La cuvée 2013 des Contes urbains ne risque pas d’être banale! En effet, cette année, six jeunes auteurs ont pris possession de la tribune. Gageons que Martin Bellemare, Sébastien David, Rébecca Déraspe, Annick Lefebvre, Julie-Anne Ranger-Beauregard et Olivier Sylvestre sauront insuffler une énergie toute nouvelle à cette tradition du temps des Fêtes.
Les auteurs des Contes urbains 2013 ont accepté de répondre à mes questions. Consacré à Rébecca Déraspe, ce billet est le troisième d’une série de 6.
Rébecca Déraspe
Diplômée de l’École nationale de théâtre en 2010, on lui doit notamment Deux ans de votre vie, une pièce présentée en 2011 à la salle Jean-Claude Germain du Théâtre d’Aujourd’hui dans une mise en scène de Jacques Laroche, une production des Biches Pensives. Ajoutons que la pièce, publiée chez Lux, a valu à son auteure le Prix auteur dramatique BMO Groupe financier remis par les spectateurs du Théâtre d’Aujourd’hui.
Quel est votre plus beau souvenir du temps des Fêtes ?
C’est à la fois mon plus beau et mon pire souvenir. J’ai 20 ans et je travaille en Suisse depuis six mois. Le 24 décembre, l’évidence se fraie une place dans le « joyeux Noël » que j’ai de coincé dans la gorge: je vais être toute seule pour la première fois de toute ma vie le soir de Noël. Je sors de chez moi. Je marche jusqu’à la gare. Je me prends un billet de train pour Venise. Je pars à Venise. J’arrive à Venise à 6h, le 25 décembre au matin. Je marche toute la journée. Il pleut. Je fais de la fièvre – genre beaucoup. Et je suis paumée, du genre que je n’ai pas d’argent pour prendre un café. Je souris. Parce que je suis ma propre famille, ce qui veut donc dire que je n’ai pas à avoir peur des chicanes, des non-dits qui vont finir par être dits très fort, des déceptions, des larmes pas vraiment prévues. Mais, à moi toute seule, je suis une famille très peu nombreuse – ce qui fait de cette anecdote le pire et le meilleur souvenir. Parce que Noël, même si ce n’est pas juste des affaires qui brillent et de l’amour en chanson, c’est quand même une fête qui donne envie d’aimer. D’aimer les autres. Ceux qui ont formé les pires et les meilleurs souvenirs de notre enfance.
Que signifient pour vous les mots « contes » et « urbains » ?
Le mot conte me renvoie directement à l’âge des « bonne-nuit-maman-veux-du-jus » et de l’imaginaire frénétique du petit enfant en soif de méchant loup et de vaillant héros. C’est l’histoire qui sert de palliatif à la peur de dormir, à la peur du noir, l’histoire qui veut faire oublier que bientôt on va fermer la lumière. C’est l’espoir que malgré l’immobilité du corps, l’esprit peut continuer de faire la fête. Si j’y colle le mot urbain, ça ne change pas grand-chose. Sauf que l’enfant de sept ans n’est plus couché dans un lit; il est assis quelque part dans une salle de théâtre et n’a plus exactement l’âge de se faire border. Il veut se faire raconter une histoire pour oublier que les lumières bien vives accrochées sur la maison de son voisin d’en face vont finir par s’éteindre. Parce que tout finit par s’éteindre. Et on a besoin de l’oublier.
Est-ce que votre texte respecte ou bafoue la tradition du conte urbain ?
Mon texte obéit aux règles du conte urbain: un personnage raconte une histoire à un public. C’est un bon élève qui ne déroge pas trop de la tradition. J’avais envie d’explorer le genre, d’y entrer avec mon humour, mes mots, ma parole, mais d’y entrer en enlevant mes souliers.
Est-ce que les gens qui connaissent bien votre écriture seront surpris de la direction que prend votre conte ?
Absolument pas. C’est un texte caustique, qui tente à la fois de déployer et de pourfendre la beauté de la faiblesse humaine. J’aborde l’écriture comme je m’aborde moi-même chaque jour, avec autodérision. Toujours. Incapable de faire autrement. Catherine Trudeau entre d’ailleurs dans mon univers avec naturel, comme si nous étions la version écrite et parlée d’un même tout. Elle comprend mon humour et ce qui se cache derrière.
Est-ce que votre conte a quelque chose de typiquement québécois ?
Tout est typiquement québécois dans mon conte: la langue, le lieu, le personnage. Mais, en même temps, les enjeux sont universels.
Avez-vous été influencé par une quelconque actualité ?
Mon ici et maintenant a le visage d’une petite fille de deux ans. J’aurais pu parler des soulèvements étudiants, de la charte des valeurs, de la corruption, mais j’aurais imité ceux qui sont capables d’en parler beaucoup mieux que moi et mon texte aurait souffert d’un cancer-du-texte incurable : le cliché. Mon élan initial prend ses racines dans la société, mais je transforme la matière, je me l’approprie.
Qui est le personnage qui s’adresse à nous dans votre conte ?
Mon personnage raconte «votre» histoire, il s’adresse aux spectateurs au « vous ». « Vous » comme « moi ». « Vous » comme « nous ». « Vous » comme « elle ». Mais un « vous » qui appelle l’empathie du juge extérieur. C’est le « vous » qui vit l’histoire. Promis que ce n’est pas un conte dont vous êtes le héros.
Que six jeunes auteurs dramatiques d’une même génération investissent les Contes urbains, quel sens ça a pour vous ?
Que ça fait 20 ans que ça existe. Et que ça va exister encore longtemps. Parce que la relève est là pour crier. Pour chuchoter. Pour raconter. J’avais dix ans la première fois que les Contes urbains ont eu lieu. J’en ai trente. Les histoires nous éloignent de notre finitude. Et Yvan ne va pas éteindre la lumière.
Lisez ou relisez le premier billet de la série, consacré à Martin Bellemare.
Lisez ou relisez le deuxième billet de la série, consacré à Sébastien David.
Production Théâtre Urbi et Orbi. Textes : Martin Bellemare, Sébastien David, Rébecca Déraspe, Annick Lefebvre, Julie-Anne Ranger-Beauregard et Olivier Sylvestre. Mise en contes : Stéphane Jacques. Avec Mathieu Gosselin, Rachel Graton, Hubert Lemire, Marie-Ève Milot, Hubert Proulx et Catherine Trudeau. Musique : Viviane Audet et Robin-Joël Cool. Scénographie : Elen Ewing. Éclairages : Alexandre Pilon-Guay. À La Licorne du 3 au 21 décembre 2013.
La cuvée 2013 des Contes urbains ne risque pas d’être banale! En effet, cette année, six jeunes auteurs ont pris possession de la tribune. Gageons que Martin Bellemare, Sébastien David, Rébecca Déraspe, Annick Lefebvre, Julie-Anne Ranger-Beauregard et Olivier Sylvestre sauront insuffler une énergie toute nouvelle à cette tradition du temps des Fêtes.
Les auteurs des Contes urbains 2013 ont accepté de répondre à mes questions. Consacré à Rébecca Déraspe, ce billet est le troisième d’une série de 6.
Rébecca Déraspe
Diplômée de l’École nationale de théâtre en 2010, on lui doit notamment Deux ans de votre vie, une pièce présentée en 2011 à la salle Jean-Claude Germain du Théâtre d’Aujourd’hui dans une mise en scène de Jacques Laroche, une production des Biches Pensives. Ajoutons que la pièce, publiée chez Lux, a valu à son auteure le Prix auteur dramatique BMO Groupe financier remis par les spectateurs du Théâtre d’Aujourd’hui.
Quel est votre plus beau souvenir du temps des Fêtes ?
C’est à la fois mon plus beau et mon pire souvenir. J’ai 20 ans et je travaille en Suisse depuis six mois. Le 24 décembre, l’évidence se fraie une place dans le « joyeux Noël » que j’ai de coincé dans la gorge: je vais être toute seule pour la première fois de toute ma vie le soir de Noël. Je sors de chez moi. Je marche jusqu’à la gare. Je me prends un billet de train pour Venise. Je pars à Venise. J’arrive à Venise à 6h, le 25 décembre au matin. Je marche toute la journée. Il pleut. Je fais de la fièvre – genre beaucoup. Et je suis paumée, du genre que je n’ai pas d’argent pour prendre un café. Je souris. Parce que je suis ma propre famille, ce qui veut donc dire que je n’ai pas à avoir peur des chicanes, des non-dits qui vont finir par être dits très fort, des déceptions, des larmes pas vraiment prévues. Mais, à moi toute seule, je suis une famille très peu nombreuse – ce qui fait de cette anecdote le pire et le meilleur souvenir. Parce que Noël, même si ce n’est pas juste des affaires qui brillent et de l’amour en chanson, c’est quand même une fête qui donne envie d’aimer. D’aimer les autres. Ceux qui ont formé les pires et les meilleurs souvenirs de notre enfance.
Que signifient pour vous les mots « contes » et « urbains » ?
Le mot conte me renvoie directement à l’âge des « bonne-nuit-maman-veux-du-jus » et de l’imaginaire frénétique du petit enfant en soif de méchant loup et de vaillant héros. C’est l’histoire qui sert de palliatif à la peur de dormir, à la peur du noir, l’histoire qui veut faire oublier que bientôt on va fermer la lumière. C’est l’espoir que malgré l’immobilité du corps, l’esprit peut continuer de faire la fête. Si j’y colle le mot urbain, ça ne change pas grand-chose. Sauf que l’enfant de sept ans n’est plus couché dans un lit; il est assis quelque part dans une salle de théâtre et n’a plus exactement l’âge de se faire border. Il veut se faire raconter une histoire pour oublier que les lumières bien vives accrochées sur la maison de son voisin d’en face vont finir par s’éteindre. Parce que tout finit par s’éteindre. Et on a besoin de l’oublier.
Est-ce que votre texte respecte ou bafoue la tradition du conte urbain ?
Mon texte obéit aux règles du conte urbain: un personnage raconte une histoire à un public. C’est un bon élève qui ne déroge pas trop de la tradition. J’avais envie d’explorer le genre, d’y entrer avec mon humour, mes mots, ma parole, mais d’y entrer en enlevant mes souliers.
Est-ce que les gens qui connaissent bien votre écriture seront surpris de la direction que prend votre conte ?
Absolument pas. C’est un texte caustique, qui tente à la fois de déployer et de pourfendre la beauté de la faiblesse humaine. J’aborde l’écriture comme je m’aborde moi-même chaque jour, avec autodérision. Toujours. Incapable de faire autrement. Catherine Trudeau entre d’ailleurs dans mon univers avec naturel, comme si nous étions la version écrite et parlée d’un même tout. Elle comprend mon humour et ce qui se cache derrière.
Est-ce que votre conte a quelque chose de typiquement québécois ?
Tout est typiquement québécois dans mon conte: la langue, le lieu, le personnage. Mais, en même temps, les enjeux sont universels.
Avez-vous été influencé par une quelconque actualité ?
Mon ici et maintenant a le visage d’une petite fille de deux ans. J’aurais pu parler des soulèvements étudiants, de la charte des valeurs, de la corruption, mais j’aurais imité ceux qui sont capables d’en parler beaucoup mieux que moi et mon texte aurait souffert d’un cancer-du-texte incurable : le cliché. Mon élan initial prend ses racines dans la société, mais je transforme la matière, je me l’approprie.
Qui est le personnage qui s’adresse à nous dans votre conte ?
Mon personnage raconte «votre» histoire, il s’adresse aux spectateurs au « vous ». « Vous » comme « moi ». « Vous » comme « nous ». « Vous » comme « elle ». Mais un « vous » qui appelle l’empathie du juge extérieur. C’est le « vous » qui vit l’histoire. Promis que ce n’est pas un conte dont vous êtes le héros.
Que six jeunes auteurs dramatiques d’une même génération investissent les Contes urbains, quel sens ça a pour vous ?
Que ça fait 20 ans que ça existe. Et que ça va exister encore longtemps. Parce que la relève est là pour crier. Pour chuchoter. Pour raconter. J’avais dix ans la première fois que les Contes urbains ont eu lieu. J’en ai trente. Les histoires nous éloignent de notre finitude. Et Yvan ne va pas éteindre la lumière.
Lisez ou relisez le premier billet de la série, consacré à Martin Bellemare.
Lisez ou relisez le deuxième billet de la série, consacré à Sébastien David.
Contes urbains 2013
Production Théâtre Urbi et Orbi. Textes : Martin Bellemare, Sébastien David, Rébecca Déraspe, Annick Lefebvre, Julie-Anne Ranger-Beauregard et Olivier Sylvestre. Mise en contes : Stéphane Jacques. Avec Mathieu Gosselin, Rachel Graton, Hubert Lemire, Marie-Ève Milot, Hubert Proulx et Catherine Trudeau. Musique : Viviane Audet et Robin-Joël Cool. Scénographie : Elen Ewing. Éclairages : Alexandre Pilon-Guay. À La Licorne du 3 au 21 décembre 2013.