Critiques

Testament : Cri du cœur sans résonance

Pas facile de critiquer un spectacle dont le contexte de création est aussi chargé en émotion que celui de Testament, adapté du roman de Vickie Gendreau, qui est décédée l’an dernier d’une tumeur au cerveau. Avant même de voir la pièce, on a conscience qu’il serait de bon ton de la trouver de qualité. Parce que tout le Québec s’est ému de l’histoire de cette jeune femme partie trop vite (elle avait 23 ans), parce que tous ceux qui l’aimaient sont présents dans la salle, parce que la prestation artistique se confond avec l’hommage à la personne et la déclaration d’amour (le théâtre invite ceux qui le souhaitent à placer dans le hall des pots Masson remplis d’objets qui leur rappellent la disparue), parce que tout le monde, même ceux qui ne la connaissaient pas, appelle l’auteure par son prénom… Et quand on sort de la salle peu enthousiaste, on panique à l’idée d’exprimer son opinion, parce qu’on sait que l’on sera possiblement une des seules voix à contre-courant et que l’on risque de s’attirer les foudres.

Je n’ai pas lu le livre de Vickie Gendreau au moment de sa publication, mais seulement il y a quelques jours, en prévision de la critique que j’allais faire de la pièce. Je suis sortie de la lecture avec l’impression que l’auteure n’avait jamais dépassé l’anecdote et que n’eussent été les circonstances tragiques entourant la parution de cet ouvrage, il n’aurait pas fait les manchettes. Le livre de Gendreau est un cri du cœur, un témoignage décousu aux voix multiples (elle y donne la parole à ses amis, imaginant leur réaction à sa mort), intense, chaotique, sans censure: on y apprend les partys, l’alcool, la poésie, le bar de danseuses, la prostitution, le viol, l’amour non réciproque, la maladie, l’hôpital, les amis, bref, tout ce qui faisait le quotidien de la jeune femme. L’écriture est crue et passionnée, un peu hermétique, mais non dépourvue d’intérêt. Ce qui manque à cet ouvrage, c’est la matière.

L’adaptation pour la scène réalisée par Eric Jean colle au texte, probablement un peu trop. On regrette qu’il n’ait pas transcendé les anecdotes personnelles pour en faire véritablement un portrait de génération. Au centre de la pièce (comme au cœur du livre), Vickie, incarnée par Jade-Mariuka Robitaille, une jeune comédienne tout juste sortie de l’école mais ne manquant ni d’assurance ni de personnalité. Gravitent autour d’elle sept comédiens, incarnant ses amis et sa famille, qui servent chacun à leur tour leur court monologue (avec plus ou moins de talent), sans que leur personnage n’ait vraiment l’occasion de se construire ni d’éveiller notre intérêt. La meilleure amie, incarnée par Marilyn Castonguay, brille par son insignifiance; la mère (Dominique Pétin), quasiment absente du spectacle, apparaît à la toute fin, en larmes, comme si, à défaut de faire réfléchir le spectateur sur le deuil, la perte, les occasions manquées, l’injustice, la soif de vivre, on voulait en dernier recours le faire brailler.

L’usage de la vidéo, tel qu’il est proposé ici, n’ajoute rien au propos et les images sont plutôt « cliché » (Vickie qui tombe dans le vide, un mannequin portant les habits de Vickie consumé par les flammes, Vickie qui se peint le visage en noir jusqu’à disparaître…). La musique, omniprésente (tous les comédiens chantent et/ou jouent d’un instrument), et presque toujours en anglais, semble faire office de remplissage, même si on comprend l’importance qu’elle avait dans la vie de la jeune femme. Quant à la mise en scène au sens large, elle rappelle étrangement S’embrasent, et manque somme toute de personnalité.

Mais on peut supposer que l’émotivité entourant la création et le désir de se montrer à la hauteur de la confiance que lui avait accordée Gendreau ont pesé lourd sur les épaules du metteur en scène et probablement rendu sa tâche assez ardue.

Testament. Texte de Vickie Gendreau. Adaptation et mise en scène d’Eric Jean. Une production du Théâtre de Quat’Sous. Au Théâtre de Quat’Sous jusqu’au 30 mars 2014.