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Angela Konrad : un manteau qui traine et quelques mots de Shakespeare

© Angelo Barsetti

Comédienne et metteure en scène d’origine allemande, Angela Konrad a longtemps exercé en France. Arrivée au Québec en 2011, elle fonde sa compagnie, la Fabrik, pour explorer et démonter les classiques. En 2013, à l’Usine C, avec Variations pour une déchéance annoncée, elle propose une relecture déjantée et convaincante de La Cerisaie de Tchekhov. Passionnée des grands textes et en particulier de Shakespeare, elle crée, à partir de quelques scènes de Richard III, Auditions ou Me, Myself and I, présenté dans la salle de répétition du Théâtre de Quat’Sous. En entrevue, Angela Konrad parle de sa démarche, de son amour pour Shakespeare et des conditions de création.

Une mise en corps

«C’est l’histoire d’une metteur en scène, Ricki, qui auditionne et répète pour une création qui finalement n’aura pas lieu, explique Angela Konrad. Parce qu’elle est devient son propre obstacle, parce que des coupures budgétaires l’empêchent d’aboutir. Je parlerais plutôt d’une mise en corps, d’une mise en écriture plutôt qu’une mise en scène, parce que nous sommes dans une salle de répétition. Nous avons répété dans cette même salle, aussi nous avons pensé et créé le spectacle avec les spécificités de ce magnifique lieu. Comme le budget me permet seulement de payer les acteurs, je fais un spectacle qui repose uniquement sur les acteurs et je ne vais pas le faire dans une salle de spectacle pour faire semblant d’être plus riche! Je trouve ça plus juste, ça me permet de travailler sur la forme, d’aller à l’essentiel, de débarrasser les grands textes d’une certaine théâtralité pour faire entendre ce qui est habituellement recouvert par les concepts de mise en scène.»

Richard III et les femmes

«J’ai choisi certaines scènes de Richard III en fonction de la distribution, notamment celles mettant en présence Richard et les femmes. Shakespeare raconte l’histoire à travers les femmes qui, bien qu’elles ne soient pas des témoins directs des évènements, vivent la guerre depuis les coulisses. Ce qui donne lieu à des négociations et à des échanges qui éclaircissent la question du pouvoir à travers l’affect, les liens de famille, les liens de sang. Ces rôles demandent des actrices fortes, capables de confronter cette langue complexe. Par exemple, Lise Roy et Dominique Quesnel, dans la scène entre Richard et Elisabeth, sont deux énergies qui font corps commun avec la langue. En tant que metteur en scène, je me considère très privilégiée d’observer ce travail et de voir les acteurs de très près. Dans cette grande proximité, on suit le comédien dans son travail de transformation, de métamorphose.»

Une écriture scénique

«Le metteur en scène Carmelo Bene a fait une adaptation de Richard III qui se concentre sur Richard et les quatre femmes. Sans me référer à ce travail, la lecture critique de Bene a été importante et inspirante. En relisant cette pièce que je connais bien – je l’ai montée intégralement à Marseille -, je me suis rendue compte que ces scènes font entendre des choses intéressantes sur le pouvoir et l’affect. Mais c’est avant tout un énorme plaisir de les partager avec les actrices. Le texte a été établi collectivement, nous avons tissé la dramaturgie entre Richard III et nos improvisations et nous avons « tricoté » le devenir de Ricki et des acteurs avec celui des personnages de Richard. Comme un effet de miroir. Ce travail d’écriture scénique permet de façonner des personnages, d’écrire des rôles qui soulignent la liberté et la force de l’acteur, tout en l’accompagnant dans son spectre de travail.»

La fonction poétique du théâtre

«Si j’avais les moyens de monter Richard III dans son intégralité, je le ferais! Pour l’instant, les conditions sont difficiles. En tant que professeur à l’UQAM, j’ai pu avoir accès à une subvention de soutien à la création de 15 000$. C’est un petit budget… Mais je ne pourrais pas continuer longtemps comme ça. Je ne peux pas en rester là, je ne veux pas, même si je sais que je reviendrais à des formes de laboratoire, pour partager avec les acteurs ce qui est essentiel au théâtre: la fonction poétique, la rencontre, la discussion, et la création en commun dans un rapport d’altérité. En France, j’avais des budgets de 150 000 ou 180 000€, ce qui m’a permis de travailler en continu deux ou trois mois avec les acteurs et d’exploiter le spectacle sur le long terme. Mais la fonction du théâtre, ici ou ailleurs, avec ou sans moyen, est la même. À moi d’inventer une forme cohérente par rapport au contexte de création, sinon j’aurais l’impression de tricher. Et quand on fait du théâtre, on ne peut pas tricher. Il y a dix ans, j’ai écrit un texte pour un autre Shakespeare, où je disais que je continuerais toujours avec Shakespeare, même vieille. J’aime beaucoup travailler les grands textes, la langue y est riche, importante, et sa complexité reflète bien celle du monde. Non seulement elle donne du sens, mais elle donne à voir, puisqu’elle est basée sur l’allégorie et la métaphore. Je me vois dans l’avenir comme Dominique Quesnel à la fin de la pièce: il restera toujours un vieux manteau qui traine, qu’on enfile en se rappelant quelques mots de Shakespeare…»

Auditions ou Me, Myself and I

Adaptation, conception et mise en scène: Angela Konrad. Avec Stéphanie Cardi, Philippe Cousineau, Domnique Quesnel, Marie-Laurence Moreau, Lise Roy et des invités spéciaux. Une production de la Fabrik. Au Théâtre de Quat’Sous du 20 au 31 janvier 2015.