On ne porte plus tellement de mots en soi. Savoir quelque chose «par cœur» est devenu désuet alors que toutes les réponses se trouvent au bout de notre cellulaire. Il faut bien un acteur, dont apprendre par cœur fait partie du métier, pour nous faire réaliser qu’il peut s’agir d’un geste de résistance, de mémoire collective, de création et de beauté.
Tiago Rodrigues nous annonce d’entrée de jeu ce que le spectacle ne commencera que lorsque dix spectateurs volontaires auront pris place sur les chaises qui se trouvent sur scène. Nous n’allions pas rater cette occasion de déroger du point de vue habituel… Nous avons donc traversé le quatrième mur.
De l’autre côté des projecteurs, on voit assez bien les visages des spectateurs qui se croient anonymes dans la pénombre. L’écoute, lorsqu’on se sent regardé et que l’on sait qu’il faudra dire des mots ou poser certains gestes pour faire fonctionner le récit, devient moins confortable, plus fébrile, plus active que lorsqu’on est calé dans un fauteuil un carnet de notes à la main. Il faut soudainement tout retenir de mémoire et vivre le moment présent.
L’acteur portugais nous donne rapidement quelques repères. Il faudra apprendre, ensemble, le sonnet 30 de Shakespeare, qu’il nous fera répéter bribe par bribe, comme un chef d’orchestre. Plus les voix de ce chœur de spectateurs prennent de l’assurance, plus la satisfaction monte. On ne fait pas souvent l’expérience de prononcer les mêmes mots à l’unisson. Sauf à la messe, dans une manifestation ou dans un spectacle choral – des situations assez exotiques pour la vaste majorité de nos concitoyens.
On apprend les quatre premiers vers du sonnet tous ensemble, puis un vers chacun. L’exercice, comme le mentionne Rodrigues, a l’effet collatéral de nous rendre sourd à quelques moments, tant notre cerveau veut se concentrer à retenir les mots qui lui sont donnés. La structure même du spectacle se prête toutefois bien à ce type d’absences. L’apprentissage du sonnet 30 par dix quidams n’est qu’un des fils du filet narratif qui se construit au gré des citations, récits et digressions.
Tiago Rodrigues raconte comment Ray Bradbury réécrivait chaque jour au mot près les épisodes d’un feuilleton radiophonique, ce qui l’a mené à imaginer ses propres nouvelles. Comment de petits groupes s’entraînaient à apprendre des poèmes par cœur, alors que les nazis brûlaient les livres. Comment on peut ingérer un texte, le porter en soi pour le donner à d’autres. Comment il s’agit d’un investissement total qui nous paraît totalement romantique et impossible dans notre société confortable et où l’urgence est rare.
Des extraits d’entrevues, d’émission de télé, de Fahrenheit 451 nous sont cités mot à mot par l’acteur qui y entremêle un récit plus personnel, au sujet de sa grand-mère. Lorsque celle-ci, lectrice infatigable, a appris qu’elle perdrait la vue, elle lui a demandé de choisir un livre qu’elle pourrait apprendre par cœur et garder dans sa tête jusqu’à la toute fin.
On comprend graduellement la portée de l’exercice auquel nous avons adhéré. Le chœur, ici, bien qu’en retrait et la plupart du temps, assez passif, devra porter le récit à son dénouement final. Une défaillance, et tout s’effondre. On ressent soudainement une bouffée de tendresse pour ce porteur de récit visiblement ému, qui s’exprime qui plus est dans une langue seconde et qui se sert de nos voix pour réactiver un souvenir d’une émouvante beauté.
Texte et interprétation : Tiago Rodriguez. Une production de la compagnie Mundo Perfeito. Au Périscope, à l’occasion du Carrefour international de théâtre de Québec, jusqu’au 27 mai 2015, puis à la Cinquième Salle de la Place des Arts, à l’occasion du FestivalTransAmériques, du 29 au 31 mai 2015.
On ne porte plus tellement de mots en soi. Savoir quelque chose «par cœur» est devenu désuet alors que toutes les réponses se trouvent au bout de notre cellulaire. Il faut bien un acteur, dont apprendre par cœur fait partie du métier, pour nous faire réaliser qu’il peut s’agir d’un geste de résistance, de mémoire collective, de création et de beauté.
Tiago Rodrigues nous annonce d’entrée de jeu ce que le spectacle ne commencera que lorsque dix spectateurs volontaires auront pris place sur les chaises qui se trouvent sur scène. Nous n’allions pas rater cette occasion de déroger du point de vue habituel… Nous avons donc traversé le quatrième mur.
De l’autre côté des projecteurs, on voit assez bien les visages des spectateurs qui se croient anonymes dans la pénombre. L’écoute, lorsqu’on se sent regardé et que l’on sait qu’il faudra dire des mots ou poser certains gestes pour faire fonctionner le récit, devient moins confortable, plus fébrile, plus active que lorsqu’on est calé dans un fauteuil un carnet de notes à la main. Il faut soudainement tout retenir de mémoire et vivre le moment présent.
L’acteur portugais nous donne rapidement quelques repères. Il faudra apprendre, ensemble, le sonnet 30 de Shakespeare, qu’il nous fera répéter bribe par bribe, comme un chef d’orchestre. Plus les voix de ce chœur de spectateurs prennent de l’assurance, plus la satisfaction monte. On ne fait pas souvent l’expérience de prononcer les mêmes mots à l’unisson. Sauf à la messe, dans une manifestation ou dans un spectacle choral – des situations assez exotiques pour la vaste majorité de nos concitoyens.
On apprend les quatre premiers vers du sonnet tous ensemble, puis un vers chacun. L’exercice, comme le mentionne Rodrigues, a l’effet collatéral de nous rendre sourd à quelques moments, tant notre cerveau veut se concentrer à retenir les mots qui lui sont donnés. La structure même du spectacle se prête toutefois bien à ce type d’absences. L’apprentissage du sonnet 30 par dix quidams n’est qu’un des fils du filet narratif qui se construit au gré des citations, récits et digressions.
Tiago Rodrigues raconte comment Ray Bradbury réécrivait chaque jour au mot près les épisodes d’un feuilleton radiophonique, ce qui l’a mené à imaginer ses propres nouvelles. Comment de petits groupes s’entraînaient à apprendre des poèmes par cœur, alors que les nazis brûlaient les livres. Comment on peut ingérer un texte, le porter en soi pour le donner à d’autres. Comment il s’agit d’un investissement total qui nous paraît totalement romantique et impossible dans notre société confortable et où l’urgence est rare.
Des extraits d’entrevues, d’émission de télé, de Fahrenheit 451 nous sont cités mot à mot par l’acteur qui y entremêle un récit plus personnel, au sujet de sa grand-mère. Lorsque celle-ci, lectrice infatigable, a appris qu’elle perdrait la vue, elle lui a demandé de choisir un livre qu’elle pourrait apprendre par cœur et garder dans sa tête jusqu’à la toute fin.
On comprend graduellement la portée de l’exercice auquel nous avons adhéré. Le chœur, ici, bien qu’en retrait et la plupart du temps, assez passif, devra porter le récit à son dénouement final. Une défaillance, et tout s’effondre. On ressent soudainement une bouffée de tendresse pour ce porteur de récit visiblement ému, qui s’exprime qui plus est dans une langue seconde et qui se sert de nos voix pour réactiver un souvenir d’une émouvante beauté.
By Heart
Texte et interprétation : Tiago Rodriguez. Une production de la compagnie Mundo Perfeito. Au Périscope, à l’occasion du Carrefour international de théâtre de Québec, jusqu’au 27 mai 2015, puis à la Cinquième Salle de la Place des Arts, à l’occasion du FestivalTransAmériques, du 29 au 31 mai 2015.