Critiques

2050 Mansfield : Chambres fortes

C’est bien connu, les membres de la 2e Porte à Gauche affectionnent tout particulièrement les créations qui se déroulent hors les murs. Après avoir investi des parcs, des vitrines, des appartements et même un club de danseuses nues, le collectif jette cette fois son dévolu sur un chic hôtel du centre-ville de Montréal. Cette nouvelle expérience in situ, belle et folle aventure s’appuyant sur des rencontres entre chorégraphes et metteurs en scène, s’intitule 2050 Mansfield.

Catherine Gaudet a travaillé avec Jérémie Niel, Catherine Vidal avec Frédérick Gravel, Virginie Brunelle avec Olivier Kemeid, et Marie Béland avec Olivier Choinière. Dans chacune des quatre chambres, vingt spectateurs vont à la rencontre de deux personnages. Oser entrer, risquer de s’engouffrer, c’est accepter de s’immiscer dans une situation, un rapport, consentir à tenir un rôle plus ou moins actif (mais jamais passif) dans une histoire pas banale.

Le cadre semble avoir tout naturellement poussé les tandems de créateurs du côté des relations de couple. Sous la houlette de Gaudet et Niel, Francis Ducharme et Clara Furey sont de frénétiques réincarnations de Roméo et Juliette. Dans cette chambre, la vie et la mort se livrent un impitoyable combat. Ai-je besoin de vous dire que ce duo tragique et dérisoire, tendre et cruel, captive de bout en bout? Non seulement les intentions sont aussi précises que les mouvements, mais la partition est exécutée avec une conviction stupéfiante. Assister de si près à un pareil déploiement d’énergie, c’est un privilège. Marquant.

Béland et Choinière ont fait appel à Mathieu Gosselin et Marilyne St-Sauveur. D’abord franchement humoristique, ce duo se fait de plus en plus grinçant, de plus en plus violent. Dans cette chambre, de loin la plus participative des quatre, celle où on accuse le plus franchement la présence du spectateur, jamais ne retentissent les voix des acteurs. Leur dialogue, fait de motifs répétés, de phrases préenregistrées, banales ou assassines, est entièrement construit à partir de répliques arrachées au cinéma. Le procédé est sans contredit de ceux auquel Choinière nous a habitués. Brillant.

Dans la chambre de Brunelle et Kemeid, où plane indéniablement le deuil, on découvre Marc Béland et Isabelle Arcand. L’homme paraît avoir survécu à celle qu’il aime. En l’observant poser des gestes quotidiens, manger, écouter la télévision, on a l’impression qu’il s’efforce d’exister en son absence, qu’il essaie tant bien que mal de se raccrocher à la vie sans elle. Mais c’est peine perdue. La belle ne cesse de réapparaître. Elle surgit de derrière le lit. Sors d’une armoire. Des images de son visage et son corps parcourent les murs. Émouvant.

Frédérick Gravel et Catherine Vidal ont confié leur univers à Emmanuel Schwartz et Peter James. Le soir où j’y suis allé, Schwartz, souffrant, avait été remplacé au pied levé par Gravel. Difficile de dire exactement ce qui lie ces deux personnages un peu louches. Ils semblent lutter contre une force mystérieuse, quelque chose qui cherche à les posséder, ou peut-être même à les unir. Disons que l’étrangeté est au rendez-vous. Tout comme l’humour d’ailleurs. Il faut voir James se débattre frénétiquement avec la literie avant de se transformer en bête rampante! Envoûtant.

Ce genre de spectacle, qui nous fait découvrir de nouveaux horizons, qui brouille les cartes, joue avec les conventions, mélange les disciplines et surtout réinvente le rapport entre la scène et la salle, l’œuvre et le public, dieu sait qu’on en voudrait plus, beaucoup plus!

2050 Mansfield

Chorégraphie et mise en scène: Marie Béland, Virginie Brunelle, Olivier Choinière, Catherine Gaudet, Frédérick Gravel, Olivier Kemeid, Jérémie Niel et Catherine Vidal. Direction artistique: Katya Montaignac. Musique: Éric Forget et Thomas Furey. Vidéo: Jérémie Battaglia. Avec Isabelle Arcand, Marc Béland, Francis Ducharme, Clara Furey, Mathieu Gosselin, Peter James, Marilyne St-Sauveur et Emmanuel Schwartz. Une production de la 2e Porte à Gauche. À l’Hôtel le Germain Montréal jusqu’au 9 février 2014.

Christian Saint-Pierre

Critique de théâtre, on peut également le lire dans Le Devoir et Lettres québécoises. Il a été rédacteur en chef et directeur de JEU de 2011 à 2017.