Les animaux, la forêt et la vie en pleine nature sont en vogue sur nos scènes, où la ruralité connaît un regain d’intérêt et une interprétation nouvelle sous l’impulsion de jeunes créateurs. Parmi ceux-là, Steve Gagnon, auteur et metteur en scène de Fendre les lacs, a su exprimer avec brio les rapports de l’humain avec les bêtes, mais surtout la part animale en chacun, chacune des protagonistes de sa pièce. Voilà une œuvre forte, intense, émouvante et poétique, portée par des comédiens totalement investis.
La scénographie étonnante, signée Marie-Renée Bourget Harvey, frappe d’entrée de jeu et se révèle entièrement au service du propos, tout en permettant des effets visuels d’une beauté remarquable, auxquels participent les éclairages de Martin Sirois. Sans compter les impacts sonores des déplacements et mouvements des comédiens dans ce grand bassin d’eau rectangulaire, entouré d’un cadre de bois, faisant toute la largeur de l’aire scénique. Ici et là, dans l’eau et derrière le bassin, quelques arbres dispersés évoquent la forêt autour du lac où vivent les huit personnages de la fable.
La pièce, construite majoritairement de scènes à deux, dévoile peu à peu les relations difficiles et les failles internes de ces êtres déroutés, écorchés par une vie qui distille l’ennui, la morosité, l’absence d’espoir. Ces femmes et ces hommes semblent tous chercher à sortir de l’enfance, d’une infantilisation imposée par le cadre de leur existence, l’isolement, la promiscuité, une sorte d’enfermement où chacun étouffe à sa manière, incapable de faire bouger les choses, à l’intérieur comme autour de soi, et d’aspirer à une vie meilleure.
Dès le début, Adèle (une Marie-Josée Bastien pleine d’autorité, tendre aussi), habituée à recueillir des carcasses d’animaux, entre en traînant un arbre symbolisant le cadavre du mari d’Emma (Véronique Côté, criante de vérité dans l’égarement et la douleur), mère dépassée par la folie suicidaire de son ado (touchant Frédéric Lemay). Alors qu’une jeune femme en manque d’amour, Louise (Claudiane Ruelland, juste dans la colère comme dans le désespoir), lance des appels brûlants à Thomas (Guillaume Perreault, d’une dureté implacable), un autre couple se déchire.
Élie, femme marin (campée avec aplomb par Karine Gonthier-Hyndman), rêve de partir travailler sur les bateaux, mais son amant (Renaud Lacelle-Bourdon, tout aussi convaincant) refuse de la suivre à cause d’une promesse faite à un vieil homosexuel riche et malade. Un dernier personnage, Martin (Pierre-Luc Brillant, capable de fragilité et de force), revenu dans le coin après trente ans d’absence, porte en lui un secret douloureux qui lui permettra d’aider sa voisine Emma.
Le texte de Steve Gagnon enchaîne les dialogues serrés, où alternent les émotions fortes, hostilité, frustration, hystérie, désespoir, et les accalmies où peuvent enfin s’exprimer la tendresse et la solidarité. Les répliques dures et drues font place à des envolées d’une poésie viscérale qui magnifie les êtres qui la portent. Véritable morceau d’anthologie, la déclaration d’amour de l’indomptable Louise, carabine à la main, à l’impassible Thomas, monologue du don total qui ne reçoit aucun accueil, constitue un moment bouleversant parmi d’autres.
Dans sa mise en scène, Gagnon démontre une grande maîtrise de la direction d’acteur. La tension dramatique se maintient d’un bout à l’autre de la représentation d’une heure quarante-cinq. Les jeux avec divers accessoires, bidons ou chaudières, moteurs qu’on répare, bâtons, terre, cendres, plantes, peinture rouge qui ensanglante bras, mains et visages, l’eau qui éclabousse tout, dans laquelle on se glisse, se bat, se débat, tout concourt à l’organicité de l’ensemble du spectacle. L’intensité émotionnelle marque cette production riche, ouverte à l’interprétation.
Texte et mise en scène: Steve Gagnon. Scénographie et accessoires: Marie-Renée Bourget Harvey. Éclairages: Martin Sirois. Musique: Uberko. Costumes: Jennifer Tremblay. Avec Marie-Josée Bastien, Pierre-Luc Brillant, Véronique Côté, Steve Gagnon, Karine Gonthier-Hyndman, Frédéric Lemay, Guillaume Perreault et Claudiane Ruelland. Une production du Théâtre Jésus, Shakespeare et Caroline. Aux Écuries jusqu’au 26 mars 2016. Au Studio Azrieli du Centre national des Arts du 9 au 12 mai 2018.
Les animaux, la forêt et la vie en pleine nature sont en vogue sur nos scènes, où la ruralité connaît un regain d’intérêt et une interprétation nouvelle sous l’impulsion de jeunes créateurs. Parmi ceux-là, Steve Gagnon, auteur et metteur en scène de Fendre les lacs, a su exprimer avec brio les rapports de l’humain avec les bêtes, mais surtout la part animale en chacun, chacune des protagonistes de sa pièce. Voilà une œuvre forte, intense, émouvante et poétique, portée par des comédiens totalement investis.
La scénographie étonnante, signée Marie-Renée Bourget Harvey, frappe d’entrée de jeu et se révèle entièrement au service du propos, tout en permettant des effets visuels d’une beauté remarquable, auxquels participent les éclairages de Martin Sirois. Sans compter les impacts sonores des déplacements et mouvements des comédiens dans ce grand bassin d’eau rectangulaire, entouré d’un cadre de bois, faisant toute la largeur de l’aire scénique. Ici et là, dans l’eau et derrière le bassin, quelques arbres dispersés évoquent la forêt autour du lac où vivent les huit personnages de la fable.
La pièce, construite majoritairement de scènes à deux, dévoile peu à peu les relations difficiles et les failles internes de ces êtres déroutés, écorchés par une vie qui distille l’ennui, la morosité, l’absence d’espoir. Ces femmes et ces hommes semblent tous chercher à sortir de l’enfance, d’une infantilisation imposée par le cadre de leur existence, l’isolement, la promiscuité, une sorte d’enfermement où chacun étouffe à sa manière, incapable de faire bouger les choses, à l’intérieur comme autour de soi, et d’aspirer à une vie meilleure.
Dès le début, Adèle (une Marie-Josée Bastien pleine d’autorité, tendre aussi), habituée à recueillir des carcasses d’animaux, entre en traînant un arbre symbolisant le cadavre du mari d’Emma (Véronique Côté, criante de vérité dans l’égarement et la douleur), mère dépassée par la folie suicidaire de son ado (touchant Frédéric Lemay). Alors qu’une jeune femme en manque d’amour, Louise (Claudiane Ruelland, juste dans la colère comme dans le désespoir), lance des appels brûlants à Thomas (Guillaume Perreault, d’une dureté implacable), un autre couple se déchire.
Élie, femme marin (campée avec aplomb par Karine Gonthier-Hyndman), rêve de partir travailler sur les bateaux, mais son amant (Renaud Lacelle-Bourdon, tout aussi convaincant) refuse de la suivre à cause d’une promesse faite à un vieil homosexuel riche et malade. Un dernier personnage, Martin (Pierre-Luc Brillant, capable de fragilité et de force), revenu dans le coin après trente ans d’absence, porte en lui un secret douloureux qui lui permettra d’aider sa voisine Emma.
Le texte de Steve Gagnon enchaîne les dialogues serrés, où alternent les émotions fortes, hostilité, frustration, hystérie, désespoir, et les accalmies où peuvent enfin s’exprimer la tendresse et la solidarité. Les répliques dures et drues font place à des envolées d’une poésie viscérale qui magnifie les êtres qui la portent. Véritable morceau d’anthologie, la déclaration d’amour de l’indomptable Louise, carabine à la main, à l’impassible Thomas, monologue du don total qui ne reçoit aucun accueil, constitue un moment bouleversant parmi d’autres.
Dans sa mise en scène, Gagnon démontre une grande maîtrise de la direction d’acteur. La tension dramatique se maintient d’un bout à l’autre de la représentation d’une heure quarante-cinq. Les jeux avec divers accessoires, bidons ou chaudières, moteurs qu’on répare, bâtons, terre, cendres, plantes, peinture rouge qui ensanglante bras, mains et visages, l’eau qui éclabousse tout, dans laquelle on se glisse, se bat, se débat, tout concourt à l’organicité de l’ensemble du spectacle. L’intensité émotionnelle marque cette production riche, ouverte à l’interprétation.
Fendre les lacs
Texte et mise en scène: Steve Gagnon. Scénographie et accessoires: Marie-Renée Bourget Harvey. Éclairages: Martin Sirois. Musique: Uberko. Costumes: Jennifer Tremblay. Avec Marie-Josée Bastien, Pierre-Luc Brillant, Véronique Côté, Steve Gagnon, Karine Gonthier-Hyndman, Frédéric Lemay, Guillaume Perreault et Claudiane Ruelland. Une production du Théâtre Jésus, Shakespeare et Caroline. Aux Écuries jusqu’au 26 mars 2016. Au Studio Azrieli du Centre national des Arts du 9 au 12 mai 2018.