Auteur et metteur en scène d’origine franco-portugaise, Manuel Antonio Pereira réside à Bruxelles depuis une vingtaine d’années. Invité par le CEAD à participer à Dramaturgies en dialogue, il arrive avec Mythmaker, une pièce écrite en 2008 et sous-titrée De l’obscénité marchande.
Inspiré d’une nouvelle de Karen Blixen et du film d’Orson Welles Une histoire immortelle, avec Jeanne Moreau, Mythmaker reprend une légende colportée dans les ports, qui raconte qu’un marin est un jour invité par un vieil homme riche à coucher avec sa jeune et belle femme pour lui donner un héritier en échange d’une importante somme d’argent. Un industriel américain décide de faire advenir cette histoire, afin que le mythe devienne réalité. Il peut tout se payer, il peut donc tout se permettre.
« La crise de 2008 est arrivée au moment où je terminais l’écriture de Mythmaker, raconte Manuel Pereira, les coïncidences se sont ainsi démultipliées ! Le texte parle d’une crise du crédit, une crise de la croyance sur laquelle se fonde le capitalisme. Si le crédit et donc la croyance s’effondrent, on tombe dans un krach boursier. Par rapport à la crise de 2008, les rapports sont évidents : les gens ont soif de croyances, on leur promet des taux de profit à deux chiffres, on leur raconte la belle histoire du marin et de la fille qui rejoint la belle histoire des marchés volatils et des emprunts toxiques. Le parallèle se fait naturellement…»
Publié en 2011 aux Éditions Espaces 34, en France, Mythmaker a reçu le prix Sony Labou Tansi des lycéens, qui lui a ouvert les portes des lycées de la francophonie : « Environ 600 élèves de France, de Belgique, d’Afrique, des îles Maurice et de la Réunion ont étudié ce texte en classe. Pour un auteur vivant, c’est rare ! » ajoute Manuel Pereira. S’il n’a pas encore été mis en scène, le texte a fait l’objet de plusieurs lectures, au Théâtre National de Belgique, au festival Les Francophonies en Limousin à Limoges et par quelques groupes de lycéens.
Le territoire de la littérature
Pour Dramaturgies en dialogue, Mythmaker sera mis en lecture par Alice Ronfard : « J’ai plutôt l’habitude de laisser les metteurs en scène s’emparer du texte, pour être dans la surprise. Je n’ai pas d’inquiétude par rapport à Mythmaker, on ne peut pas le tordre dans tous les sens. J’ai vu des interprétations différentes du personnage de l’industriel alors que, pour moi, il a une fêlure inscrite dès le début. Certains en ont fait un personnage shakespearien, qui tempête et remplit tout l’espace. Je pense que l’approche dans la fragilité peut donner quelque chose d’intéressant. Mais nos idées d’auteur ne sont pas forcément bonnes pour la scène, il faut avoir une certaine humilité par rapport à ça. Même si je suis par ailleurs metteur en scène, je monte de moins en moins mes propres textes, je préfère ceux des autres ».
Manuel Pereira dit « écrire un français qui n’est pas de France ». À Montréal, il va entendre sa pièce dans un français qui n’est pas de France : « j’ai déjà vécu cette expérience au festival Zones théâtrales à Ottawa, avec le projet Transatlantique, qui consistait en un échange de textes, qui étaient lus par des acteurs de l’autre continent. J’ai écrit ce texte dans une langue recherchée, qui appartient au territoire de la littérature, mais ce n’est pas un français neutre, un middle ocean french, comme disent les Canadiens. L’accent raconte beaucoup de choses sur les individus, leur origine, leur classe sociale et s’en priver, c’est priver les personnages d’une dimension. Je pense qu’il faut parler le français de là où on est. Je vais avoir le plaisir d’entendre ma langue par des acteurs québécois. Entendre une lecture renouvelée par d’autres énergies d’acteurs, d’autres cultures, une approche différente… Pour un auteur, c’est la cerise sur le gâteau ! »
Accueilli en résidence d’écriture en 2013 par le CEAD, Manuel Pereira participe pour la première fois à Dramaturgies en dialogue. Que le public québécois découvre son texte est une étape importante : « Ce n’est pas facile de faire circuler les textes d’un continent à l’autre, constate-t-il. En Belgique, nous connaissons des auteurs québécois, mais je ne suis pas certain que la France soit très ouverte à cette dramaturgie. J’ai rencontré plusieurs auteurs du Québec lors de résidences mais, en dehors de ces moments privilégiés, les échanges sont limités. C’est pourquoi des événements comme celui organisé par le CEAD sont importants ».
Bien qu’il soit l’auteur d’une dizaine de pièces, parmi lesquelles Permafrost, qui a reçu le Premier Prix des Metteurs en scène, en novembre 2012 (prix attribué par deux jurys, l’un composé de metteurs en scènes de la Fédération Wallonie-Bruxelles, l’autre de metteurs en scène étrangers), écrire pour le théâtre est une démarche qu’il remet en question : « Je pense que j’écris mes deux dernières pièces… Je ne suis pas sûr d’avoir envie de poursuivre au théâtre. Écrire pour le théâtre oblige parfois à être un peu utilitaire. J’ai refusé l’écriture de plateau depuis le début. L’exigence littéraire est primordiale dans tout ce que j’écris. J’écris avec un style et une langue particulière et je veux que cet objet écrit existe indépendamment de ce qu’on peut en faire. C’est un vrai projet littéraire pour moi. Je suis confronté à un théâtre qui instrumentalise les textes, qui a besoin d’une écriture de plateau, de scénario pour la scène. Je n’ai rien contre ça mais ce n’est pas tout à fait ma place. Pourquoi écrire du théâtre alors que les artistes ont envie d’utiliser un matériau qu’ils peuvent travailler comme ils le veulent ? Les dernières pièces que j’ai écrites sont éloignées du théâtre, mais c’est très paradoxal car je reste amoureux du théâtre. C’est comme si je voulais me situer à la frontière, entre deux eaux…»
Texte de Manuel Antonio Pereira. Mise en lecture par Alice Ronfard. Avec Alex Bergeron, Rachel Graton, Laury Huard, Jacques Lavallée, Félix Monette-Dubeau, Philippe Racine et Magali Saint-Vincent. Mardi 25 août à 21 h au Théâtre d’Aujourd’hui
Auteur et metteur en scène d’origine franco-portugaise, Manuel Antonio Pereira réside à Bruxelles depuis une vingtaine d’années. Invité par le CEAD à participer à Dramaturgies en dialogue, il arrive avec Mythmaker, une pièce écrite en 2008 et sous-titrée De l’obscénité marchande.
Inspiré d’une nouvelle de Karen Blixen et du film d’Orson Welles Une histoire immortelle, avec Jeanne Moreau, Mythmaker reprend une légende colportée dans les ports, qui raconte qu’un marin est un jour invité par un vieil homme riche à coucher avec sa jeune et belle femme pour lui donner un héritier en échange d’une importante somme d’argent. Un industriel américain décide de faire advenir cette histoire, afin que le mythe devienne réalité. Il peut tout se payer, il peut donc tout se permettre.
« La crise de 2008 est arrivée au moment où je terminais l’écriture de Mythmaker, raconte Manuel Pereira, les coïncidences se sont ainsi démultipliées ! Le texte parle d’une crise du crédit, une crise de la croyance sur laquelle se fonde le capitalisme. Si le crédit et donc la croyance s’effondrent, on tombe dans un krach boursier. Par rapport à la crise de 2008, les rapports sont évidents : les gens ont soif de croyances, on leur promet des taux de profit à deux chiffres, on leur raconte la belle histoire du marin et de la fille qui rejoint la belle histoire des marchés volatils et des emprunts toxiques. Le parallèle se fait naturellement…»
Publié en 2011 aux Éditions Espaces 34, en France, Mythmaker a reçu le prix Sony Labou Tansi des lycéens, qui lui a ouvert les portes des lycées de la francophonie : « Environ 600 élèves de France, de Belgique, d’Afrique, des îles Maurice et de la Réunion ont étudié ce texte en classe. Pour un auteur vivant, c’est rare ! » ajoute Manuel Pereira. S’il n’a pas encore été mis en scène, le texte a fait l’objet de plusieurs lectures, au Théâtre National de Belgique, au festival Les Francophonies en Limousin à Limoges et par quelques groupes de lycéens.
Le territoire de la littérature
Pour Dramaturgies en dialogue, Mythmaker sera mis en lecture par Alice Ronfard : « J’ai plutôt l’habitude de laisser les metteurs en scène s’emparer du texte, pour être dans la surprise. Je n’ai pas d’inquiétude par rapport à Mythmaker, on ne peut pas le tordre dans tous les sens. J’ai vu des interprétations différentes du personnage de l’industriel alors que, pour moi, il a une fêlure inscrite dès le début. Certains en ont fait un personnage shakespearien, qui tempête et remplit tout l’espace. Je pense que l’approche dans la fragilité peut donner quelque chose d’intéressant. Mais nos idées d’auteur ne sont pas forcément bonnes pour la scène, il faut avoir une certaine humilité par rapport à ça. Même si je suis par ailleurs metteur en scène, je monte de moins en moins mes propres textes, je préfère ceux des autres ».
Manuel Pereira dit « écrire un français qui n’est pas de France ». À Montréal, il va entendre sa pièce dans un français qui n’est pas de France : « j’ai déjà vécu cette expérience au festival Zones théâtrales à Ottawa, avec le projet Transatlantique, qui consistait en un échange de textes, qui étaient lus par des acteurs de l’autre continent. J’ai écrit ce texte dans une langue recherchée, qui appartient au territoire de la littérature, mais ce n’est pas un français neutre, un middle ocean french, comme disent les Canadiens. L’accent raconte beaucoup de choses sur les individus, leur origine, leur classe sociale et s’en priver, c’est priver les personnages d’une dimension. Je pense qu’il faut parler le français de là où on est. Je vais avoir le plaisir d’entendre ma langue par des acteurs québécois. Entendre une lecture renouvelée par d’autres énergies d’acteurs, d’autres cultures, une approche différente… Pour un auteur, c’est la cerise sur le gâteau ! »
Accueilli en résidence d’écriture en 2013 par le CEAD, Manuel Pereira participe pour la première fois à Dramaturgies en dialogue. Que le public québécois découvre son texte est une étape importante : « Ce n’est pas facile de faire circuler les textes d’un continent à l’autre, constate-t-il. En Belgique, nous connaissons des auteurs québécois, mais je ne suis pas certain que la France soit très ouverte à cette dramaturgie. J’ai rencontré plusieurs auteurs du Québec lors de résidences mais, en dehors de ces moments privilégiés, les échanges sont limités. C’est pourquoi des événements comme celui organisé par le CEAD sont importants ».
Bien qu’il soit l’auteur d’une dizaine de pièces, parmi lesquelles Permafrost, qui a reçu le Premier Prix des Metteurs en scène, en novembre 2012 (prix attribué par deux jurys, l’un composé de metteurs en scènes de la Fédération Wallonie-Bruxelles, l’autre de metteurs en scène étrangers), écrire pour le théâtre est une démarche qu’il remet en question : « Je pense que j’écris mes deux dernières pièces… Je ne suis pas sûr d’avoir envie de poursuivre au théâtre. Écrire pour le théâtre oblige parfois à être un peu utilitaire. J’ai refusé l’écriture de plateau depuis le début. L’exigence littéraire est primordiale dans tout ce que j’écris. J’écris avec un style et une langue particulière et je veux que cet objet écrit existe indépendamment de ce qu’on peut en faire. C’est un vrai projet littéraire pour moi. Je suis confronté à un théâtre qui instrumentalise les textes, qui a besoin d’une écriture de plateau, de scénario pour la scène. Je n’ai rien contre ça mais ce n’est pas tout à fait ma place. Pourquoi écrire du théâtre alors que les artistes ont envie d’utiliser un matériau qu’ils peuvent travailler comme ils le veulent ? Les dernières pièces que j’ai écrites sont éloignées du théâtre, mais c’est très paradoxal car je reste amoureux du théâtre. C’est comme si je voulais me situer à la frontière, entre deux eaux…»
Mythmaker
Texte de Manuel Antonio Pereira. Mise en lecture par Alice Ronfard. Avec Alex Bergeron, Rachel Graton, Laury Huard, Jacques Lavallée, Félix Monette-Dubeau, Philippe Racine et Magali Saint-Vincent. Mardi 25 août à 21 h au Théâtre d’Aujourd’hui