Ce n’est pas véritablement une reprise, mais plutôt une «recréation», que ce Moi, Feuerbach, 18 ans après sa première présentation. Si les principaux artisans sont toujours présents (Téo Spychalski à la mise en scène et Gabriel Arcand dans le rôle titre), les personnages secondaires sont joués par d’autres, et la scénographie a évolué, comme, sans doute, la mise en scène (mais je ne puis en témoigner, n’ayant pas vu le spectacle en 1995).
Feuerbach est comédien, et il est venu passer une audition. Mais le metteur en scène n’est pas là et le jeune assistant, qu’il qualifie d’ignare, devient à la fois son seul public et sa raison d’être. Car sans public, Feuerbach n’est rien. Lui qui a passé sept ans loin des planches doit faire la preuve qu’il a encore son mot à dire, qu’il n’est pas dépassé, périmé.
Au moment où Feuerbach entre en scène, le spectateur entre dans les méandres de son esprit, un esprit à la fois arrogant et fragile, extravagant et abîmé, génial et malade. On assiste ainsi en temps réel à la décomposition d’un homme qui paraît de prime abord fier et égocentrique pour se révéler vulnérable et pathétique.
Dans ce texte de Tankred Dorst, c’est toute la fragilité de la condition humaine qui est mise à nu. L’auteur allemand jette toutefois un regard particulièrement acéré sur la création théâtrale, les rapports paradoxaux entre le comédien et le metteur en scène, les problématiques de composition d’un personnage, la nécessité d’être en pleine possession de tous ses moyens pour travailler, etc. Le texte, quoique d’une forme peu originale, est criant de vérité. Et le rôle de Feuerbach sied fort bien à Gabriel Arcand.
Le spectacle repose d’ailleurs tout entier sur sa prestation, car les autres éléments sont peu convaincants. Dans le rôle de faire-valoir, Alex Bisping surjoue et agace, de même que les projections d’oiseaux figurant la plongée de Feuerbach dans un imaginaire psychotique. Arcand, quant à lui, brille tout au long de la pièce, laissant progressivement transparaître les failles du personnage dans son corps, son visage et sa voix, jusqu’à ce que nous apparaisse, dans toute sa tristesse, le vieil homme usé et malade qu’il est en réalité.
Dans le numéro 75 de Jeu, en 1995, Solange Lévesque écrivait: «Possédé par son personnage et le possédant tout entier, Arcand habite Feuerbach avec la concentration et la générosité qu’on lui connaît, tour à tour pitoyable, admirable, familier, inatteignable, léger, terrifiant ou incommensurablement douloureux.» Ce commentaire est toujours d’actualité.
Moi, Feuerbach. Texte de Tankred Dorst. Mise en scène de Téo Spychalski. Une production du Groupe de la Veillée. Au Théâtre Prospero jusqu’au 8 février 2014.
Ce n’est pas véritablement une reprise, mais plutôt une «recréation», que ce Moi, Feuerbach, 18 ans après sa première présentation. Si les principaux artisans sont toujours présents (Téo Spychalski à la mise en scène et Gabriel Arcand dans le rôle titre), les personnages secondaires sont joués par d’autres, et la scénographie a évolué, comme, sans doute, la mise en scène (mais je ne puis en témoigner, n’ayant pas vu le spectacle en 1995).
Feuerbach est comédien, et il est venu passer une audition. Mais le metteur en scène n’est pas là et le jeune assistant, qu’il qualifie d’ignare, devient à la fois son seul public et sa raison d’être. Car sans public, Feuerbach n’est rien. Lui qui a passé sept ans loin des planches doit faire la preuve qu’il a encore son mot à dire, qu’il n’est pas dépassé, périmé.
Au moment où Feuerbach entre en scène, le spectateur entre dans les méandres de son esprit, un esprit à la fois arrogant et fragile, extravagant et abîmé, génial et malade. On assiste ainsi en temps réel à la décomposition d’un homme qui paraît de prime abord fier et égocentrique pour se révéler vulnérable et pathétique.
Dans ce texte de Tankred Dorst, c’est toute la fragilité de la condition humaine qui est mise à nu. L’auteur allemand jette toutefois un regard particulièrement acéré sur la création théâtrale, les rapports paradoxaux entre le comédien et le metteur en scène, les problématiques de composition d’un personnage, la nécessité d’être en pleine possession de tous ses moyens pour travailler, etc. Le texte, quoique d’une forme peu originale, est criant de vérité. Et le rôle de Feuerbach sied fort bien à Gabriel Arcand.
Le spectacle repose d’ailleurs tout entier sur sa prestation, car les autres éléments sont peu convaincants. Dans le rôle de faire-valoir, Alex Bisping surjoue et agace, de même que les projections d’oiseaux figurant la plongée de Feuerbach dans un imaginaire psychotique. Arcand, quant à lui, brille tout au long de la pièce, laissant progressivement transparaître les failles du personnage dans son corps, son visage et sa voix, jusqu’à ce que nous apparaisse, dans toute sa tristesse, le vieil homme usé et malade qu’il est en réalité.
Dans le numéro 75 de Jeu, en 1995, Solange Lévesque écrivait: «Possédé par son personnage et le possédant tout entier, Arcand habite Feuerbach avec la concentration et la générosité qu’on lui connaît, tour à tour pitoyable, admirable, familier, inatteignable, léger, terrifiant ou incommensurablement douloureux.» Ce commentaire est toujours d’actualité.
Moi, Feuerbach. Texte de Tankred Dorst. Mise en scène de Téo Spychalski. Une production du Groupe de la Veillée. Au Théâtre Prospero jusqu’au 8 février 2014.