Tout y est : la mère morte, le père mou, la belle-mère acariâtre, les sœurs égoïstes, la fée marraine un peu dépassée, le bal, le prince, un soulier, autant d’éléments qui s’articulent autour d’une adolescente, héroïne malgré elle. Pourtant, en articulant son propos autour du deuil et de la transmission de la parole, Joël Pommerat réussit avec brio à détourner les clichés, à retourner les attentes contre le spectateur, à instiller en lui une toute autre lecture du conte repris aussi bien par Perrault que les frères Grimm.
Trop jeune, Sandra perd sa mère. Sur son lit de mort, celle-ci lui a confié un souhait, mal décrypté. En effet, elle reste convaincue que la seule façon d’honorer son souvenir est de penser constamment à elle. Aucune chance de l’oublier d’ailleurs, sa montre tonitruant aux cinq minutes les premières notes d’Ah! vous dirais-je maman. Elle ressent le constant besoin de parler de l’absente, que ce soit à sa peut-être nouvelle belle-mère (la famille reconstituée l’est ici à l’essai) qui lui détaille la liste des corvées à accomplir ou aux filles de celle-ci, qui la surnommeront vite Cendrier. Quand elle finira par rencontrer le prince, lors d’une soirée plus transe que chic, elle n’y verra non pas une panacée à sa solitude et à son statut d’esclave ménagère (Cendrillon ayant choisi elle-même d’expier son deuil en multipliant les tâches ingrates), mais y reconnaîtra un double, l’adolescent ayant lui aussi perdu sa mère quand il avait cinq ans, même si son père lui a toujours dissimulé la vérité. Pas de «ils vécurent heureux et eurent de nombreux enfants», aucune magie réelle. De toute façon, la fée-marraine, plus que lassée de sa vie éternelle, ne maîtrise pas très bien le sujet, ce qui donne lieu à des instants particulièrement amusants. Quand ils se percutent, d’abord littéralement, ils trouvent non pas chaussure à leur pied, mais la force nécessaire pour continuer à vivre, cesser de regarder constamment en arrière.
En exigeant des comédiens qu’ils jouent presque tous des doubles rôles (le père de Cendrillon est aussi celui du prince, la grande sœur la fée-marraine, le petite le prince, la belle-mère devient le reflet de la mère disparue), Pommerat offre au spectateur adulte un deuxième niveau de lecture. Difficile d’en vouloir aux sœurs chipies quand leurs doubles détiennent les clés de l’émancipation de Sandra, jouée avec beaucoup de retenue et de délicatesse par Deborah Rouach. Catherine Mestoussis incarne avec brio une belle-mère toujours sur le bord de la crise de nerfs, à la recherche d’une jeunesse éternelle, mais au fond profondément humaine et soucieuse de voir cette nouvelle famille reconstituée fonctionner.
Il faut aussi souligner la trame sonore travaillée par à-plats par François et Antonin Leymarie (qui intègre une relecture chantée par le prince de Father and Son de Cat Stevens, clin d’œil aussi bien au lien qu’il entretient avec son père, croyant bien faire en lui taisant la vérité, que celui, sublimé, avec les mères absentes), ainsi que le soin apporté aux éclairages par Éric Soyer, qui permet d’ériger un monde certes onirique, mais jamais dépourvu d’angles.
Cendrillon. Texte et mise en scène de Joël Pommerat. Une production du Théâtre National de la Communauté française (Bruxelles), en collaboration avec la compagnie Louis Brouillard. Au Centre national des arts d’Ottawa du 6 au 9 novembre 2013.
Tout y est : la mère morte, le père mou, la belle-mère acariâtre, les sœurs égoïstes, la fée marraine un peu dépassée, le bal, le prince, un soulier, autant d’éléments qui s’articulent autour d’une adolescente, héroïne malgré elle. Pourtant, en articulant son propos autour du deuil et de la transmission de la parole, Joël Pommerat réussit avec brio à détourner les clichés, à retourner les attentes contre le spectateur, à instiller en lui une toute autre lecture du conte repris aussi bien par Perrault que les frères Grimm.
Trop jeune, Sandra perd sa mère. Sur son lit de mort, celle-ci lui a confié un souhait, mal décrypté. En effet, elle reste convaincue que la seule façon d’honorer son souvenir est de penser constamment à elle. Aucune chance de l’oublier d’ailleurs, sa montre tonitruant aux cinq minutes les premières notes d’Ah! vous dirais-je maman. Elle ressent le constant besoin de parler de l’absente, que ce soit à sa peut-être nouvelle belle-mère (la famille reconstituée l’est ici à l’essai) qui lui détaille la liste des corvées à accomplir ou aux filles de celle-ci, qui la surnommeront vite Cendrier. Quand elle finira par rencontrer le prince, lors d’une soirée plus transe que chic, elle n’y verra non pas une panacée à sa solitude et à son statut d’esclave ménagère (Cendrillon ayant choisi elle-même d’expier son deuil en multipliant les tâches ingrates), mais y reconnaîtra un double, l’adolescent ayant lui aussi perdu sa mère quand il avait cinq ans, même si son père lui a toujours dissimulé la vérité. Pas de «ils vécurent heureux et eurent de nombreux enfants», aucune magie réelle. De toute façon, la fée-marraine, plus que lassée de sa vie éternelle, ne maîtrise pas très bien le sujet, ce qui donne lieu à des instants particulièrement amusants. Quand ils se percutent, d’abord littéralement, ils trouvent non pas chaussure à leur pied, mais la force nécessaire pour continuer à vivre, cesser de regarder constamment en arrière.
En exigeant des comédiens qu’ils jouent presque tous des doubles rôles (le père de Cendrillon est aussi celui du prince, la grande sœur la fée-marraine, le petite le prince, la belle-mère devient le reflet de la mère disparue), Pommerat offre au spectateur adulte un deuxième niveau de lecture. Difficile d’en vouloir aux sœurs chipies quand leurs doubles détiennent les clés de l’émancipation de Sandra, jouée avec beaucoup de retenue et de délicatesse par Deborah Rouach. Catherine Mestoussis incarne avec brio une belle-mère toujours sur le bord de la crise de nerfs, à la recherche d’une jeunesse éternelle, mais au fond profondément humaine et soucieuse de voir cette nouvelle famille reconstituée fonctionner.
Il faut aussi souligner la trame sonore travaillée par à-plats par François et Antonin Leymarie (qui intègre une relecture chantée par le prince de Father and Son de Cat Stevens, clin d’œil aussi bien au lien qu’il entretient avec son père, croyant bien faire en lui taisant la vérité, que celui, sublimé, avec les mères absentes), ainsi que le soin apporté aux éclairages par Éric Soyer, qui permet d’ériger un monde certes onirique, mais jamais dépourvu d’angles.
Cendrillon. Texte et mise en scène de Joël Pommerat. Une production du Théâtre National de la Communauté française (Bruxelles), en collaboration avec la compagnie Louis Brouillard. Au Centre national des arts d’Ottawa du 6 au 9 novembre 2013.