Critiques

Tu é moi : Qui trop embrasse mal étreint

Tu é moi, première pièce de l’acteur Marco Collin, originaire de la communauté innue de Mashteuiatsh, se décline en grande partie dans la violence: celle entre un ravisseur et sa victime, entre un vieux grincheux blanc qui vit de glanage et d’alcool et une grand-mère innue, entre la tradition et la soi-disant «modernité».

Si la première convainc sans peine et que la dernière est sous-entendue par le propos général, on devra admettre que la deuxième se révèle esquissée à trop gros traits pour être entièrement convaincante. La mise en scène d’Yves Siou Durand se veut pourtant soignée, tirant adroitement profit de ce lieu si particulier, les Ateliers Jean-Brillant, délimitant des zones de jeux complémentaires élargies, adroitement sculptées par le travail d’éclairage de Thomas Godefroid.

Quand les spectateurs entrent dans la salle, ils découvrent un homme, yeux bandés, attaché à un calorifère (Charles Bender, déjà habité par son personnage). Troublante dichotomie entre les babillages de ceux qui s’installent et cet emprisonnement forcé, dont la raison échappe d’abord à la victime. Des horloges projetées de chaque côté, haut sur les murs, deviennent oracles d’un compte à rebours qui s’enclenche dès les premiers mots prononcés, avec des arrêts en 1996 (Commission royale sur les peuples autochtones) et 1978 (signature de la Convention du Nord-est québécois et rencontre au sommet à Québec entre le gouvernement et 40 chefs de bande). «Le temps, c’est maintenant!»

Le ravisseur (l’auteur lui-même, très convaincant), le visage masqué d’une cagoule, ébauche un début d’explication, parfois difficile à suivre, car sa voix se perd côté jardin. S’adresse-t-il à cette étrange sculpture animale, rappel des carcasses d’animaux déposées dans divers lieux de culte de la ville? Qu’espère-t-il de son prisonnier? Se connaissaient-ils vraiment autrefois, avant que l’un ne choisisse d’adopter le mode d’existence des Blancs? Sont-ils en fait deux éléments d’un même tout, l’un devant exorciser la part qu’il croyait avoir fuie s’il veut continuer à vivre?  

Ce duel, autant physique qu’intérieur, reste assurément l’élément le plus pertinent de cette pièce qui pose autrement la question de l’identité. On aurait certes pu comprendre le propos sans la logorrhée raciste de ce vieux pure-laine désabusé (Jean Régnier, qui hérite d’un rôle fort ingrat), qui invective «les races», s’insurgent contre «les jaunes», «les importés» dans un trop long monologue pendant lequel il déballe ce qu’il a ramassé et se noie dans le gin (détournement un peu grossier du stéréotype de l’autochtone toujours saoul), quand il ne triche pas aux cartes et pire avec la kokum d’un des (des deux?) protagonistes.

L’image de la porteuse de la tradition (avec ses colifichets au cou et sa traîne de jupe constituée de plumes, qui d’abord récite en innu des prières catholiques) reste intéressante – et même nécessaire dans le contexte d’une quête identitaire. «J’ai p’us d’histoire, mais j’ai un futur», déclarera d’ailleurs la victime pour se justifier.

On aurait cependant aimé que ces huis-clos entre «méchant» Blanc et «innocente» autochtone soient soulignés de façon moins grossière. Cette vignette «Minutes du patrimoine», mordante d’ironie, qui suscite un sourire très crispé, traitant de l’«animal» amérindien, n’avait certes pas besoin d’être présentée trois fois pour que le message passe. La matière était sans doute trop foisonnante et il aurait sans doute fallu accepter de se concentrer sur un des aspects plutôt que se disperser, mais la voix de Marco Collin suscite néanmoins l’intérêt.

Tu é moi. Texte: Marco Collin. Mise en scène: Yves Sioui Durand. Une production Ondinnok. Aux Ateliers Jean-Brillant jusqu’au 30 novembre 2013.


Lucie Renaud

À propos de

Décédée en 2016, elle était professeure, journaliste et rédactrice spécialisée en musique classique, en théâtre et en nouvelle littérature québécoise.