Le Journal d’Anne Frank est sans aucun doute l’un de ces livres que tous connaissent, mais que peu ont réellement apprivoisé. Que l’on en étudie des extraits à l’école ou choisisse de le lire au début de l’adolescence, il laisse une impression presque évanescente. En s’en inspirant et en intégrant de larges passages de l’ouvrage dans sa proposition dramaturgique, Eric-Emmanuel Schmitt lui offre une densité tout autre.
Volontairement incarnée, celle-ci nous permet de renouer avec les deux visages d’Anne : le boute-en-train en apparence incapable de véritable diplomatie et la jeune femme en devenir qui réfléchit aussi bien à l’Histoire qui s’écrit en parallèle qu’aux liens alambiqués qu’elle entretient avec sa mère et ceux qu’elle souhaiterait développer avec Peter van Pels.
Plutôt que de s’inscrire en simple témoin d’une période trouble du 20e siècle, le journal sert de révélateur. En découvrant par bribes celui-ci, Otto, le père d’Anne, seul du groupe à être revenu des camps de concentration, revit des événements à travers le regard acéré que sa fille portait sur ceux-ci.
Cette narration en deux temps se transmet grâce à la scénographie de Danièle Lévesque, sur deux niveaux, le père tour à tour lecteur ou partie prenante de la vie à « l’Annexe » se déplaçant de l’un à l’autre. Des panneaux coulissants à l’étage permettent de fractionner l’espace, aussi bien que de projeter – ainsi que sur le transparent à l’avant-scène – images de camps, avancées militaires ou trains sifflants. (On aurait néanmoins pu se passer du salut nazi d’Hitler en format géant, qui surligne inutilement le propos.) Aéré et dépouillé, le plateau transmet bien peu cependant le sentiment d’enfermement qu’ont dû ressentir les habitants de l’Annexe.
Ce découpage cinématographique (qui donne quelquefois l’impression de visionner un documentaire dans lequel alternent extraits d’archives et reconstitutions d’époque) est ponctué de façon très efficace par la trame sonore de Jorane, qui s’inspire des intonations particulières de la gamme hébraïque sans pour autant tomber dans les clichés du genre.
Même si nous connaissons bien sûr l’issue (fatale) de l’histoire, Schmitt refuse l’apitoiement et l’humour mordant, caustique – certains diront juif – se juxtapose ici au tragique. Anne n’a pas son pareil pour mettre l’insupportable Augusta von Piels (interprétée par Marie-Hélène Thibault, parfois caricaturale) en rogne et l’apparition du dentiste Fritz Pfeffer nous vaudra quelques scènes volontiers burlesques.
Lorraine Pintal dirige adroitement une distribution aux atouts complémentaires. Si Paul Doucet se fond avec aisance dans la peau d’Otto Frank, la jeune Mylène St-Sauveur fait une entrée remarquée sur les planches dans le rôle d’Anne. À l’aise dans l’exubérance comme dans l’intériorité, elle nous offre un portrait saisissant d’une adolescente au fond semblable à des milliers d’autres, mais qui possède une véritable voix de conteuse. On retiendra aussi la délicatesse avec laquelle Benoît Drouin-Germain campe son Peter et le dentiste plus arrogant que nature de Sébastien Dodge.
« J’aime la vie et je veux continuer à vivre… même après ma mort. » L’hommage rendu s’avère réussi.
Texte d’Eric Emmanuel Schmitt. Mise en scène de Lorraine Pintal. Une production du TNM. Au TNM jusqu’au 7 février 2015.
Le Journal d’Anne Frank est sans aucun doute l’un de ces livres que tous connaissent, mais que peu ont réellement apprivoisé. Que l’on en étudie des extraits à l’école ou choisisse de le lire au début de l’adolescence, il laisse une impression presque évanescente. En s’en inspirant et en intégrant de larges passages de l’ouvrage dans sa proposition dramaturgique, Eric-Emmanuel Schmitt lui offre une densité tout autre.
Volontairement incarnée, celle-ci nous permet de renouer avec les deux visages d’Anne : le boute-en-train en apparence incapable de véritable diplomatie et la jeune femme en devenir qui réfléchit aussi bien à l’Histoire qui s’écrit en parallèle qu’aux liens alambiqués qu’elle entretient avec sa mère et ceux qu’elle souhaiterait développer avec Peter van Pels.
Plutôt que de s’inscrire en simple témoin d’une période trouble du 20e siècle, le journal sert de révélateur. En découvrant par bribes celui-ci, Otto, le père d’Anne, seul du groupe à être revenu des camps de concentration, revit des événements à travers le regard acéré que sa fille portait sur ceux-ci.
Cette narration en deux temps se transmet grâce à la scénographie de Danièle Lévesque, sur deux niveaux, le père tour à tour lecteur ou partie prenante de la vie à « l’Annexe » se déplaçant de l’un à l’autre. Des panneaux coulissants à l’étage permettent de fractionner l’espace, aussi bien que de projeter – ainsi que sur le transparent à l’avant-scène – images de camps, avancées militaires ou trains sifflants. (On aurait néanmoins pu se passer du salut nazi d’Hitler en format géant, qui surligne inutilement le propos.) Aéré et dépouillé, le plateau transmet bien peu cependant le sentiment d’enfermement qu’ont dû ressentir les habitants de l’Annexe.
Ce découpage cinématographique (qui donne quelquefois l’impression de visionner un documentaire dans lequel alternent extraits d’archives et reconstitutions d’époque) est ponctué de façon très efficace par la trame sonore de Jorane, qui s’inspire des intonations particulières de la gamme hébraïque sans pour autant tomber dans les clichés du genre.
Même si nous connaissons bien sûr l’issue (fatale) de l’histoire, Schmitt refuse l’apitoiement et l’humour mordant, caustique – certains diront juif – se juxtapose ici au tragique. Anne n’a pas son pareil pour mettre l’insupportable Augusta von Piels (interprétée par Marie-Hélène Thibault, parfois caricaturale) en rogne et l’apparition du dentiste Fritz Pfeffer nous vaudra quelques scènes volontiers burlesques.
Lorraine Pintal dirige adroitement une distribution aux atouts complémentaires. Si Paul Doucet se fond avec aisance dans la peau d’Otto Frank, la jeune Mylène St-Sauveur fait une entrée remarquée sur les planches dans le rôle d’Anne. À l’aise dans l’exubérance comme dans l’intériorité, elle nous offre un portrait saisissant d’une adolescente au fond semblable à des milliers d’autres, mais qui possède une véritable voix de conteuse. On retiendra aussi la délicatesse avec laquelle Benoît Drouin-Germain campe son Peter et le dentiste plus arrogant que nature de Sébastien Dodge.
« J’aime la vie et je veux continuer à vivre… même après ma mort. » L’hommage rendu s’avère réussi.
Le Journal d’Anne Frank
Texte d’Eric Emmanuel Schmitt. Mise en scène de Lorraine Pintal. Une production du TNM. Au TNM jusqu’au 7 février 2015.