Critiques

Futur intérieur : Perdus dans l’espace

Depuis l’énorme succès d’Ubu sur la table, avec lequel ils ont fait le tour du monde en au moins trois langues, les créateurs de la Pire Espèce ont poursuivi leur exploration du théâtre d’objets avec des spectacles de belle tenue, comme Persée, Roland, la vérité du vainqueur ou encore Die Reise, autour de l’œuvre du marionnettiste Felix Mirbt. Sans se prendre au sérieux, ils ont toujours su dérider le public, tout en proposant des réflexions relativement pertinentes.

Avec leur nouvelle création, Futur intérieur, il semble que ces joyeux lurons, certes sympathiques, se soient quelque peu égarés dans un projet dont l’objet était pour le moins flou. Offert aux jeunes à partir de 12 ans, ce spectacle, véritable pensum interminable d’une heure cinquante, ce « voyage à travers l’espace intersidéral » de trois québécionautes ignorant le but de leur mission, ne tient pas la route. C’est de vide sidéral… sidérant, qu’il faut ici parler.

Les interprètes, Étienne Blanchette, Mathieu Gosselin et Alexandre Leroux, tous prénommés Robert, évoluent dans un espace encombré de bidules et de fils électriques, bric-à-brac de gadgets lumineux ou sonores, comme de grands adolescents attardés. Ils enchaînent les allusions, jeux de mots et néologismes pseudo-scientifiques ou technologiques, multiplient les bruits de bouche dans des micros qui transforment leurs voix, s’occupent à vérifier, à noter, à déplacer des choses inutiles, nourrissent le ridicule qui, manifestement, ne tue pas leur naïveté.

Quelques répliques – au moment où ils sont parés au décollage : « Désactivez les a priori, bon déconnage ! » – ou images font sourire, lorsque l’un d’eux par exemple, conférencier qui se retrouve avec une voix de fausset à cause d’une fuite d’hélium, se voit sauvé par un Robert accourant sur un vélo… stationnaire.

Dans la salle, les amis rigolent ou ricanent, alors que l’ennui s’insinue lentement mais sûrement. D’un tel chaos d’objets, de sons, de gestes sans queue ni tête, que reste-t-il ? Ni véritable fable, ni signification cachée sous le non-sens… Les bébelles prennent toute la place, et le spectateur n’a rien à quoi se raccrocher.

Une vague réflexion sur l’identité, fractionnée au sein d’un « multivers », vient vers la fin, trop peu trop tard, une fin qui peine à se conclure et s’étire comme la substance molle et gluante découverte sur une autre planète par Robert, qui aurait la caractéristique, tout juste esquissée, de faire parler ceux qui la touchent en termes poétiques.

Tout cela tourne à vide, l’intention de faire rire par l’absurde poussé à l’extrême – qui semble être l’objectif premier de l’entreprise -, tombant le plus souvent à plat. Donnons la chance aux coureurs : en resserrant cette matière à une heure de spectacle, peut-être arriverait-on à rendre la chose plus digeste.

Futur intérieur

Texte d’Olivier Ducas, Mathieu Gosselin et Francis Monty. Mise en scène d’Olivier Ducas et Francis Monty. Une coproduction de Théâtre de la Pire Espèce, du Bob Théâtre (France) et du Théâtre des marionnettes de Genève (Suisse), présentée au Théâtre Aux Écuries jusqu’au 13 décembre 2014.