Dans le processus d’adaptation de la pièce The Woods de David Mamet, le collectif Bois franc et Langues fourchues a décidé de transformer le couple hétérosexuel Nick-Ruth en couple homosexuel Nick-Antoine. Belle audace de détournement.
Le jeu dominant-dominé que Mamet avait proposé en 1977 touche ici une corde à la foi familière et étrange. Familière parce qu’on y retrouve la même tension que dans Brokeback Mountain (cette indécision quant à l’acception profonde de son homosexualité, entre autres), et étrange parce toute contenue dans un huis-clos intimiste, une bataille rangée sur une passerelle installée au centre du théâtre, enveloppée par des spectateurs de part et d’autre. Le public devient le complice immédiat de ce drame à portée de main.
La transposition tient bien la route, puisque les comportements mâles-femelles, les stéréotypes masculins et féminins s’affrontent ici de la même manière. L’amour inconditionnel, déraisonnable qu’Antoine voue à Nick éclate en mille morceaux sur la violence de ce dernier, aux prises avec ses peurs, ses traumatismes d’enfance, avec cet immense silence dans lequel il est emmuré. L’appel des corps, la tension libidinale, l’amour physique forcé, aux limites du viol, entache cet amour idéalisé de blessures irréparables.
Sur fond de nature lentement dénaturée (l’ours chassé de sa tanière, le castor disparu, l’anecdote d’un raton laveur depuis longtemps évadé, la mémoire nostalgique d’un vol de grand héron), se pose la question des relations amoureuses profondément perturbées. À la fraîcheur candide d’Antoine, à sa nature optimiste et idéaliste, s’opposent la froideur et la dureté de Nick, incapable de vivre dans le présent, inapte à recevoir l’amour de l’autre. Ses démons, ses angoisses l’excluent d’un bonheur potentiel.
Dans le bois repose sur un remarquable duo d’acteurs : Jean-Denis Beaudoin (Nick) et André Robillard (Antoine), s’appuient l’un sur l’autre, dans une rare symbiose du bien et du mal. Ils jouent avec véracité et subtilité élans amoureux, attraction et rejet, séduction et méchanceté. Le texte de Mamet décortique sans pitié ces rapports malsains entre deux êtres qui ne s’aiment pas également. Le jeu du dominant-dominé n’est pas sexué, il ne se déroule pas seulement entre sexes opposés. Il est dans la nature humaine. C’est du moins ce que la traduction de Rose-Marie Belisle laisse entendre. Le rapport de force reste le même.
Dans le bois est une petite merveille de fluidité. Tout coule de source dans cette production qui ouvre la saison de Premier Acte : le texte sans anicroche, d’une justesse imparable, qui glisse admirablement entre les niveaux de langue, le jeu des comédiens émouvants et toujours crédibles, l’usage parcimonieux et tellement pertinent de la bande sonore, les à-coups dans la mise en scène qui sont comme des incursions fugaces dans la tête des personnages, comme autant d’espaces intermittents de leurs désirs inexprimés. La scénographie dépouillée et efficace en forme de véranda perdue dans le vide théâtral, sertie de quelques bûches et quelques boîtes de bois, devient le lieu symbolique ouvert sur la vie ou la mort. Quitter la zone protégée, quoique turbulente, est un risque énorme. Bref, tout s’emboite parfaitement.
Ce qui confère à cette excellente production une aura singulière ; il s’agit d’une proposition audacieuse où il suffit de se laisser glisser. Le malaise du public devant cet intime jeu homosexuel s’évanouit dans la profondeur de la psyché humaine dévoilée par une langue crue et sans pitié. Dommage que la régie ait rallumé les lumières de la salle pour interrompre brutalement le silence final… celui qui permet à la pièce de s’incruster dans l’esprit du public.
Dans le bois
Texte de David Mamet. Mise en scène de Danielle Le Saux-Farmer. Une production de Bois franc et Langues fourchues. À Premier Acte jusqu’au 4 octobre.
Dans le processus d’adaptation de la pièce The Woods de David Mamet, le collectif Bois franc et Langues fourchues a décidé de transformer le couple hétérosexuel Nick-Ruth en couple homosexuel Nick-Antoine. Belle audace de détournement.
Le jeu dominant-dominé que Mamet avait proposé en 1977 touche ici une corde à la foi familière et étrange. Familière parce qu’on y retrouve la même tension que dans Brokeback Mountain (cette indécision quant à l’acception profonde de son homosexualité, entre autres), et étrange parce toute contenue dans un huis-clos intimiste, une bataille rangée sur une passerelle installée au centre du théâtre, enveloppée par des spectateurs de part et d’autre. Le public devient le complice immédiat de ce drame à portée de main.
La transposition tient bien la route, puisque les comportements mâles-femelles, les stéréotypes masculins et féminins s’affrontent ici de la même manière. L’amour inconditionnel, déraisonnable qu’Antoine voue à Nick éclate en mille morceaux sur la violence de ce dernier, aux prises avec ses peurs, ses traumatismes d’enfance, avec cet immense silence dans lequel il est emmuré. L’appel des corps, la tension libidinale, l’amour physique forcé, aux limites du viol, entache cet amour idéalisé de blessures irréparables.
Sur fond de nature lentement dénaturée (l’ours chassé de sa tanière, le castor disparu, l’anecdote d’un raton laveur depuis longtemps évadé, la mémoire nostalgique d’un vol de grand héron), se pose la question des relations amoureuses profondément perturbées. À la fraîcheur candide d’Antoine, à sa nature optimiste et idéaliste, s’opposent la froideur et la dureté de Nick, incapable de vivre dans le présent, inapte à recevoir l’amour de l’autre. Ses démons, ses angoisses l’excluent d’un bonheur potentiel.
Dans le bois repose sur un remarquable duo d’acteurs : Jean-Denis Beaudoin (Nick) et André Robillard (Antoine), s’appuient l’un sur l’autre, dans une rare symbiose du bien et du mal. Ils jouent avec véracité et subtilité élans amoureux, attraction et rejet, séduction et méchanceté. Le texte de Mamet décortique sans pitié ces rapports malsains entre deux êtres qui ne s’aiment pas également. Le jeu du dominant-dominé n’est pas sexué, il ne se déroule pas seulement entre sexes opposés. Il est dans la nature humaine. C’est du moins ce que la traduction de Rose-Marie Belisle laisse entendre. Le rapport de force reste le même.
Dans le bois est une petite merveille de fluidité. Tout coule de source dans cette production qui ouvre la saison de Premier Acte : le texte sans anicroche, d’une justesse imparable, qui glisse admirablement entre les niveaux de langue, le jeu des comédiens émouvants et toujours crédibles, l’usage parcimonieux et tellement pertinent de la bande sonore, les à-coups dans la mise en scène qui sont comme des incursions fugaces dans la tête des personnages, comme autant d’espaces intermittents de leurs désirs inexprimés. La scénographie dépouillée et efficace en forme de véranda perdue dans le vide théâtral, sertie de quelques bûches et quelques boîtes de bois, devient le lieu symbolique ouvert sur la vie ou la mort. Quitter la zone protégée, quoique turbulente, est un risque énorme. Bref, tout s’emboite parfaitement.
Ce qui confère à cette excellente production une aura singulière ; il s’agit d’une proposition audacieuse où il suffit de se laisser glisser. Le malaise du public devant cet intime jeu homosexuel s’évanouit dans la profondeur de la psyché humaine dévoilée par une langue crue et sans pitié. Dommage que la régie ait rallumé les lumières de la salle pour interrompre brutalement le silence final… celui qui permet à la pièce de s’incruster dans l’esprit du public.
Dans le bois
Texte de David Mamet. Mise en scène de Danielle Le Saux-Farmer. Une production de Bois franc et Langues fourchues. À Premier Acte jusqu’au 4 octobre.