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Pour réussir un poulet : Soufflé retombé

© Suzane O’Neill

C’est une des créations attendues de la rentrée, car depuis Scotstown (2008), la verve de Fabien Cloutier est célébrée et récolte éloges, nominations et prix. Dans Pour réussir un poulet, l’auteur utilise la recette (peut-être intitulée Pour réussir une pièce de théâtre ?) qui a fait le succès de ses créations précédentes : personnages en colère contre le système, attachants malgré leur bêtise, misère sociale envahissante, ignorance érigée en forteresse, langue incisive et colorée…

Mais, autant la structure dramatique de sa première pièce Billy (Les jours de hurlement) – Prix Gratien-Gélinas 2011 –, entremêlant les récits, était efficace, autant celle de Pour réussir un poulet est bancale. Autant les propos des trois protagonistes de Billy étaient percutants, autant ceux-ci paraissent éculés.

Les personnages sont les prototypes d’une classe sociale qui en arrache, exploités sans fin par une société où ils osent à peine revendiquer une place, mais dans laquelle ils s’inscrivent malgré tout, matérialistes et superficiels, consommant les vidéos YouTube et les jeux pour téléphone cellulaire. Ça finira mal, bien sûr, comment pourrait-il en être autrement quand tout a si mal commencé ?

© Suzane O’Neill

La première partie de la pièce évoque un numéro de stand up comedy à plusieurs voix où chacun sert sa dénonciation sociétale en forme de gag une fois son tour venu. Tout y passe : l’obsession du bio, le foisonnement des pétitions en ligne, les taxis qui ne prennent pas les cartes de crédit si on ne les avise pas au début de la course, les dysfonctionnements de la CSST, le mariage forcé des petites filles dans certains coins du monde, la difficulté à dialoguer avec un interlocuteur qui saisit son téléphone cellulaire au milieu d’une phrase…

On a le sentiment que Cloutier a pris des notes dans un calepin chaque fois que quelque chose le révoltait dans le monde, et nous a servi son contenu sans plus de fioritures. Ceci, semble-t-il, vise à établir sans détours l’état d’esprit des personnages. On le comprendra rapidement, ils sont « en crisse ». Il y a de quoi, remarquez, car leur vie de misère n’est pas une partie de plaisir. Peinant à joindre les deux bouts, ils sont à la merci du propriétaire de la galerie commerciale (Denis Bernard, très à l’aise dans ce rôle ingrat), roitelet sans scrupules, qui distribue les jobines et ses faveurs selon son humeur, et qui n’hésite ni à exploiter ni à malmener ses sujets.

Soudain, on change de ton, comme si Cloutier s’était rappelé que son objectif n’était pas de nous faire rire, mais de nous montrer que la vie est dure, et voilà que l’on bascule dans le drame : les jobines évoluent en contrats mafieux, le fils difficile se fait virer de l’école après avoir violenté une camarade, la magouille d’achat / revente d’huîtres tourne au désastre, la bonne amie disparaît (ou non ? ce n’est pas clair), les coucheries sont révélées, jusqu’au coup de tonnerre final (presque littéralement souligné par la musique) qui est tellement improbable qu’on en est franchement agacé, même si on sait les personnages programmés à faire de mauvais choix.

Parlant de mauvais choix, confier la mise en scène de son propre texte à Cloutier s’avère avoir été mal avisé, et les comédiens, plantés dans cet espace vide et jaune vif, semblent plutôt désœuvrés quand ce n’est pas leur tour de parler (ou de crier).

Quant à la musique composée par Misteur Valaire (c’est la première incursion du groupe dans l’univers théâtral), elle a un caractère grandiloquent qui semble vouloir souligner le caractère héroïque des personnages (survivre dans un univers pareil prend des ressources et du courage) mais ne fait qu’ajouter à ce qui irrite.

© Suzane O’Neill

Pour réussir un poulet

Texte et mise en scène : Fabien Cloutier. Assistance à la mise en scène : Emmanuelle Nappert. Décor, costumes et accessoires : Maude Audet. Éclairages : André Rioux. Musique : Valaire. Avec Denis Bernard, Gabrielle Côté, Guillaume Cyr, Marie Michaud et Hubert Proulx. Une production du Théâtre de la Manufacture. À la Licorne jusqu’au 1er novembre 2014. En tournée à travers le Québec en 2017, notamment au Périscope du 14 au 25 mars et à la Licorne du 28 mars au 8 avril.