Un Roméo et Juliette « juste pour rire » ? On ne peut que se réjouir de l’humour que le festival de Gilbert Rozon, en s’associant au TNM, a pu insuffler à la pièce de Shakespeare. Certes, ce comique se trouvait déjà chez Shakespeare, et Serge Denoncourt, en montant cette tragi-comédie, n’a eu à opérer aucune subversion de genre.
Si on ne va pas voir l’histoire d’un amour adolescent conduisant à un double suicide avec l’idée de se divertir, on se surprend à y rire souvent. En fait, la principale qualité de la mise en scène de Denoncourt est d’avoir su garder intacte la pureté de l’amour de Roméo (Philippe Thibault-Denis) et Juliette (Marianne Fortier) tout autant que l’humanité des personnages. En s’appuyant sur la remarquable traduction de Normand Chaurette, le metteur en scène exploite efficacement les îlots de comédie de la pièce : scènes hilarantes avec la nourrice (remarquablement interprétée par Debbie Lynch-White) ou scènes grivoises d’un Mercutio excentrique et androgyne (joué avec brio par Benoît McGinnis). La table est mise pour une scène du balcon audacieuse qui nous fait rire tout autant qu’elle nous émeut.
Il faut louer d’ailleurs la scénographie de Guillaume Lord dont le mur pivotant concrétise ici l’impossible rapprochement des amants. Ainsi, le dialogue célèbre est ponctué des escalades d’un Roméo acrobate qui tente de rejoindre sa Juliette, mais qui doit se résoudre à se laisse glisser sur le dos, effectuant à maintes reprises des départs ratés qui créent chez le spectateur une véritable attente comique. L’image d’un Roméo en équilibre sur ce mur oblique est emblématique d’une production se balançant astucieusement entre le comique et le tragique, sans jamais verser dans la caricature ou la parodie, qui auraient détruit l’innocence et la légèreté de ce Shakespeare de jeunesse.
Donner du sens au tragique
Est-ce le choix d’une distribution puisant dans la relève qui donne à cette production une grâce qui va au-delà d’une esthétique naturaliste ? En transposant la pièce dans l’Italie des années 30, Denoncourt a en fait réussi, par la qualité exceptionnelle des éclairages lumineux, le caractère stylisé du décor et l’élégance des costumes des Capulet, à évoquer le cinéma de Visconti. D’ailleurs, l’intertexte du cinéma italien est plus fort que le sens politique, et cela malgré la projection au début des documents d’archive de l’Italie de 1937 et les costumes des Capulet empruntant aux chemises noires.
Alors que le spectateur a tout pour faire des inférences avec son temps, où la montée de l’extrême-droite apparaît comme une menace réelle, l’allégorie ne prend pas. La scène du double meurtre de Mercutio et Tybalt qui fait basculer la comédie dans la tragédie est une scène de bagarre hautement chorégraphiée, où la violence est stylisée et magnifiquement « théâtralisée ». Elle ne nous renvoie pourtant ni à la terreur fasciste ni à l’horreur des événements tragiques de l’été meurtrier que nous vivons. Chez Roméo et Juliette, les événements ont beau avoir leur part d’arbitraire et de hasard fortuit, qui placent ces adolescents de deux familles en guerre sur le chemin l’un de l’autre pour les faire mourir dans un quiproquo absurde tenant à des lettres interceptées et une fausse mort, au bout du compte, l’idéal de deux êtres amoureux reste imperméable à toute idéologie et, ultimement, permet la réconciliation entre les deux familles.
Une tragédie finissant par avoir un sens pour le spectateur du présent qui recherche avidement et désespérément les Roméo et Juliette de ce monde.
Texte : William Shakespeare. Traduction : Normand Chaurette. Mise en scène : Serge Denoncourt. Avec Mikhaïl Ahooja, Marion Barot, Alex Bergeron, Nathalie Breuer, Jean-François Casabonne, Lévi Doré, Antoine Durand, Marianne Fortier, Guillaume Gauthier, Sarah Cloutier Labbé, Gabriel Lemire, Debbie Lynch-White, Jean-Moïse Martin, Benoît McGinnis, Jean-Francois Pichette, Simon Pigeon, Catherine Proulx-Lemay, Mathieu Richard, Guillaume Rodrigue, Philippe Thibault-Denis. Scénographie : Guillaume Lord. Costumes : Pierre-Guy Lapointe. Éclairages : Martin Labrecque. Musique originale : Philip Pinsky. Une production du Théâtre du Nouveau Monde et de Juste pour rire. Au TNM jusqu’au 20 août 2016.
Un Roméo et Juliette « juste pour rire » ? On ne peut que se réjouir de l’humour que le festival de Gilbert Rozon, en s’associant au TNM, a pu insuffler à la pièce de Shakespeare. Certes, ce comique se trouvait déjà chez Shakespeare, et Serge Denoncourt, en montant cette tragi-comédie, n’a eu à opérer aucune subversion de genre.
Si on ne va pas voir l’histoire d’un amour adolescent conduisant à un double suicide avec l’idée de se divertir, on se surprend à y rire souvent. En fait, la principale qualité de la mise en scène de Denoncourt est d’avoir su garder intacte la pureté de l’amour de Roméo (Philippe Thibault-Denis) et Juliette (Marianne Fortier) tout autant que l’humanité des personnages. En s’appuyant sur la remarquable traduction de Normand Chaurette, le metteur en scène exploite efficacement les îlots de comédie de la pièce : scènes hilarantes avec la nourrice (remarquablement interprétée par Debbie Lynch-White) ou scènes grivoises d’un Mercutio excentrique et androgyne (joué avec brio par Benoît McGinnis). La table est mise pour une scène du balcon audacieuse qui nous fait rire tout autant qu’elle nous émeut.
Il faut louer d’ailleurs la scénographie de Guillaume Lord dont le mur pivotant concrétise ici l’impossible rapprochement des amants. Ainsi, le dialogue célèbre est ponctué des escalades d’un Roméo acrobate qui tente de rejoindre sa Juliette, mais qui doit se résoudre à se laisse glisser sur le dos, effectuant à maintes reprises des départs ratés qui créent chez le spectateur une véritable attente comique. L’image d’un Roméo en équilibre sur ce mur oblique est emblématique d’une production se balançant astucieusement entre le comique et le tragique, sans jamais verser dans la caricature ou la parodie, qui auraient détruit l’innocence et la légèreté de ce Shakespeare de jeunesse.
Donner du sens au tragique
Est-ce le choix d’une distribution puisant dans la relève qui donne à cette production une grâce qui va au-delà d’une esthétique naturaliste ? En transposant la pièce dans l’Italie des années 30, Denoncourt a en fait réussi, par la qualité exceptionnelle des éclairages lumineux, le caractère stylisé du décor et l’élégance des costumes des Capulet, à évoquer le cinéma de Visconti. D’ailleurs, l’intertexte du cinéma italien est plus fort que le sens politique, et cela malgré la projection au début des documents d’archive de l’Italie de 1937 et les costumes des Capulet empruntant aux chemises noires.
Alors que le spectateur a tout pour faire des inférences avec son temps, où la montée de l’extrême-droite apparaît comme une menace réelle, l’allégorie ne prend pas. La scène du double meurtre de Mercutio et Tybalt qui fait basculer la comédie dans la tragédie est une scène de bagarre hautement chorégraphiée, où la violence est stylisée et magnifiquement « théâtralisée ». Elle ne nous renvoie pourtant ni à la terreur fasciste ni à l’horreur des événements tragiques de l’été meurtrier que nous vivons. Chez Roméo et Juliette, les événements ont beau avoir leur part d’arbitraire et de hasard fortuit, qui placent ces adolescents de deux familles en guerre sur le chemin l’un de l’autre pour les faire mourir dans un quiproquo absurde tenant à des lettres interceptées et une fausse mort, au bout du compte, l’idéal de deux êtres amoureux reste imperméable à toute idéologie et, ultimement, permet la réconciliation entre les deux familles.
Une tragédie finissant par avoir un sens pour le spectateur du présent qui recherche avidement et désespérément les Roméo et Juliette de ce monde.
Roméo et Juliette
Texte : William Shakespeare. Traduction : Normand Chaurette. Mise en scène : Serge Denoncourt. Avec Mikhaïl Ahooja, Marion Barot, Alex Bergeron, Nathalie Breuer, Jean-François Casabonne, Lévi Doré, Antoine Durand, Marianne Fortier, Guillaume Gauthier, Sarah Cloutier Labbé, Gabriel Lemire, Debbie Lynch-White, Jean-Moïse Martin, Benoît McGinnis, Jean-Francois Pichette, Simon Pigeon, Catherine Proulx-Lemay, Mathieu Richard, Guillaume Rodrigue, Philippe Thibault-Denis. Scénographie : Guillaume Lord. Costumes : Pierre-Guy Lapointe. Éclairages : Martin Labrecque. Musique originale : Philip Pinsky. Une production du Théâtre du Nouveau Monde et de Juste pour rire. Au TNM jusqu’au 20 août 2016.