On ne raconte pas le théâtre de Romeo Castellucci, on le reçoit. En plein corps. Un coup de poing au plexus, qui coupe le souffle mais ravive l’âme. Le bouleversement nait de la juxtaposition d’images puissantes, qui prennent leur sens l’une par rapport à l’autre, qui en font naitre d’autres sur notre écran mental. Des images qui, comme celles de son spectacle présenté au FTA en 2012, Sur le concept du visage du fils de Dieu, nous habiteront longtemps, si longtemps qu’elles en deviendront inaltérables.
Sur un plateau fermé par un tulle, Go Down, Moses ne raconte pas la vie de Moïse mais seulement quelques épisodes symboliques. Sa naissance tout d’abord, puis son abandon. Un tableau d’une sublime violence que celui de cette femme, seule, qui fait une hémorragie dans les toilettes publiques d’un bar. Puis, on entend les pleurs d’un bébé, venant d’un sac plastique posé dans un container à ordures.
On retrouve la femme dans le bureau d’un inspecteur. Prostrée, muette. Quand elle se décide à parler, elle semble tenir des propos incohérents, car le fonctionnaire en face d’elle ne peut ni l’entendre ni la comprendre. Elle dit qu’elle a donné son enfant pour sauver le monde, qu’il est venu faire alliance avec Dieu et libérer le peuple de l’esclavage – un discours à la fois christique et très actuel : on compte 46 millions d’esclaves dans le monde (les chiffres sont sortis hier dans les médias), sans compter ces cohortes humaines assujetties par leur travail, leurs bidules électroniques et autres addictions. Quand l’inspecteur la menace de la jeter en prison, elle répond: « J’y suis déjà ».
Comme elle est déjà morte en elle-même, et s’allonge dans la position d’un cadavre sur le plateau du scanner, baigné d’une lumière blanche et d’un chaos sonore qui évoquent le passage.
« La naissance de l’art est antérieure à la création du divin », dit le metteur en scène. Ce qu’exprime le dernier tableau, dans la caverne préhistorique (« la planète des singes », disait une dame dans l’autobus du retour). Cette femme qui enterre son bébé nouveau-né montre par ce rite funéraire originel une croyance en quelque chose de plus fort qu’elle. Puis elle applique l’empreinte de ses mains boueuses sur le tulle — une première manifestation artistique — avec de tracer les trois lettres de l’appel à l’aide, comme le ferait un groupe de migrants dans le sable d’une plage.
Les comédiens sont tous d’une grande justesse, dans un jeu épuré à l’extrême, débarrassé de tout ce qui n’est pas essentiel au récit. Ils font corps avec l’univers qu’ils créent. Ils sont « placés », comme on le dit d’un danseur, à tel point que le jeu et le personnage s’effacent pour laisser l’être apparaitre. C’est là, peut-être, que réside la force et l’universalité des images de Castellucci, qui nous brassent jusque dans l’inconscient.
Le spectacle commence par un accouchement et se clôt sur un acte sexuel. Ainsi, d’une femme à l’autre se tisse le fil de la vie, zébré de pulsions de mort. Le théâtre de la cruauté tel que l’entendait Artaud. Parce que la vie est cruelle. Et que Castellucci sait magnifiquement comme le dire.
Texte de Claudia et Romeo Castellucci. Mise en scène, scénographie, costumes et lumières de Romeo Castellucci. Une production de la Societas Raffaello Sanzio. Présenté à l’occasion du FTA, les 2, 3 et 4 juin 2016.
On ne raconte pas le théâtre de Romeo Castellucci, on le reçoit. En plein corps. Un coup de poing au plexus, qui coupe le souffle mais ravive l’âme. Le bouleversement nait de la juxtaposition d’images puissantes, qui prennent leur sens l’une par rapport à l’autre, qui en font naitre d’autres sur notre écran mental. Des images qui, comme celles de son spectacle présenté au FTA en 2012, Sur le concept du visage du fils de Dieu, nous habiteront longtemps, si longtemps qu’elles en deviendront inaltérables.
Sur un plateau fermé par un tulle, Go Down, Moses ne raconte pas la vie de Moïse mais seulement quelques épisodes symboliques. Sa naissance tout d’abord, puis son abandon. Un tableau d’une sublime violence que celui de cette femme, seule, qui fait une hémorragie dans les toilettes publiques d’un bar. Puis, on entend les pleurs d’un bébé, venant d’un sac plastique posé dans un container à ordures.
On retrouve la femme dans le bureau d’un inspecteur. Prostrée, muette. Quand elle se décide à parler, elle semble tenir des propos incohérents, car le fonctionnaire en face d’elle ne peut ni l’entendre ni la comprendre. Elle dit qu’elle a donné son enfant pour sauver le monde, qu’il est venu faire alliance avec Dieu et libérer le peuple de l’esclavage – un discours à la fois christique et très actuel : on compte 46 millions d’esclaves dans le monde (les chiffres sont sortis hier dans les médias), sans compter ces cohortes humaines assujetties par leur travail, leurs bidules électroniques et autres addictions. Quand l’inspecteur la menace de la jeter en prison, elle répond: « J’y suis déjà ».
Comme elle est déjà morte en elle-même, et s’allonge dans la position d’un cadavre sur le plateau du scanner, baigné d’une lumière blanche et d’un chaos sonore qui évoquent le passage.
« La naissance de l’art est antérieure à la création du divin », dit le metteur en scène. Ce qu’exprime le dernier tableau, dans la caverne préhistorique (« la planète des singes », disait une dame dans l’autobus du retour). Cette femme qui enterre son bébé nouveau-né montre par ce rite funéraire originel une croyance en quelque chose de plus fort qu’elle. Puis elle applique l’empreinte de ses mains boueuses sur le tulle — une première manifestation artistique — avec de tracer les trois lettres de l’appel à l’aide, comme le ferait un groupe de migrants dans le sable d’une plage.
Les comédiens sont tous d’une grande justesse, dans un jeu épuré à l’extrême, débarrassé de tout ce qui n’est pas essentiel au récit. Ils font corps avec l’univers qu’ils créent. Ils sont « placés », comme on le dit d’un danseur, à tel point que le jeu et le personnage s’effacent pour laisser l’être apparaitre. C’est là, peut-être, que réside la force et l’universalité des images de Castellucci, qui nous brassent jusque dans l’inconscient.
Le spectacle commence par un accouchement et se clôt sur un acte sexuel. Ainsi, d’une femme à l’autre se tisse le fil de la vie, zébré de pulsions de mort. Le théâtre de la cruauté tel que l’entendait Artaud. Parce que la vie est cruelle. Et que Castellucci sait magnifiquement comme le dire.
Go Down, Moses
Texte de Claudia et Romeo Castellucci. Mise en scène, scénographie, costumes et lumières de Romeo Castellucci. Une production de la Societas Raffaello Sanzio. Présenté à l’occasion du FTA, les 2, 3 et 4 juin 2016.