Déchiré. Tel apparaît Albert Camus dans L’Énigme Camus : une passion algérienne. Et tel il était, cela ne fait aucun doute. Déchiré, parce que Français d’Algérie. Cela suffit pour souffrir. Français de culture (Camus ne parlait pas arabe, vivait sa vie d’intellectuel à Paris), l’écrivain était pourtant profondément attaché à son pays natal, à la mer, à sa mère.
Homme épris de liberté, il ne supportait pas qu’on conteste le droit des Français qui y étaient nés d’y vivre au même titre que les autochtones. Homme de gauche, il comprenait la révolte des Arabes contre les injustices des colonisateurs, en même temps qu’il redoutait les intransigeances des révolutionnaires qu’il savait pouvoir mener au totalitarisme (ce en quoi il avait raison, l’histoire de l’Algérie depuis son indépendance en ayant apporté la preuve).
C’est ça l’énigme Camus. Plusieurs n’ont pas compris qu’il ne se soit pas joint au combat pour l’indépendance dans les années 1950. Et l’énigme perdurera car Albert Camus est mort dans un accident de voiture en 1960, soit deux ans avant l’Indépendance de l’Algérie. On ne saura donc jamais comment il aurait réagi à cet événement historique. Toutefois, il peut encore nous accompagner sur les plans moral, politique et philosophique, alors que nous assistons à d’intenses confrontations partout dans le monde.
Le mérite du spectacle concocté par Jean-Marie Papapietro (lui-même né en Algérie) tient dans sa capacité à garder le spectateur toujours en alerte devant les arguments qui fusent, tantôt pour défendre la révolte armée comme seul moyen de mettre fin à l’exploitation et la misère des uns, tantôt pour soutenir le rêve d’un pays où cohabiteraient en harmonie des peuples réunis sur une même terre par les aléas de l’histoire (entendons le plus souvent par la volonté de puissances colonisatrices, mais dont les « petits » font les frais).
On ne peut s’empêcher de penser à d’autres conflits, en particulier celui qui oppose Israéliens et Palestiniens, devant lesquels on se désespère de jamais voir une solution. En fait, on se retrouve devant des situations parfaitement tragiques. Chacun étant persuadé de ses droits. Chacun ayant souffert, mais chacun ayant fait souffrir. Tous ont une responsabilité. Mais comme chacun est mu par l’esprit de vengeance, personne ne semble pouvoir mettre fin au cercle vicieux de la guerre.
Le spectateur ressent bien ces tiraillements. Et doit garder l’esprit critique. C’est la force de ce spectacle engagé. Pour mettre en scène ces questions d’une brûlante actualité, Jean-Marie Papapietro a imaginé des acteurs réunis autour d’un projet de spectacle sur Camus. On aura donc droit à des échanges censés éclairer leur démarche, au visionnement de documents d’archives, à des discussions où l’on argumente à coups de citations puisées dans l’œuvre de l’écrivain, et à des répétitions de scènes — dont une, bien choisie, extraite des Justes qui pose clairement le dilemme du révolutionnaire qui, se voyant en « justicier », refuse de se retrouver « assassin ».
Malgré un début un peu poussif (c’est la difficulté du genre, il faut bien donner des informations au spectateur), le spectacle prend son rythme au fil des récits et des scènes pour aboutir à la reconstitution, réussie, d’une conférence de presse à la suite de la remise du Prix Nobel à Albert Camus en 1957. Finalement, ce spectacle entraine le public là où il se doit, dans la réflexion. Le pire ennemi étant le dogmatisme.
Laissons le mot de la fin à Camus : « Aucune cause ne mérite la mort d’innocents. »
Texte et mise en scène de Jean-Marie Papapietro. Une production du Théâtre de Fortune. À la salle Fred-Barry jusqu’au 29 novembre 2014.
Déchiré. Tel apparaît Albert Camus dans L’Énigme Camus : une passion algérienne. Et tel il était, cela ne fait aucun doute. Déchiré, parce que Français d’Algérie. Cela suffit pour souffrir. Français de culture (Camus ne parlait pas arabe, vivait sa vie d’intellectuel à Paris), l’écrivain était pourtant profondément attaché à son pays natal, à la mer, à sa mère.
Homme épris de liberté, il ne supportait pas qu’on conteste le droit des Français qui y étaient nés d’y vivre au même titre que les autochtones. Homme de gauche, il comprenait la révolte des Arabes contre les injustices des colonisateurs, en même temps qu’il redoutait les intransigeances des révolutionnaires qu’il savait pouvoir mener au totalitarisme (ce en quoi il avait raison, l’histoire de l’Algérie depuis son indépendance en ayant apporté la preuve).
C’est ça l’énigme Camus. Plusieurs n’ont pas compris qu’il ne se soit pas joint au combat pour l’indépendance dans les années 1950. Et l’énigme perdurera car Albert Camus est mort dans un accident de voiture en 1960, soit deux ans avant l’Indépendance de l’Algérie. On ne saura donc jamais comment il aurait réagi à cet événement historique. Toutefois, il peut encore nous accompagner sur les plans moral, politique et philosophique, alors que nous assistons à d’intenses confrontations partout dans le monde.
Le mérite du spectacle concocté par Jean-Marie Papapietro (lui-même né en Algérie) tient dans sa capacité à garder le spectateur toujours en alerte devant les arguments qui fusent, tantôt pour défendre la révolte armée comme seul moyen de mettre fin à l’exploitation et la misère des uns, tantôt pour soutenir le rêve d’un pays où cohabiteraient en harmonie des peuples réunis sur une même terre par les aléas de l’histoire (entendons le plus souvent par la volonté de puissances colonisatrices, mais dont les « petits » font les frais).
On ne peut s’empêcher de penser à d’autres conflits, en particulier celui qui oppose Israéliens et Palestiniens, devant lesquels on se désespère de jamais voir une solution. En fait, on se retrouve devant des situations parfaitement tragiques. Chacun étant persuadé de ses droits. Chacun ayant souffert, mais chacun ayant fait souffrir. Tous ont une responsabilité. Mais comme chacun est mu par l’esprit de vengeance, personne ne semble pouvoir mettre fin au cercle vicieux de la guerre.
Le spectateur ressent bien ces tiraillements. Et doit garder l’esprit critique. C’est la force de ce spectacle engagé. Pour mettre en scène ces questions d’une brûlante actualité, Jean-Marie Papapietro a imaginé des acteurs réunis autour d’un projet de spectacle sur Camus. On aura donc droit à des échanges censés éclairer leur démarche, au visionnement de documents d’archives, à des discussions où l’on argumente à coups de citations puisées dans l’œuvre de l’écrivain, et à des répétitions de scènes — dont une, bien choisie, extraite des Justes qui pose clairement le dilemme du révolutionnaire qui, se voyant en « justicier », refuse de se retrouver « assassin ».
Malgré un début un peu poussif (c’est la difficulté du genre, il faut bien donner des informations au spectateur), le spectacle prend son rythme au fil des récits et des scènes pour aboutir à la reconstitution, réussie, d’une conférence de presse à la suite de la remise du Prix Nobel à Albert Camus en 1957. Finalement, ce spectacle entraine le public là où il se doit, dans la réflexion. Le pire ennemi étant le dogmatisme.
Laissons le mot de la fin à Camus : « Aucune cause ne mérite la mort d’innocents. »
L’Énigme Camus : une passion algérienne
Texte et mise en scène de Jean-Marie Papapietro. Une production du Théâtre de Fortune. À la salle Fred-Barry jusqu’au 29 novembre 2014.