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Disparaître ici : Jusqu’au bout de l’image

Avec Disparaître ici, Les Écornifleuses et tectoniK nous proposent une adaptation librement inspirée de l’œuvre de Bret Easton Ellis. Les références à Moins que zéro et American Psycho y sont manifestes, les plus connaisseurs sauront en trouver davantage. Mais les soirées mondaines, le sexe et l’ennui qui sourd nous seraient restés trop lointains sans un solide travail d’écriture d’Édith Patenaude et Jocelyn Pelletier, qui partagent également la mise en scène.

C’est d’ailleurs le texte qui frappe le plus, dans la première partie. Truculente, la langue porte les couleurs d’ici et laisse derrière — sinon tout à fait, du moins en bonne partie — le Los Angeles des années 80. Les personnages font la fête, consomment, cherchent l’intensité. Mais surtout, ils parlent, dix comédiens volubiles livrant le tout avec une énergie soutenue. Ils parlent et parlent, parlent au spectateur, se parlent assez peu entre eux, sinon pour ne rien dire.

Rapidement, il semble n’y avoir plus que des mots, du discours à bout de souffle; et bien vite ça devient un théâtre sans enjeu. Le festival du name dropping et les considérations superficielles ne font que masquer ce qui ne se dit pas, n’importe quoi pour éviter le silence. Or, si le mal est visible, il n’est jamais pris en charge, et la scène devient — malgré le bruit et les mouvements — statique, jusqu’à la lourdeur.

Heureusement, la seconde partie prend la mesure du malaise. Ils sont jeunes, ils sont beaux mais ils rament, pris dans une incapacité qu’on leur sent de symboliser, de trouver des mots qui rejoindraient leur expérience. Ils restent ainsi cantonnés dans le fantasme, forcés de pousser toujours plus loin pour prendre leur pied. Mais les limites ont tôt fait d’apparaitre et les choses, tout à coup, déraillent.

Autour d’un snuff movie, les voilà confrontés à l’intenable de leur position. La scénographie de néons et de Polythène renvoie ces jeunes adultes au plastique de leur existence, la réalité se révèle à leurs propres yeux de plus en plus précaire, fuyante. Et bien vite c’est le récit lui-même qui déraille, la mise en scène se brouille, révélant combien ils n’ont fait jusque là rien d’autre qu’occuper une scène. Ils ont été, au mieux, les marionnettes d’une époque qui leur a demandé de jouir.

On peut parler d’une fidélité très forte à l’esprit d’Ellis; d’une appropriation, aussi. Au final, et cela tombe peut-être sous le sens, on reprendra cette critique que certains ont pu adresser à l’auteur de Glamorama et Sunset Park : et ensuite? Les apories du narcissisme et du divertissement sont posées, et elles le sont bien. La pièce va même plus loin, exposant avec force des cœurs battants et un désir qui refuse somme toute de s’éteindre, c’est beaucoup. Malgré le monologue final, on reste néanmoins avec le sentiment que le mal, s’il est perçu, n’est pas tout à fait dépassé.

Disparaître ici

Texte librement inspiré de l’œuvre de Bret Easton Ellis. Mise en scène d’Édith Patenaude et Jocelyn Pelletier. Une production des Écornifleuses et de TectoniK. Au Théâtre du Périscope jusqu’au 28 mars 2015. Reprise au Théâtre La Chapelle du 30 mars au 4 avril.

Simon Lambert

À propos de

Résidant à Québec, Simon Lambert est diplômé de l'Université Laval en philosophie et en littérature. Il collabore à JEU et au Devoir depuis 2015.