette relation, la passion de l’enseignement), mais aussi une pièce qui constitue un éloge du théâtre. Au bout du compte, c’est notre expérience de spectateur d’une pièce de Shakespeare qui se trouvera enrichie.
Il faut aussi souligner que cette pièce nous invite à réfléchir à cette question du désintéressement des jeunes pour le théâtre, en lui donnant un tour inattendu. Alors qu’on pouvait penser qu’il suffisait seulement pour l’institution théâtrale de trouver des moyens d’attirer un public plus jeune, cette pièce de John Murrell nous suggère peut-être que c’est dans la réconciliation des deux bouts du spectre de la clientèle théâtrale que réside une partie du problème. Si l’on veut repeupler les salles de théâtre, on doit ainsi peut-être se demander s’il ne faut pas intéresser et éduquer les jeunes et les moins jeunes, tout autant qu’on devrait chercher à les faire dialoguer.
Othello
Formé au volet anglophone de l’École nationale de théâtre du Canada, Chris Abraham, qui a remporté un grand succès l’année dernière avec son Tremblay (For the Pleasure of Seeing Her Again), est une figure montante du Festival de Stratford. Il signe cette année la mise en scène d’Othello. La critique a été unanime: Chris Abraham a démontré qu’il a non seulement une oreille pour Shakespeare, mais qu’il a la trempe des grands metteurs en scène. Il faudra d’ailleurs surveiller son Songe d’une nuit d’été l’année prochaine. Ici, alors qu’il a dû composer avec les contraintes de la salle à l’italienne qu’est le Avon Theatre, Abraham a créé des tableaux inoubliables, nous plongeant dans l’imaginaire des personnages, qui non seulement laissent libre cours à leurs angoisses et leurs fantasmes, mais aussi passent à l’acte.
D’une part, il faut souligner l’efficacité de la scénographie de Julie Fox, qui a conçu une plateforme multifonctionnelle, permettant le changement de scènes ou de lieux (Venise ou Cyprus) et représentant magnifiquement la tourmente d’une tempête en mer. La scène uniformément rouge, qui symbolise la jalousie morbide d’Othello et les meurtres qu’elle provoquera, a fourni un canevas idéal pour les éclairages cauchemardesques de Michael Walton : demi-pénombre et ombres de chandeliers. D’autre part, ce sont les interprétations de Graham Abbey (Iago), de Dion Johnstone (Othello) et de Bethany Jillard (Desdemona) qui constitueront les piliers de cette production. On saura gré d’ailleurs à Chris Abraham d’avoir sauvegardé la nature énigmatique de cette pièce, qui ne donne aucun motif vraisemblable ni au complot odieux de Iago ni à la colère démesurée d’Othello. C’est par le jeu sensible des acteurs que cette production tend ainsi au sublime du tragique. Tout autant que le ferait l’Otello de Verdi ? Pour ceux qui auraient eu envie de comparer les deux œuvres, le festival avait prévu une conférence du président du Verdi Opera Theatre du Michigan, John Zaretti, intégrant des extraits de la pièce et de l’opéra : la performance du ténor Van Abrahams, chantant Verdi dans le hall du Festival Theatre, non seulement faisait un formidable écho aux monologues récités par Dion Johnstone (présent pour l’occasion), mais a réussi à créer pour les spectateurs de Stratford des moments inoubliables.
Stratford, cet inconnu
Alors que le Québec emprunte pendant l’été la voie d’un théâtre plus léger (c’est la tradition des théâtres d’été, maintenant en partie supplantée, il est vrai, par les spectacles d’humoristes), le Canada anglais se plonge dans Shakespeare, y trouvant une occasion pour la réflexion ou les débats. Inutile d’insister ici sur les différences entre les cultures québécoise et canadienne-anglaise. Jamais autant que cette année n’avais-je senti cet écart, qui, tout autant que l’obstacle de la langue, rend le théâtre qui se joue à Stratford pendant l’été étranger au public québécois. Si la pièce de John Murrell a eu pour moi valeur d’emblème pour un festival qui, comme ce professeur retrouvant son énergie et sa jeunesse pour enseigner Othello à son jeune étudiant rebelle, persévère et continue de trouver dans le théâtre exigeant de Shakespeare plus d’un enseignement, elle m’a aussi laissé avec des questions quant à nos solitudes théâtrales, qu’aucune pièce n’avait tenté de rapprocher.
Taking Shakespeare. Texte: John Murrell. Mise en scène: Diane Leblanc. Au Studio Theatre, jusqu’au 27 septembre 2013. Othello. Texte: William Shakespeare. Mise en scène: Chris Abraham. Au Avon Theatre, jusqu’au 19 octobre 2013.
Nul ne sera surpris d’apprendre que le Festival de Stratford a dû composer ces dernières années avec une baisse importante de fréquentation, qui va de pair avec le manque de renouvellement de son public. Le pari du directeur artistique, Antoni Cimolino, a été cette année de créer une série d’événements autour du festival: conférences et débats ayant pour sujet les pièces elles-mêmes ou des thèmes qui leur sont relatifs.
Si j’en juge par les événements auxquels j’ai assisté et par mes conversations avec les festivaliers, les événements du «Forum» ont été bien reçus par le public. L’avenir dira si cette stratégie sera suffisante pour renflouer les coffres du festival et attirer plus de spectateurs, mais il vaut la peine de louer cette initiative qui tend à renforcer le caractère éducatif d’un festival de théâtre ayant su résister à la tentation d’alléger sa programmation.
Certes, la véritable gageure du Festival de Stratford pourrait être d’atteindre un public plus jeune. Car, bien que plusieurs écoles de l’Ontario organisent en mai et en juin des voyages permettant aux élèves d’assister à une pièce et que le festival offre aux jeunes pendant toute sa saison d’importants rabais, il ne semble pas y avoir de véritable renouvellement de la clientèle. Comment intéresser les jeunes au théâtre? Ce n’est peut-être pas un hasard si, au programme du Festival, on trouve cette année une pièce commissionnée de l’auteur canadien anglais John Murrell, Taking Shakespeare, ayant pour objet la relation entre une professeure âgée et blasée et un jeune étudiant universitaire autour d’Othello, l’un des quatre Shakespeare du Festival.
Taking Shakespeare
De l’aveu même de l’auteur, la pièce Taking Shakespeare a été créée pour Martha Henry, une doyenne du festival, qui a elle-même monté cette année Measure for Measure. Alors que son personnage (sans nom) apprendra à Murph (joué avec crédibilité par Luke Humphrey) à apprécier le théâtre, l’actrice est amenée, pour le plus grand plaisir des spectateurs, à réciter des extraits d’Othello. Pièce intimiste et réaliste à deux acteurs (admirablement mise en scène par Diana Leblanc), Taking Shakespeare ne constitue ainsi pas seulement une variation sur le thème de l’initiation d’un jeune étudiant décrocheur (que son intérêt pour les jeux vidéo semblent garder à des lieux du théâtre de Shakespeare) par un maître désabusé (qui retrouvera, grâce à cette relation, la passion de l’enseignement), mais aussi une pièce qui constitue un éloge du théâtre. Au bout du compte, c’est notre expérience de spectateur d’une pièce de Shakespeare qui se trouvera enrichie.
Il faut aussi souligner que cette pièce nous invite à réfléchir à cette question du désintéressement des jeunes pour le théâtre, en lui donnant un tour inattendu. Alors qu’on pouvait penser qu’il suffisait seulement pour l’institution théâtrale de trouver des moyens d’attirer un public plus jeune, cette pièce de John Murrell nous suggère peut-être que c’est dans la réconciliation des deux bouts du spectre de la clientèle théâtrale que réside une partie du problème. Si l’on veut repeupler les salles de théâtre, on doit ainsi peut-être se demander s’il ne faut pas intéresser et éduquer les jeunes et les moins jeunes, tout autant qu’on devrait chercher à les faire dialoguer.
Othello
Formé au volet anglophone de l’École nationale de théâtre du Canada, Chris Abraham, qui a remporté un grand succès l’année dernière avec son Tremblay (For the Pleasure of Seeing Her Again), est une figure montante du Festival de Stratford. Il signe cette année la mise en scène d’Othello. La critique a été unanime: Chris Abraham a démontré qu’il a non seulement une oreille pour Shakespeare, mais qu’il a la trempe des grands metteurs en scène. Il faudra d’ailleurs surveiller son Songe d’une nuit d’été l’année prochaine. Ici, alors qu’il a dû composer avec les contraintes de la salle à l’italienne qu’est le Avon Theatre, Abraham a créé des tableaux inoubliables, nous plongeant dans l’imaginaire des personnages, qui non seulement laissent libre cours à leurs angoisses et leurs fantasmes, mais aussi passent à l’acte.
D’une part, il faut souligner l’efficacité de la scénographie de Julie Fox, qui a conçu une plateforme multifonctionnelle, permettant le changement de scènes ou de lieux (Venise ou Cyprus) et représentant magnifiquement la tourmente d’une tempête en mer. La scène uniformément rouge, qui symbolise la jalousie morbide d’Othello et les meurtres qu’elle provoquera, a fourni un canevas idéal pour les éclairages cauchemardesques de Michael Walton : demi-pénombre et ombres de chandeliers. D’autre part, ce sont les interprétations de Graham Abbey (Iago), de Dion Johnstone (Othello) et de Bethany Jillard (Desdemona) qui constitueront les piliers de cette production. On saura gré d’ailleurs à Chris Abraham d’avoir sauvegardé la nature énigmatique de cette pièce, qui ne donne aucun motif vraisemblable ni au complot odieux de Iago ni à la colère démesurée d’Othello. C’est par le jeu sensible des acteurs que cette production tend ainsi au sublime du tragique. Tout autant que le ferait l’Otello de Verdi ? Pour ceux qui auraient eu envie de comparer les deux œuvres, le festival avait prévu une conférence du président du Verdi Opera Theatre du Michigan, John Zaretti, intégrant des extraits de la pièce et de l’opéra : la performance du ténor Van Abrahams, chantant Verdi dans le hall du Festival Theatre, non seulement faisait un formidable écho aux monologues récités par Dion Johnstone (présent pour l’occasion), mais a réussi à créer pour les spectateurs de Stratford des moments inoubliables.
Stratford, cet inconnu
Alors que le Québec emprunte pendant l’été la voie d’un théâtre plus léger (c’est la tradition des théâtres d’été, maintenant en partie supplantée, il est vrai, par les spectacles d’humoristes), le Canada anglais se plonge dans Shakespeare, y trouvant une occasion pour la réflexion ou les débats. Inutile d’insister ici sur les différences entre les cultures québécoise et canadienne-anglaise. Jamais autant que cette année n’avais-je senti cet écart, qui, tout autant que l’obstacle de la langue, rend le théâtre qui se joue à Stratford pendant l’été étranger au public québécois. Si la pièce de John Murrell a eu pour moi valeur d’emblème pour un festival qui, comme ce professeur retrouvant son énergie et sa jeunesse pour enseigner Othello à son jeune étudiant rebelle, persévère et continue de trouver dans le théâtre exigeant de Shakespeare plus d’un enseignement, elle m’a aussi laissé avec des questions quant à nos solitudes théâtrales, qu’aucune pièce n’avait tenté de rapprocher.
Taking Shakespeare. Texte: John Murrell. Mise en scène: Diane Leblanc. Au Studio Theatre, jusqu’au 27 septembre 2013. Othello. Texte: William Shakespeare. Mise en scène: Chris Abraham. Au Avon Theatre, jusqu’au 19 octobre 2013.