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Gabrielle Chapdelaine : une bouteille à la mer

Toujours en formation en écriture à l’École nationale de théâtre, Gabrielle Chapdelaine profite de la Zone Homa pour nous faire entrer dans son univers. Écrite pendant sa première année d’études, Worcestershire, tragédie municipale sera lue par six comédiens.

Avez-vous hésité à prendre part à la Zone Homa avant même la fin de vos études?

Pas un instant. Je ne me suis même pas posé la question à savoir si je devais attendre avant de faire entendre mes textes. Je voulais déjà faire entendre la pièce alors qu’elle n’avait que quelques scènes. La pièce existe et elle est faite pour exister dans d’autres bouches. C’est le propre de l’écriture dramatique.

Parlez-moi de ce qui vous a inspiré.

La sauce Worcestershire a été découverte après avoir été accidentellement oubliée dans une armoire pendant deux ans. Ça goûte plein de choses. Sucré. Épicé. Vinaigré. J’ai eu envie de zoomer sur ce petit flacon et d’en faire une pièce. Ma sauce Worcestershire, c’est une ville. Une ville de quatre habitants plus ou moins aptes à gérer une ville de quatre habitants. Une ville enfermée dans son propre flacon, qui attend d’être accidentellement découverte, sauvée. Les habitants sont tous un peu différents, mais ils s’agencent. Il y a deux autres personnages. Ceux qui les découvrent, qui «ouvrent l’armoire». L’un accidentellement et l’autre de force.

Pourquoi une tragédie municipale?

Je trouve que l’échelle municipale a un certain charme. Peut-être parce que de nos jours, nous sommes entourés de flamboyants Denis, Régis et même, un peu plus haut sur Google Maps, Jean. On dirait qu’à la mairie, tout est encore possible. Qu’on peut y toucher en tant que citoyen. Qu’on s’y rend. Et le côté tragique est certainement dans la courbe dramatique, mais aussi dans certains éléments choisis, comme la présence d’un chœur et de la catastrophe. De toute façon, les histoires politiques qui finissent bien ne passent pas à l’histoire.

Quelles sont vos attentes envers cette lecture publique?

J’ai envie de m’amuser! J’ai décidé de mettre la pièce en lecture moi-même plutôt que de demander à un metteur en scène de le faire. Pas parce que je pense que je ferai un meilleur travail, mais parce que j’ai envie d’assumer totalement mon travail, de ne pas pouvoir me cacher derrière ma pièce. C’est un peu quitte ou double, mais je suis emballée. Je peux faire tout ce que je veux, essayer plein de choses avec mes collègues générateurs de talent et de bonnes idées.

Ça fait du bien d’être en contact créatif humain (et non seule devant mon ordinateur à manger des biscuits, en attendant que «ça» vienne, en changeant mon manuscrit de police d’écriture vingt fois par heure). On dirait que je viens de découvrir que j’aime le monde et que j’aime travailler en équipe. Alors que je croyais que c’était un signe de vulnérabilité de s’allier artistiquement, je réalise que c’est tout le contraire. C’est une borne-fontaine infinie de force, d’amour et de confiance. Juste pour cette constatation, toutes mes attentes sont comblées.

Vous avez déjà signé quelques critiques de théâtre pour le webzine Les Méconnus. Qu’est-ce que vous avez tiré de cette expérience?

Pour être honnête, pas grand-chose. Je sentais que je regardais les pièces d’une façon différente, et que mon attitude changeait. J’essayais de me faire une idée sur la représentation dès les premières minutes, même si rien n’était encore installé. Et j’essayais surtout d’avoir l’air intellectuelle, un masque qui n’a jamais tenu sur mon visage. Bref, je m’y prenais mal. Mais maintenant, j’assume mon vrai visage et j’adore m’obstiner sur des spectacles! Cela ne me fait que les apprécier davantage. C’est complexe, ces petites bêtes-là. Peu à peu, je développe un côté critique qui me ressemble et cela m’apporte beaucoup de joie.

Worcestershire, tragédie municipale

Texte et mise en lecture: Gabrielle Chapdelaine. Vidéo: Charlie Marois. Avec Rose-Anne Déry, Jeanne Roux-Côté, André-Luc Tessier, Maxime Brillon, Joanie Guérin et David Strasbourg. À la maison de la culture Maisonneuve, à l’occasion de la Zone Homa, le 11 août 2015.

Christian Saint-Pierre

Critique de théâtre, on peut également le lire dans Le Devoir et Lettres québécoises. Il a été rédacteur en chef et directeur de JEU de 2011 à 2017.