Bruits, cris, gestes emportés, c’est sous le signe de l’excès que se présente ce Joueur de Gregory Hlady, d’après Dostoïevski. Le choix ne surprendra pas le spectateur assidu de La Veillée, car la compagnie nous a habitués au jeu expressif, voire démesuré.
Dès l’ouverture, quand déferle une tempête de nuages sur une musique forte et que gesticule en hurlant une sorte de maître de cérémonie — qui n’en finira jamais avec ses simagrées (Mr Zéro n’incarne-t-il pas le hasard) —, la table est mise pour que la frénésie s’empare de la scène. Ainsi, lorsqu’Alexeï paraît dans son costume rouge vif, on sait à quoi s’en tenir. Le cirque peut commencer.
Au risque de perdre la finesse psychologique que l’on reconnaît habituellement à l’auteur russe, le metteur en scène a opté pour le trait grossissant. Aussi, pour qui ne connaît pas l’univers de Dostoïevski, peut-il être un peu difficile de bien percevoir les relations entre les personnages et leurs motivations. Bien sûr, il est clair que tous sont pris dans un maelstrom où ils jouent chacun leur va-tout. Alexeï, le premier, sait que son statut de subalterne dans la « maison » du général (il est précepteur de ses enfants) le disqualifie aux yeux de Paulina, la belle-fille de ce dernier, qu’il aime éperdument. Elle le traite en « esclave », il se comporte en esclave. Pour l’aider, il jouera à la roulette, persuadé que lui rapporter de l’argent le fera enfin voir comme « un homme ». Peine perdue.
Il en va ainsi pour chacun dans ce monde en déchéance où le salut ne semble pouvoir venir jamais de soi mais que de l’extérieur : la mort de la grand-tante qui garantirait l’héritage, le mariage avec le premier riche venu et, surtout, le gain au casino. Tous apparaissent alors comme des marionnettes du destin, en plus de l’être les uns pour les autres. Ce que la mise en scène souligne très fortement. Et, la plupart du temps, efficacement. Sur ce plan, les scènes au casino où les gains et les pertes sont littéralement chorégraphiés sont parmi les plus réussies. Par contre, il faut bien dire qu’ailleurs, on cherche un peu la motivation derrière certains choix (les jeux de chaises ? les grossièretés avec les poissons ?). En revanche, la scénographie inspirée de la roulette (beau travail de Vladimir Kovalchuk), campe bien le sujet principal : l’homme est un jouet du hasard.
Paul Ahmarani a tout à fait la tête de l’emploi pour faire d’Alexeï ce personnage à la fois humilié et entêté, continuellement en proie à des contradictions. Personnage central autour duquel tous gravitent, il porte le message de Dostoïevski. Si le gain permet au médiocre de s’élever, il lui donne surtout l’illusion de « maîtriser le hasard » (« La roulette m’a obéi, moi ! ») ; même si le cercle infernal dans lequel le jeu entraîne constitue un réel piège, l’homme continuera à braver, sûr de « ressusciter » un jour. Le joueur compulsif que devient Alexeï n’aime pas l’argent, il joue sa vie.
Dans le rôle du général, Peter Batakliev rend très bien tout le ridicule du personnage, émoustillé par la pétulante, et néanmoins hypocrite, Mademoiselle Blanche (Stéphanie Cardi) et parfaitement déconfit quand surgit sa grand-tante. Danielle Proulx interprète avec justesse la vieille dame impertinente, qui en impose, mais qui se perdra presque, emportée par cette folie qui laisse croire qu’on peut défier le sort. C’est le personnage qui est joué le plus naturellement, ce qui permet quelques rares scènes où surgit l’émotion, avec Paulina (excellente Évelyne Rompré), la jeune femme triplement convoitée. Frédéric Lavallée propose un M. Astley aussi amical à l’égard d’Alexeï que dans le roman de Dostoiëvski… peut-être même un peu trop… Tandis qu’Alex Bisping joue un Marquis de Grieux bien sournois, complétant cette bande de profiteurs rassemblés à Roulettenbourg.
Si Dostoïevski excelle dans la création de personnages pétris de contradictions, obnubilés par des désirs, nourris par des rêves parfois insensés, Gregory Hlady a choisi d’illustrer leur caractère excessif en soulignant leurs fantasmes, en les décomposant comme des pantins. Le parti-pris du grotesque éloigne alors la tentation moralisatrice.
D’après Dostoïevski. Mise en scène de Gregory Hlady. Une production du Groupe de la Veillée, présentée au Théâtre Prospero jusqu’au 20 février 2016.
Bruits, cris, gestes emportés, c’est sous le signe de l’excès que se présente ce Joueur de Gregory Hlady, d’après Dostoïevski. Le choix ne surprendra pas le spectateur assidu de La Veillée, car la compagnie nous a habitués au jeu expressif, voire démesuré.
Dès l’ouverture, quand déferle une tempête de nuages sur une musique forte et que gesticule en hurlant une sorte de maître de cérémonie — qui n’en finira jamais avec ses simagrées (Mr Zéro n’incarne-t-il pas le hasard) —, la table est mise pour que la frénésie s’empare de la scène. Ainsi, lorsqu’Alexeï paraît dans son costume rouge vif, on sait à quoi s’en tenir. Le cirque peut commencer.
Au risque de perdre la finesse psychologique que l’on reconnaît habituellement à l’auteur russe, le metteur en scène a opté pour le trait grossissant. Aussi, pour qui ne connaît pas l’univers de Dostoïevski, peut-il être un peu difficile de bien percevoir les relations entre les personnages et leurs motivations. Bien sûr, il est clair que tous sont pris dans un maelstrom où ils jouent chacun leur va-tout. Alexeï, le premier, sait que son statut de subalterne dans la « maison » du général (il est précepteur de ses enfants) le disqualifie aux yeux de Paulina, la belle-fille de ce dernier, qu’il aime éperdument. Elle le traite en « esclave », il se comporte en esclave. Pour l’aider, il jouera à la roulette, persuadé que lui rapporter de l’argent le fera enfin voir comme « un homme ». Peine perdue.
Il en va ainsi pour chacun dans ce monde en déchéance où le salut ne semble pouvoir venir jamais de soi mais que de l’extérieur : la mort de la grand-tante qui garantirait l’héritage, le mariage avec le premier riche venu et, surtout, le gain au casino. Tous apparaissent alors comme des marionnettes du destin, en plus de l’être les uns pour les autres. Ce que la mise en scène souligne très fortement. Et, la plupart du temps, efficacement. Sur ce plan, les scènes au casino où les gains et les pertes sont littéralement chorégraphiés sont parmi les plus réussies. Par contre, il faut bien dire qu’ailleurs, on cherche un peu la motivation derrière certains choix (les jeux de chaises ? les grossièretés avec les poissons ?). En revanche, la scénographie inspirée de la roulette (beau travail de Vladimir Kovalchuk), campe bien le sujet principal : l’homme est un jouet du hasard.
Paul Ahmarani a tout à fait la tête de l’emploi pour faire d’Alexeï ce personnage à la fois humilié et entêté, continuellement en proie à des contradictions. Personnage central autour duquel tous gravitent, il porte le message de Dostoïevski. Si le gain permet au médiocre de s’élever, il lui donne surtout l’illusion de « maîtriser le hasard » (« La roulette m’a obéi, moi ! ») ; même si le cercle infernal dans lequel le jeu entraîne constitue un réel piège, l’homme continuera à braver, sûr de « ressusciter » un jour. Le joueur compulsif que devient Alexeï n’aime pas l’argent, il joue sa vie.
Dans le rôle du général, Peter Batakliev rend très bien tout le ridicule du personnage, émoustillé par la pétulante, et néanmoins hypocrite, Mademoiselle Blanche (Stéphanie Cardi) et parfaitement déconfit quand surgit sa grand-tante. Danielle Proulx interprète avec justesse la vieille dame impertinente, qui en impose, mais qui se perdra presque, emportée par cette folie qui laisse croire qu’on peut défier le sort. C’est le personnage qui est joué le plus naturellement, ce qui permet quelques rares scènes où surgit l’émotion, avec Paulina (excellente Évelyne Rompré), la jeune femme triplement convoitée. Frédéric Lavallée propose un M. Astley aussi amical à l’égard d’Alexeï que dans le roman de Dostoiëvski… peut-être même un peu trop… Tandis qu’Alex Bisping joue un Marquis de Grieux bien sournois, complétant cette bande de profiteurs rassemblés à Roulettenbourg.
Si Dostoïevski excelle dans la création de personnages pétris de contradictions, obnubilés par des désirs, nourris par des rêves parfois insensés, Gregory Hlady a choisi d’illustrer leur caractère excessif en soulignant leurs fantasmes, en les décomposant comme des pantins. Le parti-pris du grotesque éloigne alors la tentation moralisatrice.
Le Joueur
D’après Dostoïevski. Mise en scène de Gregory Hlady. Une production du Groupe de la Veillée, présentée au Théâtre Prospero jusqu’au 20 février 2016.