Critiques

Jamais Lu Québec : Auteurs en quête d’imperfections

En intitulant sa soirée de clôture Fuck la perfection, la troisième édition du festival du Jamais Lu de Québec annonçait un discours rebelle, un peu sauvage, décalé. C’est toutefois une messe sur le doute et le «moi», avec quelques écarts vers l’autre, que nous a proposé Édith Patenaude, qui succèdera à Anne-Marie Olivier à la direction artistique dès la saison prochaine.

Les deux premières soirées du Jamais Lu présentaient des lectures de textes, aboutis ou en gestation, au bar-coop L’AgitéE. Michel Nadeau et Maryse Lapierre  ont dévoilé respectivement Diamant de nous-mêmes ou la fin de Johnny Weissmüller et Le bruit des fantômes dans leur version intégrale, alors que Marc Auger Gosselin, Véronique Côté, Isabelle Hubert, Jean-Michel Girouard et Daniel Danis, ont présenté des extraits.

Ce cabaret festif, présenté au Théâtre Périscope, se voulait le lieu de tous les possibles où paroles, fictions, prises de position et danse collective se conjuguent, un «party de mots et de beats pour faire peur à nos angoisses», qui réunissait Simon Boulerice, Maud De Palma-Duquet, Joanie Lehoux, Marianne Marceau, Jocelyn Pelletier, Elkahna Talbi, Matthieu Dugal et Édith Patenaude, qui signait également la mise en scène. Patenaude a eu l’idée d’agencer les écrits de chacun, disparates malgré le thème commun, en les intercalant par correspondance, les faisant se répondre sans rien forcer. En gardant tous les auteurs/acteurs dans l’espace scénique central comme un chœur de corps en mouvement, parfois attentifs, parfois illustrant les situations théâtrales qui étaient racontées, elle a installé l’image d’un clan inclusif, qui invitait le public à être attentif.

En ouverture, un texte poétique et poignant, puis un chant, signé Mykalle Bielinski (qui sera aux platines toute la soirée), a résonné comme un aveu d’impuissance, une ode au courage, un chant d’espoir. Puis, pour ses «défis», Édith Patenaude, qui voulait se mettre en danger, a décidé de confier les prochaines décisions de sa vie au public, à qui l’on demandait de voter à main levée. Un exercice intéressant, fait avec humour mais qui pourtant a laissé l’impression de ne pas avoir entendu ce que l’artiste avait à dire, si ce n’est une succession de pensées personnelles peinant à masquer un manque d’inspiration. L’auteur qui se met en scène, qui réfléchit à haute voix, est un personnage qui a été largement exploité dans la dramaturgie, et le plus souvent avec davantage d’échos.

Joanie Lehoux a raconté dans un monologue comment une jeune fille qui croit aux contes de fées devient médiatrice de cour d’école, puis activiste convaincue de la bonté profonde de l’humain, puis idéaliste trahie par le Dalaï-Lama, qui a reconnu dans un ouvrage avoir baissé les bras pour libérer le peuple tibétain du joug chinois. La finale, inattendue, tient plus de la fin d’une nouvelle littéraire que de la conclusion d’une montée dramatique, mais le texte comporte de bons moments, des phrases bien tournées qui n’ont pas (encore) l’effet coup-de-poing que la jeune auteure semble vouloir donner.

Le double récit d’Elkahna Talbi évoquait également la peur des bombes et de l’autre, en présentant d’abord ce que pense un homme, dans un autobus, devant un étranger qui semble ne pas pouvoir tenir en place, puis en faisant entendre ce que pense cet étranger de l’homme qui l’observe avec insistance. Nous sommes dans les mêmes eaux que II, une production du théâtre du Nouvel-Ontario dans laquelle Talbi jouait une femme musulmane, soupçonnée par son mari policier et canadien d’être une terroriste. La petite forme est bien livrée, on ne peut toutefois s’empêcher d’être un peu déçu que l’expérience de performance poétique (spoken word) de celle qui se produit sous le nom de Queen Ka n’ait pas davantage été mise de l’avant.

Avec audace, Jocelyn Pelletier s’est lancé dans des interventions slammées, chantées, scandées qui nomment et tournent en dérision les dépendances aux réseaux sociaux, le nombrilisme ambiant, les aveuglements de la société de consommation, le vide ambiant.

Marianne Marceau a offert une analyse littéraire et sociologique des plus sérieuses et rigoureuses (et par conséquent hilarante) sur le roman Chez Trixie de la série Frissons. Décortiquant minutieusement les symboles des pages de couverture, expliquant les origines anthropologiques de la peur de l’autre depuis la préhistoire, l’actrice (qui a signé la merveilleuse adaptation théâtrale de Dévadé) a livré un monologue des plus réussis.

Matthieu Dugal, Simon Boulerice et Maud De Palma-Duquet se sont inspirés de leur quotidien et de leur histoire personnelle. Le chroniqueur Matthieu Dugal a amorcé son intervention en communiquant son sentiment d’être un imposteur dans cet événement théâtral, puis il a enchaîné les statuts Facebook, du plus banal ou plus politisé, qui récoltent des «likes», révèlent sa pensée par morceaux et collent à la présence médiatique de l’animateur.

Maud De Palma Duquet a livré un monologue plein de fraîcheur et très bien écrit sur ses origines aisées, l’histoire de son nom, son karma dans la balance des drames qui frappent l’humanité. «Il faut écrire sur ce qu’on connaît», dit-elle au début et on ne peut que constater combien pour elle la leçon a porté fruit.

Simon Boulerice, fidèle à lui-même, a raconté l’histoire d’un alter ego en quête d’amour et d’attention, qui donnerait tout pour être un gars qu’on siffle dans la rue ou un chanteur émouvant. N’étant ni un ni l’autre, mais le devenant grâce à sa manière inimitable de gagner la sympathie du public, il a fait la démonstration que l’imperfection peut être des plus attachantes.

La troisième édition du Festival du Jamais Lu à Québec s’est déroulée du 28 au 30 novembre 2013.