Critiques

Face au mur : Comme des somnambules vers la catastrophe

Après Kolik, présenté à l’Usine C au printemps dernier, Hubert Colas revient avec trois courtes pièces, signées d’un des plus brillants dramaturges britanniques contemporains, Martin Crimp: Ciel bleu ciel (Whole blue Sky), Face au mur (Face to the Wall) et Tout va mieux (Fewer Emergencies).

Certains textes de Crimp ont été ici portés à la scène, par Claude Poissant (Le Traitement, en 2005) ou Sébastien Dodge (La Campagne, en 2009) et on le retrouvera dans une mise en scène de Denis Marleau la semaine prochaine à Espace Go avec La Ville. L’auteur est connu pour manier la dérision avec une finesse et une habileté confondantes, avec une ironie plus incisive qu’une lame de rasoir.

D’entrée de jeu, l’image est saisissante: sur le plateau, entièrement recouvert de ballons gonflables blancs, un personnage se tient immobile, un revolver à la main. D’une voix presqu’inaudible, il annonce le titre et les intentions des pièces: lieu neutre, ton neutre. Une mer de ballons comme un ciel de nuages, un sol qui flotte, se soulève et se dérobe…

Les comédiens, en costume et robe de soirée, se plantent dans cet univers mouvant,  fuyant, terriblement poétique. Le texte lui aussi, est terrible et poétique, dénonçant cette «tyrannie du bonheur» à tout prix (thèse chère à Pascal Bruckner), dont le manque signerait une existence ratée, cette quête obstinée qui, comme une excuse, nous dispense d’une conscience philosophique ou sociétale. Car, chez Colas, la photo du bonheur se voile pour ne garder que les silhouettes, noires et anonymes.

Comme le sont ses personnages. Debout, face au public, les cinq comédiens, par la précision de leur jeu dont toute émotion est volontairement absente, et dans une grande intelligence du texte, distillent une subtile inquiétude, en s’avançant jusqu’au bord de la rupture.

Et si ces personnages nous parlaient depuis l’au-delà? Cette image «céleste» ne serait donc qu’une vision de l’enfer aseptisé de notre réalité? Un constat qui fait froid dans le dos, mais que le théâtre interroge avec insistance. Ayant vu la veille Le Souffleur de verre, de Denis Lavalou à Espace Libre, je ne peux m’empêcher de faire un rapprochement – qui pourrait tenir du grand écart – entre les deux pièces. Esthétique trash de Lavalou ou léchée de Colas, dans l’une comme dans l’autre, le constat sur l’humain est implacable et illustre la brillante réflexion du sociologue Edgar Morin: «nous avançons comme des somnambules vers la catastrophe».

Une consolation, cependant: cela fait de tellement beaux spectacles! À l’un comme à l’autre, courez…

Face au mur. Texte de Martin Crimp. Mise en scène et scénographie de Hubert Colas. Une production de Diphtong Cie, le Théâtre du Gymnase à Marseille, le festival d’Avignon et le festival Perspectives de Sarrebrück. À l’Usine C jusqu’au 25 janvier 2014.