Critiques

Glengarry Glen Ross : Plus les temps changent…

© Laurence Hervieux-Gosselin

Voici une œuvre ayant connu le succès à sa création et qui, traduite en plusieurs langues, fut souvent reprise, y compris au Québec, avant d’être adaptée au cinéma par James Foley. À Chicago, alors que la crise sévit, des agents immobiliers à l’emploi d’une même agence se montrent prêts à toutes les manœuvres pour vendre des maisons à des « prospects », d’éventuels clients qu’on n’hésite pas à tromper pour les amener à signer de juteux contrats. La compétition s’accroît, déloyale, entre les plus âgés, qui connaissent un creux, et les jeunes qui veulent leur place. De gros sous sont en jeu, et le vol des fameux contrats déclenche une guerre interne.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que l’univers de cette pièce de David Mamet ressemble peu aux explorations thématiques observées sur nos scènes. Bien que le discours économique ait envahi toutes les sphères de notre société, on aborde peu le monde de la finance et, dans le cas présent, de la pression vécue par les agents immobiliers, qui doivent vendre à tout prix pour survivre face à la concurrence. Que des femmes incarnent cela aujourd’hui, voilà qui ajoute une certaine profondeur à la pièce écrite pour une distribution masculine, mais ce classique de 1984 aurait eu besoin d’une sérieuse cure de jouvence, que l’auteur n’a pas autorisée.

© Laurence Hervieux-Gosselin

Traitement cinématographique

L’intuition de la metteure en scène, Brigitte Poupart, de confier les personnages à des comédiennes de différentes générations, apparaît fort pertinente. En effet, les femmes ne sont-elles pas maintenant majoritaires dans ce milieu de l’immobilier? Le traitement scénique, d’inspiration cinématographique, se révèle efficace et attrayant. Les actrices évoluent dans un grand espace ouvert, bureau d’agence froid que percent quelques lueurs extérieures à travers les stores verticaux le soir, éclairé par des fluorescents le jour. Le lieu se transforme en bar chic pour quelques scènes, le tableau des meilleures vendeuses devenant un grand aquarium multicolore.

Il faut souligner l’aspect parlant des éclairages (signés Alexandre Pilon Guay), zones délimitées dans la pénombre et balayages raffinés de la scène, qui s’accordent parfaitement au son en surround (Carlos Ferreira) et aux musiques, grinçantes, tonitruantes, stridentes (de Stéphan Boucher), faisant bien sentir l’ambiance de guerre qui règne dans ce bureau où la rivalité, l’appât du gain, le mensonge et les coups bas sont le lot quotidien des protagonistes. Les micros permettent aux interprètes de jouer sans rien forcer, et au public d’être au plus près des voix.

À commencer par celle, si caractéristique, de Micheline Lanctôt, qui tient le rôle central de Shelley « La Machine » Levene, une ancienne gloire de la vente dont le succès s’est émoussé, prête à tout pour remonter dans le tableau d’honneur. Un personnage pathétique, auquel Lanctôt donne une authentique humanité. La metteure en scène a choisi le non-jeu cher à Robert Gravel comme style, ce qui ne convient pas à toutes. Louise Bombardier, dont le personnage de loser  comique se rapproche plus d’un rôle de composition, se distingue, mais le reste de la distribution paraît un peu fade. Le ton monocorde ou criard manquant de nuances, on perd un peu d’intérêt.

Mais, surtout, de nombreux détails de ce texte au vocabulaire somme toute restreint, que l’adaptation québécoise a criblé de sacres, accuse son âge : malgré la présence de quelques téléphones cellulaires, le bureau encombré de papiers, les chiffres de vente, la naïveté de certains personnages, leur langage même, ne convainquent pas. Dommage, une mise à jour plus drastique aurait sans doute eu une plus grande portée.

© Laurence Hervieux-Gosselin

Glengarry Glen Ross

Texte : David Mamet. Mise en scène et adaptation : Brigitte Poupart. Traduction : Enrica Boucher. Lumières : Alexandre Pilon-Guay. Son : Carlos Ferreira. Stylisme : Denis Gagnon et Yso. Accessoires : Carol-Anne Bourgon-Simard. Scénographie : Geneviève Lizotte. Maquillage : Josiane Lacoste. Musique : Stéphan Boucher. Avec Louise Bombardier, Marilyn Castonguay, Guillermina Kerwin, Micheline Lanctôt, Geneviève Laroche, Isabelle Miquelon et Léa Simard. Une production de Transthéâtre, présentée à l’Usine C jusqu’au 13 mai 2017.