Quelque part entre l’archéologie de la danse, l’anticolonialisme affirmé, le récit guerrier ancestral et les forces puissantes de l’immédiateté, Eszter Salomon ressuscite des danses folkloriques ritualisantes pour les confronter à notre regard interloqué.
Les Montréalais découvriront bientôt au FTA cette chorégraphe hongroise basée à Berlin, qui débarquera en ville avec son acclamé spectacle Monument 0, très remarqué au dernier Festival d’Avignon. Prenant de l’avance et profitant de son passage au Kunstenfestivaldesarts de Bruxelles, on a vu Monument 0.6, le deuxième morceau de ce qui formera une série de spectacles autour de danses guerrières et tribales pour les faire résonner brutalement dans l’ici et maintenant.
En plein air, dans une forme codifiée, mais dans un rapport très libre à l’espace et au public, ce nouveau spectacle, sous-titré Landing (a ritual of empathy), réinvente des danses anciennes de la tribu sud-américaine Mapuche, mais surtout les invite dans un espace occidental où elles furent trop souvent déconsidérées. Choc des cultures.
De Monument 0, les critiques avaient souligné la « frontalité » et le pouvoir des danses tribales qui s’élèvent « au-dessus des charniers où les peuples se sont enchevêtrés », formant « une leçon d’histoire des regards ». Ramener à nos consciences une danse oubliée et malmenée par la modernité et par l’occidentalisation galopante du monde est l’objectif évident de Salamon, mais elle a abandonné toute frontalité dans cette nouvelle offrande, pour privilégier un envahissement progressif de la danse et des chants mapuches au cœur même de la foule des spectateurs. Le plaisir de l’immersion est réel, mais il y a aussi risque de dispersion : la danse tantôt nous happe, tantôt nous échappe complètement, à mesure qu’elle s’engouffre dans une autre grappe humaine. Voilà qui est moins spectaculaire, assurément moins percutant, mais peut-être plus signifiant, du moins à une échelle conceptuelle.
Danse tribale et rituelle
Puisqu’il place le spectateur dans une position un peu passive, le plongeant dans un rituel dont il ne maîtrise pas les codes, l’invitant à observer les danseurs du coin de l’œil, bière à la main en papotant avec le voisin, ce dispositif raconte en fait davantage le rapport de l’Occident avec ces cultures anciennes et autochtones qu’il a pu écraser en se rendant progressivement propriétaires des terres du Nouveau Monde.
Le spectateur, certes bienveillant mais assurément désorienté par l’apparence de rituel qui se joue à ses côtés, est le symbole puissant d’un Occident colonisateur qui envahit un espace culturel ancestral sans pouvoir l’embrasser, le piétinant bien souvent sans toujours s’en rendre compte. Et néanmoins, comme l’indique le titre évoquant un « rituel d’empathie », le propos n’est pas strictement ou bêtement accusateur : les débuts d’une possible compréhension mutuelle entre danseurs et spectateurs se dessinent tendrement, dans la générosité des uns comme dans les regards curieux et de plus en plus respectueux des autres.
Néanmoins, quelque chose de l’essence tribale et incantatoire de ces danses mapuches et de ces tambours se perd dans l’exercice. La danse nous parvient, hélas, de manière un brin édulcorée. Davantage qu’une judicieuse rencontre entre le passé et le présent, c’est une version voilée du passé qui semble se manifester dans les pas sautillants de ces danseurs aux visages couverts de peinture jaune, verte ou bleue.
Dans cette danse dont les origines spirituelles sont indéniablement apparentes, dans le mouvement exalté du danseur qui semble chercher l’au-delà, ou dans le caractère collectiviste de cette danse exécutée en formations de 10 ou 12 danseurs se suivant toujours de près, il y a un souffle antique saisissant mais aussi une impression d’incomplétude. Les intentions anthropologiques de l’artiste ne trouvent pas ici de vraie réalisation : les danseurs reproduisent certes ce qui paraît être une danse traditionnelle mapuche, mais il manque quelque chose comme un supplément d’âme que ce contexte de représentation ne saurait restituer.
Direction artistique : Eszter Salamon. Collaboration artistique : Boglàrka Börcsök. Avec Liza Baliasnaja, Sidney Barnes, Mario Barrantes Espinoza, Boglàrka Börcsök, Péter Börcsök, Amanda Barrio Charmelo, Louis-Clement da Costa, Stefan Govaart, Sara Tan, Tiran Willemse, en collaboration avec une douzaine d’invités performeurs. Une production d’Elodie Perrin/Studio E.S. et d’Alexandra Wellensiek/Botschaft GbR. Dans la cour du centre d’art contemporain WIELS, à l’occasion du Kunstenfestivaldesarts, le 5 mai 2017.
Monument 0 sera présenté à l’Usine C, à l’occasion du Festival TransAmériques, les 30 et 31 mai 2017.
Quelque part entre l’archéologie de la danse, l’anticolonialisme affirmé, le récit guerrier ancestral et les forces puissantes de l’immédiateté, Eszter Salomon ressuscite des danses folkloriques ritualisantes pour les confronter à notre regard interloqué.
Les Montréalais découvriront bientôt au FTA cette chorégraphe hongroise basée à Berlin, qui débarquera en ville avec son acclamé spectacle Monument 0, très remarqué au dernier Festival d’Avignon. Prenant de l’avance et profitant de son passage au Kunstenfestivaldesarts de Bruxelles, on a vu Monument 0.6, le deuxième morceau de ce qui formera une série de spectacles autour de danses guerrières et tribales pour les faire résonner brutalement dans l’ici et maintenant.
En plein air, dans une forme codifiée, mais dans un rapport très libre à l’espace et au public, ce nouveau spectacle, sous-titré Landing (a ritual of empathy), réinvente des danses anciennes de la tribu sud-américaine Mapuche, mais surtout les invite dans un espace occidental où elles furent trop souvent déconsidérées. Choc des cultures.
De Monument 0, les critiques avaient souligné la « frontalité » et le pouvoir des danses tribales qui s’élèvent « au-dessus des charniers où les peuples se sont enchevêtrés », formant « une leçon d’histoire des regards ». Ramener à nos consciences une danse oubliée et malmenée par la modernité et par l’occidentalisation galopante du monde est l’objectif évident de Salamon, mais elle a abandonné toute frontalité dans cette nouvelle offrande, pour privilégier un envahissement progressif de la danse et des chants mapuches au cœur même de la foule des spectateurs. Le plaisir de l’immersion est réel, mais il y a aussi risque de dispersion : la danse tantôt nous happe, tantôt nous échappe complètement, à mesure qu’elle s’engouffre dans une autre grappe humaine. Voilà qui est moins spectaculaire, assurément moins percutant, mais peut-être plus signifiant, du moins à une échelle conceptuelle.
Danse tribale et rituelle
Puisqu’il place le spectateur dans une position un peu passive, le plongeant dans un rituel dont il ne maîtrise pas les codes, l’invitant à observer les danseurs du coin de l’œil, bière à la main en papotant avec le voisin, ce dispositif raconte en fait davantage le rapport de l’Occident avec ces cultures anciennes et autochtones qu’il a pu écraser en se rendant progressivement propriétaires des terres du Nouveau Monde.
Le spectateur, certes bienveillant mais assurément désorienté par l’apparence de rituel qui se joue à ses côtés, est le symbole puissant d’un Occident colonisateur qui envahit un espace culturel ancestral sans pouvoir l’embrasser, le piétinant bien souvent sans toujours s’en rendre compte. Et néanmoins, comme l’indique le titre évoquant un « rituel d’empathie », le propos n’est pas strictement ou bêtement accusateur : les débuts d’une possible compréhension mutuelle entre danseurs et spectateurs se dessinent tendrement, dans la générosité des uns comme dans les regards curieux et de plus en plus respectueux des autres.
Néanmoins, quelque chose de l’essence tribale et incantatoire de ces danses mapuches et de ces tambours se perd dans l’exercice. La danse nous parvient, hélas, de manière un brin édulcorée. Davantage qu’une judicieuse rencontre entre le passé et le présent, c’est une version voilée du passé qui semble se manifester dans les pas sautillants de ces danseurs aux visages couverts de peinture jaune, verte ou bleue.
Dans cette danse dont les origines spirituelles sont indéniablement apparentes, dans le mouvement exalté du danseur qui semble chercher l’au-delà, ou dans le caractère collectiviste de cette danse exécutée en formations de 10 ou 12 danseurs se suivant toujours de près, il y a un souffle antique saisissant mais aussi une impression d’incomplétude. Les intentions anthropologiques de l’artiste ne trouvent pas ici de vraie réalisation : les danseurs reproduisent certes ce qui paraît être une danse traditionnelle mapuche, mais il manque quelque chose comme un supplément d’âme que ce contexte de représentation ne saurait restituer.
Monument 0.6 : Landing (a ritual of empathy)
Direction artistique : Eszter Salamon. Collaboration artistique : Boglàrka Börcsök. Avec Liza Baliasnaja, Sidney Barnes, Mario Barrantes Espinoza, Boglàrka Börcsök, Péter Börcsök, Amanda Barrio Charmelo, Louis-Clement da Costa, Stefan Govaart, Sara Tan, Tiran Willemse, en collaboration avec une douzaine d’invités performeurs. Une production d’Elodie Perrin/Studio E.S. et d’Alexandra Wellensiek/Botschaft GbR. Dans la cour du centre d’art contemporain WIELS, à l’occasion du Kunstenfestivaldesarts, le 5 mai 2017.
Monument 0 sera présenté à l’Usine C, à l’occasion du Festival TransAmériques, les 30 et 31 mai 2017.