À l’invitation de Katya Montaignac, Nicolas Cantin, reconnu pour ses chorégraphies minimalistes, rencontre Michèle Febvre, interprète majeure des années 1970 et 1980, ayant prêté son corps à certains des plus grands. Deux générations, deux voix, mais pourtant une langue commune et un passé partagé, celui de l’immigration. Cantin choisit de révéler Febvre en paroles, en musique et en gestes (on pourrait parler ici d’antimouvement tellement ce dernier est contraint presque du début à la fin), en un instantané éloquent, qui se découvre doucement à travers une série de motifs, transmis par la voix ou le corps, trafiqués comme les autofictions, nous en apprenant autant sur le chorégraphe que sur son sujet comme tout portrait réussi.
«Est-ce que tu me fais confiance?» D’entrée de jeu, la question est posée par Febvre qui, pour la première fois de sa carrière, se sert de sa voix pour communiquer – avec beaucoup de justesse d’ailleurs. Elle peut aussi bien s’adresser au chorégraphe qu’à l’interprète ou au public, qui devra faire fi de certaines de ses attentes pour céder autrement au propos. D’abord dos à la salle, Febvre revêt un masque de singe, s’enveloppe dans une couverture, laisse ses mains nouées et dénouées parler, secret que l’on veut garder autant que l’on a envie de partager.
Les premières notes d’une sonate de Scarlatti se font entendre, d’abord de façon diffuse. «Je suis née pendant la guerre. Quand j’étais petite, mon père ne me touchait pas, ne m’embrassait pas. […] C’est mon grand-père qui m’a appris à danser.» L’histoire pourrait s’avérer banale, mais elle résonne étrangement en nous. Aux souvenirs de la théoricienne se greffent indirectement ceux de Cantin, mais aussi les nôtres, écho aux motifs musicaux traités de manière contrapuntique, le thème développé se métamorphosant au gré des inflexions, de l’intensité d’un geste.
Le texte est d’ailleurs monté comme une partition à la pulsation distendue, évoquant Scelsi et Feldmann, qui permet une double narration, celle du corps et celle de la voix, un même propos nous parvenant sur bande, amplifié par le micro ou chuchoté lors de la réexposition, particulièrement bouleversante, comme si Febvre revivait à la fois sa vie et le spectacle présenté. Étude en fragilité, Cheese ne prend toutefois son sens que si on y superpose la force intérieure de Febvre, bridée, mais tellurique.
Cheese. Chorégraphie de Nicolas Cantin, dans le cadre d’un projet de Katya Montaignac. Une production La 2e porte à gauche. À l’Usine C jusqu’au 30 novembre 2013.
À l’invitation de Katya Montaignac, Nicolas Cantin, reconnu pour ses chorégraphies minimalistes, rencontre Michèle Febvre, interprète majeure des années 1970 et 1980, ayant prêté son corps à certains des plus grands. Deux générations, deux voix, mais pourtant une langue commune et un passé partagé, celui de l’immigration. Cantin choisit de révéler Febvre en paroles, en musique et en gestes (on pourrait parler ici d’antimouvement tellement ce dernier est contraint presque du début à la fin), en un instantané éloquent, qui se découvre doucement à travers une série de motifs, transmis par la voix ou le corps, trafiqués comme les autofictions, nous en apprenant autant sur le chorégraphe que sur son sujet comme tout portrait réussi.
«Est-ce que tu me fais confiance?» D’entrée de jeu, la question est posée par Febvre qui, pour la première fois de sa carrière, se sert de sa voix pour communiquer – avec beaucoup de justesse d’ailleurs. Elle peut aussi bien s’adresser au chorégraphe qu’à l’interprète ou au public, qui devra faire fi de certaines de ses attentes pour céder autrement au propos. D’abord dos à la salle, Febvre revêt un masque de singe, s’enveloppe dans une couverture, laisse ses mains nouées et dénouées parler, secret que l’on veut garder autant que l’on a envie de partager.
Les premières notes d’une sonate de Scarlatti se font entendre, d’abord de façon diffuse. «Je suis née pendant la guerre. Quand j’étais petite, mon père ne me touchait pas, ne m’embrassait pas. […] C’est mon grand-père qui m’a appris à danser.» L’histoire pourrait s’avérer banale, mais elle résonne étrangement en nous. Aux souvenirs de la théoricienne se greffent indirectement ceux de Cantin, mais aussi les nôtres, écho aux motifs musicaux traités de manière contrapuntique, le thème développé se métamorphosant au gré des inflexions, de l’intensité d’un geste.
Le texte est d’ailleurs monté comme une partition à la pulsation distendue, évoquant Scelsi et Feldmann, qui permet une double narration, celle du corps et celle de la voix, un même propos nous parvenant sur bande, amplifié par le micro ou chuchoté lors de la réexposition, particulièrement bouleversante, comme si Febvre revivait à la fois sa vie et le spectacle présenté. Étude en fragilité, Cheese ne prend toutefois son sens que si on y superpose la force intérieure de Febvre, bridée, mais tellurique.
Cheese. Chorégraphie de Nicolas Cantin, dans le cadre d’un projet de Katya Montaignac. Une production La 2e porte à gauche. À l’Usine C jusqu’au 30 novembre 2013.