La cuvée 2013 des Contes urbains ne risque pas d’être banale! En effet, cette année, six jeunes auteurs ont pris possession de la tribune. Gageons que Martin Bellemare, Sébastien David, Rébecca Déraspe, Annick Lefebvre, Julie-Anne Ranger-Beauregard et Olivier Sylvestre sauront insuffler une énergie toute nouvelle à cette tradition du temps des Fêtes.
Les auteurs des Contes urbains 2013 ont accepté de répondre à mes questions. Consacré à Julie-Anne Ranger-Beauregard, ce billet est le cinquième d’une série de 6.
Julie-Anne Ranger-Beauregard
Récipiandaire en 2003 du prix de l’Égrégore pour sa première pièce, Le creux de la peau, elle reçoit son diplôme de l’École nationale de théâtre en 2010. Sa pièce La patte du loup lui a valu en 2011 une mention spéciale du jury du Prix Gratien-Gélinas. Guillaume Sauriol-Lacoste a mis en scène Les sauvages au Théâtre de l’Esquisse en 2011. Ajoutons qu’elle a remporté la 7e édition du concours «Le théâtre jeune public et la relève» pour sa pièce La famille Pépin, qui a été présentée au Collège Lionel-Groulx en 2011 et à la Maison Théâtre en 2012.
Quel est votre plus beau souvenir du temps des Fêtes?
Je garde une impression paisible et heureuse des Noëls de mon enfance. Il y avait de la musique partout dans la maison, un sapin multicolore que je regardais le soir avant d’aller me coucher. Je repense à ma mère et son parfum et ses boucles d’oreilles, à mes parents en pyjama le matin du 25, quand on déballait les cadeaux. Le 24 au soir, ma petite sœur et moi on écoutait Suzy Frisette (c’était un impératif) et ensuite on dormait ensemble, dans un de nos petits lits. On s’impatientait et on bougeait nos pieds partout sous les couvertures. C’est toujours moi qui me réveillais la première (ça a bien changé) et je devais attendre 7h du matin avant d’aller sauter dans le lit des parents… Longues et pénibles minutes d’attente! En vieillissant, Noël a perdu un peu de sa magie, c’est sûr. Gestion d’agendas, achats de cadeaux en vitesse le 23 décembre (je n’arrive pas à le faire plus tôt) et impression que tout passe beaucoup trop vite et sans la paix d’avant. Mais quelque chose me dit que la magie va finir par revenir…
Que signifient pour vous les mots «contes» et «urbains»?
Étrangement, deux choses bien différentes pour moi, presque opposées. Le conte, c’est l’imaginaire, la liberté, la mythologie, l’émotion, la magie, le cœur, la chaleur, la réunion, le partage, c’est sans ironie, c’est plein, habité, authentique et on s’y laisse aller. Le mot «urbain»m’énerve. Urbain, c’est désincarné. C’est stratégique, brusque, volontaire, à la mode, trash pour être trash, une esthétique du laid et du déshumanisé. Ce n’est pas organique et surtout, ça concerne les armures derrière lesquelles on cache nos fragilités. Alors «conte urbain»? Je suis restée longtemps devant cette question, au moment d’écrire mon conte, à savoir ce que cette contradiction voulait dire pour moi. Je pense que j’ai trouvé: le lieu de rencontre entre l’animal et l’homme.
Est-ce que votre texte respecte ou bafoue la tradition du conte urbain?
J’ai voulu aller chercher ce qui m’émeut dans le conte. Sa force d’évocation, sa mémoire. J’ai construit un monde qui m’est apparu comme étant bourré de possibilités. Où est l’urbanité là-dedans? Dans le lieu. Montréal. Une ville qui n’existe pas encore. Je me suis concentrée sur l’espace qu’on occupe. Sur ce qui est porté, supporté par cet espace. Ce qui s’y est passé et ce qui s’y passera. J’ai voulu rendre vivant ce que je trouve plastique. Essayer de retrouver la chair sous la pelure.
Est-ce que les gens qui connaissent bien votre écriture seront surpris de la direction que prend votre conte?
Probablement pas. J’ai, disons, deux axes d’écriture. Un qui est plus ancestral, qui appelle mon imaginaire, ma mémoire, ma possibilité de croire et de voir, une écriture qui touche à la vie elle-même. L’autre serait davantage spontané, immédiat et dans l’urgence, qualifions-le d’actuel. Mon conte est du premier axe. Fortement. Ça m’a fait du bien d’y retourner. Quelqu’un qui connaît mon travail m’y reconnaîtra tout de suite. Mes thèmes, ma langue, mon souffle, mon univers initial… Tout est là, même malgré moi. J’ai essayé de me déjouer pourtant! Mais quelque chose vivait sous la terre. C’était partout dans les racines, ça m’est remonté dans le corps comme une évidence. On ne se quitte jamais vraiment soi-même… C’est tant mieux.
Est-ce que votre conte a quelque chose de typiquement québécois?
Oui, quelque chose qui appartient à notre histoire, à notre naissance. Quelque chose qui nous ramène à notre arrivée sur les rives du Saint-Laurent. C’était primordial pour moi de parler du Québec. C’est la faute de Fred Pellerin. Je pleure toujours, en l’écoutant. C’est de la terre qui gronde, ça appelle ceux qui ont été là avant moi, ça fait aimer ceux qui seront là après.
De quoi fallait-il absolument (ou absolument pas) que vous parliez dans ce conte?
Je voulais parler de l’origine des choses, des gens. La vie condensée qu’on porte et qu’on voudrait donner pour qu’elle continue.
Qui est le personnage qui s’adresse à nous dans votre conte?
Ah! Suspense…
Que six jeunes auteurs dramatiques d’une même génération investissent les Contes urbains, quel sens ça a pour vous?
Oh! Ça, ça me rend vraiment fière. D’abord parce que j’aime ces gens-là avec qui j’écris. Leur travail, à chacun, leur singularité, leur sincérité. On forme une très belle équipe. Il y en a un super grand et une super petite. Trois gars, trois filles. On pourrait être une équipe populaire dans un film pour adolescents passionnés de théâtre. Je suis fière, aussi, parce que j’aime La Licorne, j’ai toujours aimé cet endroit où tout est libre. On est accueillis dans la maison à bras ouverts, avec des yeux brillants et des sourires faits pour tomber en amour. Aussi, je trouve profondément généreux et émouvant qu’Yvan Bienvenue nous offre de l’espace et du temps. Les Contes urbains, c’est une tradition, et voilà qu’on y parle pour la première fois. C’est un beau grand rassemblement. Ça m’émeut, ça me rend fière, ça me donne envie de sauter là-dedans et de prendre la place qu’on me lègue, ça me donne envie de dire merci et de me souvenir de tout ce qui a permis à cette belle édition d’exister.
Lisez ou relisez le premier billet de la série, consacré à Martin Bellemare.
Lisez ou relisez le deuxième billet de la série, consacré à Sébastien David.
Lisez ou relisez le troisième billet de la série, consacré à Rébecca Déraspe.
Lisez ou relisez le quatrième billet de la série, consacré à Annick Lefebvre.
Production Théâtre Urbi et Orbi. Textes: Martin Bellemare, Sébastien David, Rébecca Déraspe, Annick Lefebvre, Julie-Anne Ranger-Beauregard et Olivier Sylvestre. Mise en contes: Stéphane Jacques. Avec: Mathieu Gosselin, Rachel Graton, Hubert Lemire, Marie-Ève Milot, Hubert Proulx et Catherine Trudeau. Musique: Viviane Audet et Robin-Joël Cool. Scénographie: Elen Ewing. Éclairages: Alexandre Pilon-Guay. À La Licorne du 3 au 21 décembre.
La cuvée 2013 des Contes urbains ne risque pas d’être banale! En effet, cette année, six jeunes auteurs ont pris possession de la tribune. Gageons que Martin Bellemare, Sébastien David, Rébecca Déraspe, Annick Lefebvre, Julie-Anne Ranger-Beauregard et Olivier Sylvestre sauront insuffler une énergie toute nouvelle à cette tradition du temps des Fêtes.
Les auteurs des Contes urbains 2013 ont accepté de répondre à mes questions. Consacré à Julie-Anne Ranger-Beauregard, ce billet est le cinquième d’une série de 6.
Julie-Anne Ranger-Beauregard
Récipiandaire en 2003 du prix de l’Égrégore pour sa première pièce, Le creux de la peau, elle reçoit son diplôme de l’École nationale de théâtre en 2010. Sa pièce La patte du loup lui a valu en 2011 une mention spéciale du jury du Prix Gratien-Gélinas. Guillaume Sauriol-Lacoste a mis en scène Les sauvages au Théâtre de l’Esquisse en 2011. Ajoutons qu’elle a remporté la 7e édition du concours «Le théâtre jeune public et la relève» pour sa pièce La famille Pépin, qui a été présentée au Collège Lionel-Groulx en 2011 et à la Maison Théâtre en 2012.
Quel est votre plus beau souvenir du temps des Fêtes?
Je garde une impression paisible et heureuse des Noëls de mon enfance. Il y avait de la musique partout dans la maison, un sapin multicolore que je regardais le soir avant d’aller me coucher. Je repense à ma mère et son parfum et ses boucles d’oreilles, à mes parents en pyjama le matin du 25, quand on déballait les cadeaux. Le 24 au soir, ma petite sœur et moi on écoutait Suzy Frisette (c’était un impératif) et ensuite on dormait ensemble, dans un de nos petits lits. On s’impatientait et on bougeait nos pieds partout sous les couvertures. C’est toujours moi qui me réveillais la première (ça a bien changé) et je devais attendre 7h du matin avant d’aller sauter dans le lit des parents… Longues et pénibles minutes d’attente! En vieillissant, Noël a perdu un peu de sa magie, c’est sûr. Gestion d’agendas, achats de cadeaux en vitesse le 23 décembre (je n’arrive pas à le faire plus tôt) et impression que tout passe beaucoup trop vite et sans la paix d’avant. Mais quelque chose me dit que la magie va finir par revenir…
Que signifient pour vous les mots «contes» et «urbains»?
Étrangement, deux choses bien différentes pour moi, presque opposées. Le conte, c’est l’imaginaire, la liberté, la mythologie, l’émotion, la magie, le cœur, la chaleur, la réunion, le partage, c’est sans ironie, c’est plein, habité, authentique et on s’y laisse aller. Le mot «urbain»m’énerve. Urbain, c’est désincarné. C’est stratégique, brusque, volontaire, à la mode, trash pour être trash, une esthétique du laid et du déshumanisé. Ce n’est pas organique et surtout, ça concerne les armures derrière lesquelles on cache nos fragilités. Alors «conte urbain»? Je suis restée longtemps devant cette question, au moment d’écrire mon conte, à savoir ce que cette contradiction voulait dire pour moi. Je pense que j’ai trouvé: le lieu de rencontre entre l’animal et l’homme.
Est-ce que votre texte respecte ou bafoue la tradition du conte urbain?
J’ai voulu aller chercher ce qui m’émeut dans le conte. Sa force d’évocation, sa mémoire. J’ai construit un monde qui m’est apparu comme étant bourré de possibilités. Où est l’urbanité là-dedans? Dans le lieu. Montréal. Une ville qui n’existe pas encore. Je me suis concentrée sur l’espace qu’on occupe. Sur ce qui est porté, supporté par cet espace. Ce qui s’y est passé et ce qui s’y passera. J’ai voulu rendre vivant ce que je trouve plastique. Essayer de retrouver la chair sous la pelure.
Est-ce que les gens qui connaissent bien votre écriture seront surpris de la direction que prend votre conte?
Probablement pas. J’ai, disons, deux axes d’écriture. Un qui est plus ancestral, qui appelle mon imaginaire, ma mémoire, ma possibilité de croire et de voir, une écriture qui touche à la vie elle-même. L’autre serait davantage spontané, immédiat et dans l’urgence, qualifions-le d’actuel. Mon conte est du premier axe. Fortement. Ça m’a fait du bien d’y retourner. Quelqu’un qui connaît mon travail m’y reconnaîtra tout de suite. Mes thèmes, ma langue, mon souffle, mon univers initial… Tout est là, même malgré moi. J’ai essayé de me déjouer pourtant! Mais quelque chose vivait sous la terre. C’était partout dans les racines, ça m’est remonté dans le corps comme une évidence. On ne se quitte jamais vraiment soi-même… C’est tant mieux.
Est-ce que votre conte a quelque chose de typiquement québécois?
Oui, quelque chose qui appartient à notre histoire, à notre naissance. Quelque chose qui nous ramène à notre arrivée sur les rives du Saint-Laurent. C’était primordial pour moi de parler du Québec. C’est la faute de Fred Pellerin. Je pleure toujours, en l’écoutant. C’est de la terre qui gronde, ça appelle ceux qui ont été là avant moi, ça fait aimer ceux qui seront là après.
De quoi fallait-il absolument (ou absolument pas) que vous parliez dans ce conte?
Je voulais parler de l’origine des choses, des gens. La vie condensée qu’on porte et qu’on voudrait donner pour qu’elle continue.
Qui est le personnage qui s’adresse à nous dans votre conte?
Ah! Suspense…
Que six jeunes auteurs dramatiques d’une même génération investissent les Contes urbains, quel sens ça a pour vous?
Oh! Ça, ça me rend vraiment fière. D’abord parce que j’aime ces gens-là avec qui j’écris. Leur travail, à chacun, leur singularité, leur sincérité. On forme une très belle équipe. Il y en a un super grand et une super petite. Trois gars, trois filles. On pourrait être une équipe populaire dans un film pour adolescents passionnés de théâtre. Je suis fière, aussi, parce que j’aime La Licorne, j’ai toujours aimé cet endroit où tout est libre. On est accueillis dans la maison à bras ouverts, avec des yeux brillants et des sourires faits pour tomber en amour. Aussi, je trouve profondément généreux et émouvant qu’Yvan Bienvenue nous offre de l’espace et du temps. Les Contes urbains, c’est une tradition, et voilà qu’on y parle pour la première fois. C’est un beau grand rassemblement. Ça m’émeut, ça me rend fière, ça me donne envie de sauter là-dedans et de prendre la place qu’on me lègue, ça me donne envie de dire merci et de me souvenir de tout ce qui a permis à cette belle édition d’exister.
Lisez ou relisez le premier billet de la série, consacré à Martin Bellemare.
Lisez ou relisez le deuxième billet de la série, consacré à Sébastien David.
Lisez ou relisez le troisième billet de la série, consacré à Rébecca Déraspe.
Lisez ou relisez le quatrième billet de la série, consacré à Annick Lefebvre.
Contes urbains 2013
Production Théâtre Urbi et Orbi. Textes: Martin Bellemare, Sébastien David, Rébecca Déraspe, Annick Lefebvre, Julie-Anne Ranger-Beauregard et Olivier Sylvestre. Mise en contes: Stéphane Jacques. Avec: Mathieu Gosselin, Rachel Graton, Hubert Lemire, Marie-Ève Milot, Hubert Proulx et Catherine Trudeau. Musique: Viviane Audet et Robin-Joël Cool. Scénographie: Elen Ewing. Éclairages: Alexandre Pilon-Guay. À La Licorne du 3 au 21 décembre.