Jan Fabre, on le connaît pour le parfum de scandale qui entoure la présentation de ses spectacles. On l’aime pour ses outrances et sa provocation, et on le déteste pour les mêmes raisons. Le plasticien, chorégraphe et metteur en scène flamand propose avec Drugs Kept me Alive un solo écrit spécialement pour le danseur et performer Antony Rizzi. Un solo biographique, une lettre d’amour à son interprète, célébrant son courage et sa persévérance devant l’adversité. Un spectacle curieusement pudique de la part du maître de la transgression, sans nudité ni autre geste «électrochoquant». Danseur époustouflant, Antony Rizzi a longtemps travaillé avec le Ballett Frankfurt, en tant que danseur principal puis assistant de William Forsythe. Collaborateur régulier de Jan Fabre, on l’a vu dans L’orgie de la tolérance, présenté au Festival Trans-Amériques en 2009.
L’annonce de sa séropositivité fut pour Rizzi un grand choc, qui a nourri l’écriture de Jan Fabre. «Suis-je malade?» La question revient comme un leit-motiv, un repère qui marque la progression constante de l’intensité dramatique. «Suis-je vraiment malade?» Il y a d’abord la tentation du déni, puis vient la colère, le désespoir, la peur. Comment survivre avec la maladie qui, à l’image d’une bulle, protège et isole du monde des bien portants? La maladie qui déclenche le compte à rebours, qui agit en révélateur, en accélérateur de particules.
En recherchant l’ivresse et l’oubli, illusoires refuges, à l’aide de substances plus ou moins licites. Extasy et valium, Ritalin et cocaïne, qu’importe le flacon ! Évoluant à l’intérieur d’un terrain de jeu cerné par des fioles pharmaceutiques contenant des pilules et des gélules dont il va user et abuser pour se maintenir en vie, Rizzi évoque ses expériences de drogues plus dures qui l’entrainent vers l’issue fatale, avec toutefois quelque détour par les paradis artificiels.
Entre résilience et révolte, humour et dérision, il conte ce temps qui lui est compté, utilisant son corps comme un terrain de combat où s’affrontent une formidable envie de vivre et la certitude inéluctable de la mort. Espiègle, mutin et grand séducteur, Rizzi tel le torero dans l’arène affronte la mort de face, plante ses banderilles dans des mouvements d’une élégance et d’une vigueur admirables, créant des images d’une grande poésie… avec des bulles ! Des bulles qui s’envolent et crèvent, se multiplient et disparaissent, cellules d’un corps attaqué par les virus ou âmes errantes dans un paradis aux nuages en mousse de savon. Passant aisément du texte à la danse, Rizzi construit un univers onirique et tragique dont il joue habilement, insufflant une gracile légèreté dans la gravité du propos. Entrecoupant son récit de messages publicitaires et humoristiques vantant les mérites de pains de savon ou d’une marque de lessive, jamais ce «savant du savon» ne tombe dans l’apitoiement.
Nous sommes tous en sursis, nous dit Rizzi. La différence entre lui et nous, c’est qu’il le sait et le vit intensément, alors que nous, qui nous croyons avec une certaine suffisance immortels et nous conduisant comme tels, nous obstinons à ne pas vouloir accepter l’évidence. De ce spectacle, la seule provocation réside en une réflexion philosophique sur le sens que l’on donne à l’existence quand la mort, dernier tabou de nos sociétés, s’invite en guest star.
Magnifique, tout simplement.
Drugs Kept me Alive. Texte, mise en scène et scénographie de Jan Fabre. Une production Troubley/Jan Fabre, en coproduction avec Maribor 2012 (European Capital of Culture). Au Théâtre de la Chapelle jusqu’au 9 novembre 2013.
Jan Fabre, on le connaît pour le parfum de scandale qui entoure la présentation de ses spectacles. On l’aime pour ses outrances et sa provocation, et on le déteste pour les mêmes raisons. Le plasticien, chorégraphe et metteur en scène flamand propose avec Drugs Kept me Alive un solo écrit spécialement pour le danseur et performer Antony Rizzi. Un solo biographique, une lettre d’amour à son interprète, célébrant son courage et sa persévérance devant l’adversité. Un spectacle curieusement pudique de la part du maître de la transgression, sans nudité ni autre geste «électrochoquant». Danseur époustouflant, Antony Rizzi a longtemps travaillé avec le Ballett Frankfurt, en tant que danseur principal puis assistant de William Forsythe. Collaborateur régulier de Jan Fabre, on l’a vu dans L’orgie de la tolérance, présenté au Festival Trans-Amériques en 2009.
L’annonce de sa séropositivité fut pour Rizzi un grand choc, qui a nourri l’écriture de Jan Fabre. «Suis-je malade?» La question revient comme un leit-motiv, un repère qui marque la progression constante de l’intensité dramatique. «Suis-je vraiment malade?» Il y a d’abord la tentation du déni, puis vient la colère, le désespoir, la peur. Comment survivre avec la maladie qui, à l’image d’une bulle, protège et isole du monde des bien portants? La maladie qui déclenche le compte à rebours, qui agit en révélateur, en accélérateur de particules.
En recherchant l’ivresse et l’oubli, illusoires refuges, à l’aide de substances plus ou moins licites. Extasy et valium, Ritalin et cocaïne, qu’importe le flacon ! Évoluant à l’intérieur d’un terrain de jeu cerné par des fioles pharmaceutiques contenant des pilules et des gélules dont il va user et abuser pour se maintenir en vie, Rizzi évoque ses expériences de drogues plus dures qui l’entrainent vers l’issue fatale, avec toutefois quelque détour par les paradis artificiels.
Entre résilience et révolte, humour et dérision, il conte ce temps qui lui est compté, utilisant son corps comme un terrain de combat où s’affrontent une formidable envie de vivre et la certitude inéluctable de la mort. Espiègle, mutin et grand séducteur, Rizzi tel le torero dans l’arène affronte la mort de face, plante ses banderilles dans des mouvements d’une élégance et d’une vigueur admirables, créant des images d’une grande poésie… avec des bulles ! Des bulles qui s’envolent et crèvent, se multiplient et disparaissent, cellules d’un corps attaqué par les virus ou âmes errantes dans un paradis aux nuages en mousse de savon. Passant aisément du texte à la danse, Rizzi construit un univers onirique et tragique dont il joue habilement, insufflant une gracile légèreté dans la gravité du propos. Entrecoupant son récit de messages publicitaires et humoristiques vantant les mérites de pains de savon ou d’une marque de lessive, jamais ce «savant du savon» ne tombe dans l’apitoiement.
Nous sommes tous en sursis, nous dit Rizzi. La différence entre lui et nous, c’est qu’il le sait et le vit intensément, alors que nous, qui nous croyons avec une certaine suffisance immortels et nous conduisant comme tels, nous obstinons à ne pas vouloir accepter l’évidence. De ce spectacle, la seule provocation réside en une réflexion philosophique sur le sens que l’on donne à l’existence quand la mort, dernier tabou de nos sociétés, s’invite en guest star.
Magnifique, tout simplement.
Drugs Kept me Alive. Texte, mise en scène et scénographie de Jan Fabre. Une production Troubley/Jan Fabre, en coproduction avec Maribor 2012 (European Capital of Culture). Au Théâtre de la Chapelle jusqu’au 9 novembre 2013.