Depuis son premier texte publié, Guillaume Corbeil ne cache pas une certaine fascination pour les formes musicales baroques. Dans le stupéfiant L’art de la fugue, le sujet y était présenté avec son contre-sujet, avant d’être renversé, suggéré, cité (à travers un mot, un adjectif) dans une nouvelle sans lien apparent avec la précédente. Plus récemment, dans Cinq visages pour Camille Brunelle, il nous proposait assurément un univers polyphonique dense, lui aussi porteur de lectures en strates.
Avec Tu iras la chercher, il revient au thème de la fugue, à prendre au sens littéral aussi bien que musical. Une femme, jamais nommée, part à la recherche d’elle-même, ou plutôt de son double. Est-elle devenue en esprit ce personnage de téléroman qui la fascine? N’est-elle capable d’accepter la vacuité de sa vie qu’en se projetant dans un ailleurs parallèle, dans lequel sa voix n’est plus la même? «Tu as vu tellement de scènes dans ta vie / Comment savoir lesquelles tu as vécues à la première personne?»
Adoptant une narration au «tu», l’auteur favorise une distanciation, une démultiplication du motif identitaire. Cela pourrait créer une barrière entre comédienne et public, mais étrangement, cela permet plutôt à ce dernier de se glisser dans les interstices du texte, de croire qu’il lui est uniquement destiné, que d’une certaine façon il jaillit de lui, que Marie-France Lambert, admirable de contrôle, donnant l’impression au fur et à mesure de se liquéfier devant nous, comme si elle perdait tout contour défini, devenait notre propre voix. «Tu te demandes s’ils ne sont pas tous le reflet d’une seule et même personne / Répété encore et encore / Et si toi-même tu es un original ou une autre réflexion.»
Il semble cependant que Guillaume Corbeil n’ait pas entièrement assimilé les bases mêmes de la forme de la fugue, en trois grandes sections: exposition du motif dans chacune des voix (on pourrait parler ici d’une fugue à deux voix, une au je jamais assumé, sauf à deux occasions, l’autre au tu) et de son contre-sujet (absent ici), développement dans diverses tonalités (le retour à l’appartement, aéroports de Montréal, Zurich et Prague, divers lieux de Prague) et réexposition du thème, de façon plus ramassée. Quand, à la sixième scène, Marie-France Lambert reprend le texte du début, on se dit que le geste est brillant, surtout que la redite est ponctuée d’hésitations, de nouvelles gestuelles, d’interférences sonores, autant de scories qui donnent l’illusion de contempler le reflet du reflet ou de chercher à décrypter un dessin d’Escher.
Une fois que l’on réalise que le propos est ailleurs, que toute l’aria sera répétée, avec quelques légers ornements tout au plus (qui permettent néanmoins à Marie-France Lambert de briller, bien encadrée par Sophie Cadieux, qui signe ici sa première mise en scène), on a un peu l’impression d’être témoin d’une séance de postsynchro («Comme si ses mots étaient les tiens / Ou que c’était toi qui parlais»), qui évoque indirectement celle de Christian Lapointe dans L’homme atlantique. L’auteur a-t-il choisi sciemment de nous perdre dans les méandres de son texte? A-t-il voulu forcer juste un peu trop le trait? «Mais en même temps qu’est-ce que le naturel?»
Tu iras la chercher. Texte de Guillaume Corbeil. Mise en scène de Sophie Cadieux. Une production À l’Espace Go jusqu’au 22 mars 2014.
Depuis son premier texte publié, Guillaume Corbeil ne cache pas une certaine fascination pour les formes musicales baroques. Dans le stupéfiant L’art de la fugue, le sujet y était présenté avec son contre-sujet, avant d’être renversé, suggéré, cité (à travers un mot, un adjectif) dans une nouvelle sans lien apparent avec la précédente. Plus récemment, dans Cinq visages pour Camille Brunelle, il nous proposait assurément un univers polyphonique dense, lui aussi porteur de lectures en strates.
Avec Tu iras la chercher, il revient au thème de la fugue, à prendre au sens littéral aussi bien que musical. Une femme, jamais nommée, part à la recherche d’elle-même, ou plutôt de son double. Est-elle devenue en esprit ce personnage de téléroman qui la fascine? N’est-elle capable d’accepter la vacuité de sa vie qu’en se projetant dans un ailleurs parallèle, dans lequel sa voix n’est plus la même? «Tu as vu tellement de scènes dans ta vie / Comment savoir lesquelles tu as vécues à la première personne?»
Adoptant une narration au «tu», l’auteur favorise une distanciation, une démultiplication du motif identitaire. Cela pourrait créer une barrière entre comédienne et public, mais étrangement, cela permet plutôt à ce dernier de se glisser dans les interstices du texte, de croire qu’il lui est uniquement destiné, que d’une certaine façon il jaillit de lui, que Marie-France Lambert, admirable de contrôle, donnant l’impression au fur et à mesure de se liquéfier devant nous, comme si elle perdait tout contour défini, devenait notre propre voix. «Tu te demandes s’ils ne sont pas tous le reflet d’une seule et même personne / Répété encore et encore / Et si toi-même tu es un original ou une autre réflexion.»
Il semble cependant que Guillaume Corbeil n’ait pas entièrement assimilé les bases mêmes de la forme de la fugue, en trois grandes sections: exposition du motif dans chacune des voix (on pourrait parler ici d’une fugue à deux voix, une au je jamais assumé, sauf à deux occasions, l’autre au tu) et de son contre-sujet (absent ici), développement dans diverses tonalités (le retour à l’appartement, aéroports de Montréal, Zurich et Prague, divers lieux de Prague) et réexposition du thème, de façon plus ramassée. Quand, à la sixième scène, Marie-France Lambert reprend le texte du début, on se dit que le geste est brillant, surtout que la redite est ponctuée d’hésitations, de nouvelles gestuelles, d’interférences sonores, autant de scories qui donnent l’illusion de contempler le reflet du reflet ou de chercher à décrypter un dessin d’Escher.
Une fois que l’on réalise que le propos est ailleurs, que toute l’aria sera répétée, avec quelques légers ornements tout au plus (qui permettent néanmoins à Marie-France Lambert de briller, bien encadrée par Sophie Cadieux, qui signe ici sa première mise en scène), on a un peu l’impression d’être témoin d’une séance de postsynchro («Comme si ses mots étaient les tiens / Ou que c’était toi qui parlais»), qui évoque indirectement celle de Christian Lapointe dans L’homme atlantique. L’auteur a-t-il choisi sciemment de nous perdre dans les méandres de son texte? A-t-il voulu forcer juste un peu trop le trait? «Mais en même temps qu’est-ce que le naturel?»
Tu iras la chercher. Texte de Guillaume Corbeil. Mise en scène de Sophie Cadieux. Une production À l’Espace Go jusqu’au 22 mars 2014.