Critiques

Commedia : Suivre son génie

Cette saison, après Zone et Le Cid, des spectacles pour le moins décevants, on peut dire que le Théâtre Denise-Pelletier a fini par renverser la vapeur. D’abord avec Marie Tudor, un Victor Hugo palpitant porté à la scène avec doigté par Claude Poissant, et maintenant avec Commedia, une pièce inspirée à Pierre Yves Lemieux par la vie et l’œuvre de Carlo Goldoni.

Produit par le Théâtre de l’Opsis, le spectacle mis en scène par Luce Pelletier est un vibrant hommage au théâtre, une manière exquise d’exposer les adolescents non pas à une seule pièce du grand maître italien, mais bien à l’ensemble de son univers, sans oublier les événements personnels et les faits historiques qui l’ont en quelque sorte sculpté. Le spectacle donne la pleine mesure de l’homme, il laisse entrevoir ses angoisses, ses rêves, ses doutes et ses révolutions.

Quand elles sont bien faites, ces pièces biographiques autour d’une grande figure du théâtre instruisent et émeuvent. Peter Shaffer l’a fait pour Mozart. Ariane Mnouchkine l’a fait pour Molière. Édouard Molinaro l’a fait pour Beaumarchais. On pourra maintenant dire que Pierre Yves Lemieux l’a fait – et fort bien fait – pour Goldoni. Et s’il est une chose dont on est certain après avoir vu Commedia, c’est que l’auteur italien, grand réformateur de la commedia dell’arte, en fin de compte méconnu, méritait amplement qu’on lui consacre toute une pièce.

Les pensées de l’homme, les questions qu’il se pose, les changements qu’il propose, les idées qu’il formule… tout cela n’a pas pris une ride! À vrai dire, et c’est en soi un brin troublant, les débats qu’il provoque pourraient avoir lieu aujourd’hui même. Il faut l’entendre sur la manière dont le théâtre est appelé selon lui à se scléroser si on cesse un seul instant de le repenser, de le réinventer. Il faut l’entendre sur le rôle de la critique de théâtre et sur ce qu’elle exige. Et que dire de son souci émouvant de traduire dans son théâtre l’âme de son pays et des ses habitants, l’énergie unique des villes qu’il a habitées?

Il y a bien quelques petites longueurs ici et là, surtout en deuxième partie, mais de manière générale la représentation est rondement menée, atteignant presque toujours l’équilibre entre les idées et les péripéties. La mise en scène de Luce Pelletier s’appuie sur la virtuosité des six comédiens, dont quatre – Martin Héroux, Catherine Paquin-Béchard, Marie-Ève Pelletier et Carl Poliquin – incarnent avec brio une multitude de personnages.

Alors que les époques ne cessent de se télescoper, les conventions demeurent admirablement claires, dans l’utilisation de l’espace et les éclairages tout comme dans les corps très expressifs des interprètes. Dans la peau de Goldoni jeune, Steve Gagnon est impeccable. Il traduit toute la conviction du personnage. La dynamique qui s’établit entre lui et Luc Bourgeois, qui campe Goldoni adulte, est efficace et pertinente jusqu’à la toute fin.

Commedia

Texte: Pierre Yves Lemieux, d’après la vie et l’oeuvre de Carlo Goldoni. Mise en scène: Luce Pelletier. Une production du Théâtre de l’Opis. Au Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 9 avril 2014.

 

Christian Saint-Pierre

Critique de théâtre, on peut également le lire dans Le Devoir et Lettres québécoises. Il a été rédacteur en chef et directeur de JEU de 2011 à 2017.