Critiques

En cas de pluie, aucun remboursement : Jeux de pouvoir

© François Larivière

Déjà seize ans que le Petit Théâtre du Nord donne dans la création québécoise en été. Noble mission s’il en est une. Cette année, les codirecteurs artistiques de la compagnie, dont les spectacles sont présentés à Blainville, ont donné carte blanche à l’auteur et metteur en scène Simon Boudreault. Le résultat, une désopilante comédie sur l’ambition, s’intitule En cas de pluie, aucun remboursement.

Réflexion sur les détournements du pouvoir en milieu de travail, répliques cinglantes, dérision exquise et comédiens virtuoses: pas de doute possible, nous sommes chez Simon Boudreault. N’allez surtout pas croire que l’auteur de Sauce brune et As is (tel quel) a ménagé ses efforts sous prétexte que le soleil brille hors des murs du théâtre. En observant à la loupe les magouilles des employés arrivistes d’un parc d’attractions de peu d’envergure, le Royaume du Super Fun, Boudreault provoque, et ce sans jamais sombrer dans le prêchi-prêcha, un rire lucide, critique et des plus libérateurs.

Dans le rôle de Louis le Juste, king vieillissant d’un royaume décati, plus ou moins remis de sa crise cardiaque de l’été précédent, Reynald Robinson est irrésistiblement drôle. Le personnage est si bien défini, si reconnaissable en même temps qu’original, tout à la fois sympathique et repoussant, qu’il vole bien souvent le show. Comme les autres protagonistes de cette satire sont également fort bien servis, c’est dire l’intérêt d’un détour par Blainville cet été.

Du côté de ceux qui convoitent le trône, il y a l’impassible Charlotte la Hardie (Louise Cardinal), la truculente Lucille la Grasse (Mélanie St-Laurent) et le narcissique François le Bel (Sébastien Gauthier). Pour leur mettre des bâtons dans les roues, on peut compter sur la fille du patron, Marie-Jeanne la Bien-Aimée (Catherine Paquin-Béchard), et surtout le Bossu (Lucien Bergeron), sorte de narrateur qui sous des dehors inoffensifs est le plus ambitieux d’entre tous. Dans le rôle du bouc émissaire, on trouve Henri le Bègue (Jocelyn Blanchard), gardien de sécurité bègue, vous l’aurez compris, et asexuel.

Les scènes d’anthologie sont nombreuses dans ce spectacle irrévérencieux qui ne se gêne surtout pas pour emprunter aux grandes œuvres, des tragédies de Shakespeare aux Rois maudits de Druon, du Cyrano de Rostand à la populaire télésérie Games of Thrones. Bénéficiant de l’ingénieuse conception scénographique de Julie-Christine Picher, des équipements de bureau pour le moins évocateurs, la mise en scène de Boudreault est imaginative et sans temps morts.

On pourrait vous raconter en détail la scène tout simplement hilarante qui se déroule dans la piscine à vagues, ce moment de romance inattendu qui surgit dans les archives de l’empire, ce rude face-à-face entre mascottes, sans oublier la scène cruciale de la grande roue, celle où le suspense est à son comble. Mais ce serait toujours moins concluant que d’en être témoin.

En cas de pluie, aucun remboursement

Texte et mise en scène: Simon Boudreault. Scénographie et accessoires: Julie-Christina Picher. Costumes: Ève-Lyne Dallaire. Éclairages: André Rioux. Son: Larsen Lupin. Avec Raymond Bouchard, Catherine Paquin Béchard, Lucien Bergeron, Jocelyn Blanchard, Louise Cardinal, Sébastien Gauthier et Mélanie St-Laurent. Une production du Petit Théâtre du Nord. Au 1000 chemin du Plan-Bouchard, à Blainville, jusqu’au 31 août 2015. Au Théâtre Jean-Duceppe du 7 septembre au 15 octobre 2016. En tournée à travers le Québec du 18 octobre au 15 décembre 2017.

Christian Saint-Pierre

Critique de théâtre, on peut également le lire dans Le Devoir et Lettres québécoises. Il a été rédacteur en chef et directeur de JEU de 2011 à 2017.