Le premier intérêt de cette comédie familiale, pleine de chicanes et de bons sentiments, c’est qu’on y entend un Italo-Montréalais qui parle aux siens… tout en nous demandant d’écouter. Ce qui lui permet de servir quelques vérités à tout le monde. À sa communauté d’abord, à laquelle il reproche – avec tendresse quand même – de rester tournée vers le passé et d’être incapable d’accepter que le monde change, à l’image de la grand-mère qui regrette encore son Osvaldo, son grand amour demeuré au pays et dont la chanson nous accompagnera tout au long de la pièce.
Le cadre ? Un repas, presque en temps réel, que deux jeunes gens offrent à leurs parents respectifs. Si l’on excepte la finale et sa réconciliation générale, on est presque dans une pièce classique avec les trois unités d’action, de lieu et de temps ! Une pièce classique qui tournerait autour d’un plat de spaghetti, évidemment. Le scénario en est solidement construit, avec ses secrets dévoilés, ses surprises, ses changements de perspective, ses retournements de situation. La volte-face finale du jeune couple, efficace dramatiquement, semble cependant peu crédible d’un point de vue psychologique.
Au centre de la table et de la salle à manger, au réalisme à peine caricatural, trône l’aïeule, la nona, une sorte de vieille dame indigne dont le langage est d’une verdeur réjouissante. À mon avis, il s’agit du personnage le plus intéressant de ces spécimens saints–léonardiens. C’est elle qui lance le bal de toutes les joyeusetés que vont s’échanger les six convives, tour à tour complices et adversaires. Entre chacun de ses petits sommes, réels ou feints, le ton monte, les masques tombent, on devient mesquin. Les parents reprochent à leurs enfants leurs folles dépenses, le foyer et le jacuzzi. Pourquoi aller à Miami quand on est si bien à Wildwood ? L’incompréhension culmine quand les deux amoureux annoncent l’impensable : ils déménagent à Beaconsfield et, double scandale, dans «un cottage détaché», sans locataire et sans revenu ! L’occasion pour chacun de défendre son label garanti pur italien : Saint-Léonard, Ville-Émard ou la Petite Italie. Les squelettes sortent des placards : Dante a couché avec Anna, la sœur d’Elisa, sa femme, mais c’est parce qu’Elisa avait couché avec le boucher…
Entre le gâteau et le spaghetti (dans cet ordre), on remonte ainsi l’histoire de cette sympathique famille dont il est si difficile de sortir. Comme de Saint-Léonard. On voudrait l’aimer, cette chronique de la vie ordinaire de nos chers voisins. Mais n’est pas Michel Tremblay qui veut, et l’histoire peine à décoller des ses chaises en fer forgé et de sa cuisine chromée. La dimension symbolique manque, on reste dans l’anecdote, l’existence de Terry, Robert et de leurs parents ne prend jamais la dimension d’un destin. Quant au thème si touchant de l’exil et du déracinement, il reste en surface.
Ce ne sont pourtant pas les intentions qui manquent. On a même l’impression que Steve Gallucio a voulu tout mettre dans cette chronique : la mythique famiglia, l’importance de la grand-mère, le conflit parents-enfants, la nostalgie du pays. Avec les omniprésentes pâtes, le méchant vin maison, les tomates qu’on se doit de faire pousser dans la cour, l’auteur semble recourir précisément aux clichés qu’on sert habituellement à la communauté italienne.
Dans cette comédie au premier degré, qui les fait aller de la salle à manger à la cuisine, le jeu des comédiens – tous confirmés − ne peut être que réaliste. Les deux couples de parents (Pauline Martin, Sylvie Potvin, Claude Prégent et Harry Stanjofski) font des Italos-Montréalais tout à fait acceptables, et on pressent que leurs enfants (Émilie Bibeau et Pierre-François Legendre) seront bientôt plus Québécois qu’Italiens. Quant à Béatrice Picard, elle émerveille par son insolente vitalité, mais on aurait pu se passer de son petit accent italien. Les uns et les autres font ce qu’ils peuvent pour nous rendre leurs personnages touchants. Mais, on le sait, les bons sentiments ne font pas souvent les bonnes comédies.
Texte de Steve Gallucio. Mise en scène de Monique Duceppe. Une production du Théâtre Jean-Duceppe. Au Théâtre Jean-Duceppe jusqu’au 7 février 2015.
Le premier intérêt de cette comédie familiale, pleine de chicanes et de bons sentiments, c’est qu’on y entend un Italo-Montréalais qui parle aux siens… tout en nous demandant d’écouter. Ce qui lui permet de servir quelques vérités à tout le monde. À sa communauté d’abord, à laquelle il reproche – avec tendresse quand même – de rester tournée vers le passé et d’être incapable d’accepter que le monde change, à l’image de la grand-mère qui regrette encore son Osvaldo, son grand amour demeuré au pays et dont la chanson nous accompagnera tout au long de la pièce.
Le cadre ? Un repas, presque en temps réel, que deux jeunes gens offrent à leurs parents respectifs. Si l’on excepte la finale et sa réconciliation générale, on est presque dans une pièce classique avec les trois unités d’action, de lieu et de temps ! Une pièce classique qui tournerait autour d’un plat de spaghetti, évidemment. Le scénario en est solidement construit, avec ses secrets dévoilés, ses surprises, ses changements de perspective, ses retournements de situation. La volte-face finale du jeune couple, efficace dramatiquement, semble cependant peu crédible d’un point de vue psychologique.
Au centre de la table et de la salle à manger, au réalisme à peine caricatural, trône l’aïeule, la nona, une sorte de vieille dame indigne dont le langage est d’une verdeur réjouissante. À mon avis, il s’agit du personnage le plus intéressant de ces spécimens saints–léonardiens. C’est elle qui lance le bal de toutes les joyeusetés que vont s’échanger les six convives, tour à tour complices et adversaires. Entre chacun de ses petits sommes, réels ou feints, le ton monte, les masques tombent, on devient mesquin. Les parents reprochent à leurs enfants leurs folles dépenses, le foyer et le jacuzzi. Pourquoi aller à Miami quand on est si bien à Wildwood ? L’incompréhension culmine quand les deux amoureux annoncent l’impensable : ils déménagent à Beaconsfield et, double scandale, dans «un cottage détaché», sans locataire et sans revenu ! L’occasion pour chacun de défendre son label garanti pur italien : Saint-Léonard, Ville-Émard ou la Petite Italie. Les squelettes sortent des placards : Dante a couché avec Anna, la sœur d’Elisa, sa femme, mais c’est parce qu’Elisa avait couché avec le boucher…
Entre le gâteau et le spaghetti (dans cet ordre), on remonte ainsi l’histoire de cette sympathique famille dont il est si difficile de sortir. Comme de Saint-Léonard. On voudrait l’aimer, cette chronique de la vie ordinaire de nos chers voisins. Mais n’est pas Michel Tremblay qui veut, et l’histoire peine à décoller des ses chaises en fer forgé et de sa cuisine chromée. La dimension symbolique manque, on reste dans l’anecdote, l’existence de Terry, Robert et de leurs parents ne prend jamais la dimension d’un destin. Quant au thème si touchant de l’exil et du déracinement, il reste en surface.
Ce ne sont pourtant pas les intentions qui manquent. On a même l’impression que Steve Gallucio a voulu tout mettre dans cette chronique : la mythique famiglia, l’importance de la grand-mère, le conflit parents-enfants, la nostalgie du pays. Avec les omniprésentes pâtes, le méchant vin maison, les tomates qu’on se doit de faire pousser dans la cour, l’auteur semble recourir précisément aux clichés qu’on sert habituellement à la communauté italienne.
Dans cette comédie au premier degré, qui les fait aller de la salle à manger à la cuisine, le jeu des comédiens – tous confirmés − ne peut être que réaliste. Les deux couples de parents (Pauline Martin, Sylvie Potvin, Claude Prégent et Harry Stanjofski) font des Italos-Montréalais tout à fait acceptables, et on pressent que leurs enfants (Émilie Bibeau et Pierre-François Legendre) seront bientôt plus Québécois qu’Italiens. Quant à Béatrice Picard, elle émerveille par son insolente vitalité, mais on aurait pu se passer de son petit accent italien. Les uns et les autres font ce qu’ils peuvent pour nous rendre leurs personnages touchants. Mais, on le sait, les bons sentiments ne font pas souvent les bonnes comédies.
Les Chroniques de Saint-Léonard
Texte de Steve Gallucio. Mise en scène de Monique Duceppe. Une production du Théâtre Jean-Duceppe. Au Théâtre Jean-Duceppe jusqu’au 7 février 2015.