Danseur aux habiletés exceptionnelles, figure emblématique d’une époque, Vaslav Nijinski révolutionnerait le langage chorégraphique avec sa lecture du Sacre de printemps, œuvre dont on célèbre le centenaire de création cette année. L’heure de gloire de Nijinski aura malheureusement été de très courte durée car, quelques années à peine après avoir été révélé au grand public, il sombrera en 1919 dans une folie mystique. C’est justement ce Nijinski-là, profondément troublé, qui s’est confié dans ses Carnets une ultime fois avant d’embrasser entièrement le déséquilibre, qu’évoque Je ne tomberai pas – Vaslav Nijinski.
«Le public aime s’étonner», confiera-t-il notamment. Difficile sans doute – impossible peut-être – pour le spectateur d’oublier l’extension fabuleuse de cet artiste unique, doté d’une puissance de sauts vertigineuse, de son incarnation du personnage central du Prélude à l’après-midi d’un faune, de ses variations dans Le spectre de la rose de Fokine, des en-dehors impossibles à tenir pour les danseurs du Sacre, d’accepter un Nijinski immobilisé, prisonnier d’une démence qui le ronge, pourtant suffisamment lucide pour revenir sur certains moments-clés de sa carrière, s’inscrire en commentateur de son époque, goûter une ultime fois peut-être à la gloire.
Bernard Meney devient donc ici le Nijinski déjà ombre de lui-même, n’entrera en contact directement avec le public qu’en de très rares occasions, commençant d’ailleurs par s’adresser au mur arrière d’une scène entièrement dépouillée, éclairée de façon clinique. «Je suis un fou qui aime les gens […] Je veux que les gens comprennent.» Le collage des textes de Nijinski – intercalés de quelques emprunts à Artaud, Nietzche (qui lui aussi finira sa vie dans un état presque végétatif), Mallarmé et Maupassant – demeure intéressant et on reste soufflé dès les premiers instants par la façon dont Meney s’investit dans ce texte, mais le registre émotif varie bien peu, oscillant entre colère sèche et incohérence introspective. Quand, encore une fois, il enlève ou remet ses chaussures, prostré sur – et en – lui-même, on décroche, frustré de ne pas voir le corps en mouvement, de se trouver face à un Nijinski privé de sa parole réelle.
«Je vais danser parce que je le sens, pas parce qu’on attend.» On nous avait pourtant prévenus dès le début. Perdus dans les méandres du texte, dans la plastie statique de la mise en scène, on se laisse porter heureusement par la trame sonore d’Éric Forget, très habile distillation du Sacre qui n’en conserve que la pulsation, la respiration. Et puis, alors que l’on ne l’espérait plus, pendant quelques trop courts instants, l’explosion, la catharsis, la récompense ultime.
Quatre danseurs, aux physiques typés mais complémentaires se joignent à Bernard Meney, chacun devenant un fragment de Nijinski, que l’on peut ainsi (re)découvrir à 20, 30, 40, 50 et 60 ans. La chorégraphie d’Estelle Clareton, éclatée, cohérente, intégrant certains gestes types associés au danseur, se lit comme un brillant hommage à Nijinski. Si tous tirent parfaitement leur épingle du jeu, Thomas Casey se révèle particulièrement ensorcelant, en justaucorps noir, le corps cambré en des poses spectaculaires. On a alors impression de revivre, comme l’artiste peut-être, quand il a reçu à l’asile la visite du chorégraphe Serge Lifar, et qu’il a bondi d’un seul coup, merveilleuse victoire du corps sur l’esprit.
Je ne tomberai pas Vaslav Nijinski
Textes: Nijinski, Artaud, Nietzsche, Beckett, Gauvreau, etc. Mise en scène: Bernard Meney. Chorégraphie: Estelle Clareton. Production de Danse-Cité, au Théâtre de Quat’Sous jusqu’au 25 octobre 2013.
Danseur aux habiletés exceptionnelles, figure emblématique d’une époque, Vaslav Nijinski révolutionnerait le langage chorégraphique avec sa lecture du Sacre de printemps, œuvre dont on célèbre le centenaire de création cette année. L’heure de gloire de Nijinski aura malheureusement été de très courte durée car, quelques années à peine après avoir été révélé au grand public, il sombrera en 1919 dans une folie mystique. C’est justement ce Nijinski-là, profondément troublé, qui s’est confié dans ses Carnets une ultime fois avant d’embrasser entièrement le déséquilibre, qu’évoque Je ne tomberai pas – Vaslav Nijinski.
«Le public aime s’étonner», confiera-t-il notamment. Difficile sans doute – impossible peut-être – pour le spectateur d’oublier l’extension fabuleuse de cet artiste unique, doté d’une puissance de sauts vertigineuse, de son incarnation du personnage central du Prélude à l’après-midi d’un faune, de ses variations dans Le spectre de la rose de Fokine, des en-dehors impossibles à tenir pour les danseurs du Sacre, d’accepter un Nijinski immobilisé, prisonnier d’une démence qui le ronge, pourtant suffisamment lucide pour revenir sur certains moments-clés de sa carrière, s’inscrire en commentateur de son époque, goûter une ultime fois peut-être à la gloire.
Bernard Meney devient donc ici le Nijinski déjà ombre de lui-même, n’entrera en contact directement avec le public qu’en de très rares occasions, commençant d’ailleurs par s’adresser au mur arrière d’une scène entièrement dépouillée, éclairée de façon clinique. «Je suis un fou qui aime les gens […] Je veux que les gens comprennent.» Le collage des textes de Nijinski – intercalés de quelques emprunts à Artaud, Nietzche (qui lui aussi finira sa vie dans un état presque végétatif), Mallarmé et Maupassant – demeure intéressant et on reste soufflé dès les premiers instants par la façon dont Meney s’investit dans ce texte, mais le registre émotif varie bien peu, oscillant entre colère sèche et incohérence introspective. Quand, encore une fois, il enlève ou remet ses chaussures, prostré sur – et en – lui-même, on décroche, frustré de ne pas voir le corps en mouvement, de se trouver face à un Nijinski privé de sa parole réelle.
«Je vais danser parce que je le sens, pas parce qu’on attend.» On nous avait pourtant prévenus dès le début. Perdus dans les méandres du texte, dans la plastie statique de la mise en scène, on se laisse porter heureusement par la trame sonore d’Éric Forget, très habile distillation du Sacre qui n’en conserve que la pulsation, la respiration. Et puis, alors que l’on ne l’espérait plus, pendant quelques trop courts instants, l’explosion, la catharsis, la récompense ultime.
Quatre danseurs, aux physiques typés mais complémentaires se joignent à Bernard Meney, chacun devenant un fragment de Nijinski, que l’on peut ainsi (re)découvrir à 20, 30, 40, 50 et 60 ans. La chorégraphie d’Estelle Clareton, éclatée, cohérente, intégrant certains gestes types associés au danseur, se lit comme un brillant hommage à Nijinski. Si tous tirent parfaitement leur épingle du jeu, Thomas Casey se révèle particulièrement ensorcelant, en justaucorps noir, le corps cambré en des poses spectaculaires. On a alors impression de revivre, comme l’artiste peut-être, quand il a reçu à l’asile la visite du chorégraphe Serge Lifar, et qu’il a bondi d’un seul coup, merveilleuse victoire du corps sur l’esprit.
Je ne tomberai pas Vaslav Nijinski
Textes: Nijinski, Artaud, Nietzsche, Beckett, Gauvreau, etc. Mise en scène: Bernard Meney. Chorégraphie: Estelle Clareton. Production de Danse-Cité, au Théâtre de Quat’Sous jusqu’au 25 octobre 2013.