Immergée dans la sérialité minimaliste de Steve Reich, Rain, chorégraphie célébrissime d’Anne Teresa De Keersmaeker, dévide sa partition chorégraphique de solistes joyeux. Sous des éclairages qui la dramatisent et la modulent, au gré de discrets changements de costumes, une danse rapide en tons pastels irradie. Un haut rideau de cordes, évoquant la pluie, encercle dix interprètes complices : sept femmes et trois hommes font valoir les nuances distinctes d’un mélisme féminin.
Aucune exhibition forcée du geste, du naturel dans la marche, la course, l’être ensemble et les solos. Comment ne pas admirer la phrase chorégraphique de De Keersmaeker, ses variations en légèreté, la joliesse d’une pirouette, la prestesse d’un saut et d’une chute, d’une envolée, le jeu des roulades, des œillades et des portés gracieux, instants de virtuosité ?
De prestigieuses compagnies classiques ont dansé Rain. Pure élégance en des corps experts et vibrants, ode à la vitalité personnelle, ses rythmes épousent le flot sonore. Par ses combinaisons abstraites, tout parait libre, aisé, modulé par des changements subtils, incessants, entremêlés ; tout est minutieusement exploré, répété, décidé, inscrit, calculé. Placements, expansion, contraction, flux, couleurs, tissus, coiffures, plaisir gardé intact, Rain célèbre la danse bien pensée.
Sous le signe de la répétition
Dès Fase, four movements to the music of Steve Reich, le spectacle de ses débuts en 1982, la chorégraphe a imaginé des stratégies pour intriquer corps dansant et musiciens. Pour qu’on perçoive les corps mouvants comme des sons, sur un mode de fusion, sans perdre l’impression de naturel. Pour que la danse aille en parallèle, qu’on la regarde avec la même attention qu’on écoute la musique. Que la sensation du danseur réponde à celle du musicien, puisque au Théâtre de la Monnaie et à son studio de P.A.R.T.S. (Performing Arts Research and Training Studios), elle a pu créer dans des espaces voisins. Ainsi a-t-elle poussé sa nature.
Elle a renouvelé l’alliance entre musique et danse au fil des ans. Mozart, Beethoven, Wagner, Bartok, Reich, Grisey… elle a œuvré sur des correspondances ingrates, où elle devait pratiquer, écouter, analyser partitions et structures, revoir l’anatomie dans la gravité, marcher, courir, parler, improviser, coupler la danse avec le vocabulaire musical. Il y a eu Woud, three movements to the music of Berg, Schönberg & Wagner en 1996. Puis Drumming en 1998, sur Steve Reich. De là son répertoire impressionnant, avec Rosas, sa compagnie fidèle.
Rain n’invente pas de mouvements, mais conjugue équilibres acrobatiques, portés fulgurants, roulades promptes aux liaisons et déliaisons fuligineuses. Quelle chance de revoir ces pulsations, cette grâce cohérente du singulier dans le son obsessif et la scène enveloppante.
La chorégraphe
Née près de Bruxelles d’un père fermier et d’une mère institutrice, jeune flûtiste, la chorégraphe flamande a touché tôt au répertoire musical, a connu Béjart et le ballet de Flandre. Entrée à l’école de Mudra, elle a aussi aimé le théâtre et mis en scène des opéras. La danse, son médium, lui est apparue comme la mémoire de toutes les expériences, sensuelles, sociales, émotionnelles. À cette mécanique, elle a perçu un trajet intellectuel propre, où la spiritualité rayonne.
La danse de De Keersmaeker s’est ainsi imprégnée d’âge et d’expérience. Rain communique cet indicible. Ars subtilior, partitas de Bach, sonates et concertos romantiques, nouvelles écritures abstraites, musiques baroques et anciennes, tout cela s’ancre dans la beauté formelle et abstraite que nous voyons dans Rain porter ce que nous vivons.
Chorégraphie : Anne Teresa De Keersmaeker (2001). Musique : Steve Reich. Scénographie et lumières : Jan Versweyveld. Costumes : Dries Van Noten. Une production de la compagnie Rosas présentée par Danse Danse. Au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts jusqu’au 6 mai 2017.
Immergée dans la sérialité minimaliste de Steve Reich, Rain, chorégraphie célébrissime d’Anne Teresa De Keersmaeker, dévide sa partition chorégraphique de solistes joyeux. Sous des éclairages qui la dramatisent et la modulent, au gré de discrets changements de costumes, une danse rapide en tons pastels irradie. Un haut rideau de cordes, évoquant la pluie, encercle dix interprètes complices : sept femmes et trois hommes font valoir les nuances distinctes d’un mélisme féminin.
Aucune exhibition forcée du geste, du naturel dans la marche, la course, l’être ensemble et les solos. Comment ne pas admirer la phrase chorégraphique de De Keersmaeker, ses variations en légèreté, la joliesse d’une pirouette, la prestesse d’un saut et d’une chute, d’une envolée, le jeu des roulades, des œillades et des portés gracieux, instants de virtuosité ?
De prestigieuses compagnies classiques ont dansé Rain. Pure élégance en des corps experts et vibrants, ode à la vitalité personnelle, ses rythmes épousent le flot sonore. Par ses combinaisons abstraites, tout parait libre, aisé, modulé par des changements subtils, incessants, entremêlés ; tout est minutieusement exploré, répété, décidé, inscrit, calculé. Placements, expansion, contraction, flux, couleurs, tissus, coiffures, plaisir gardé intact, Rain célèbre la danse bien pensée.
Sous le signe de la répétition
Dès Fase, four movements to the music of Steve Reich, le spectacle de ses débuts en 1982, la chorégraphe a imaginé des stratégies pour intriquer corps dansant et musiciens. Pour qu’on perçoive les corps mouvants comme des sons, sur un mode de fusion, sans perdre l’impression de naturel. Pour que la danse aille en parallèle, qu’on la regarde avec la même attention qu’on écoute la musique. Que la sensation du danseur réponde à celle du musicien, puisque au Théâtre de la Monnaie et à son studio de P.A.R.T.S. (Performing Arts Research and Training Studios), elle a pu créer dans des espaces voisins. Ainsi a-t-elle poussé sa nature.
Elle a renouvelé l’alliance entre musique et danse au fil des ans. Mozart, Beethoven, Wagner, Bartok, Reich, Grisey… elle a œuvré sur des correspondances ingrates, où elle devait pratiquer, écouter, analyser partitions et structures, revoir l’anatomie dans la gravité, marcher, courir, parler, improviser, coupler la danse avec le vocabulaire musical. Il y a eu Woud, three movements to the music of Berg, Schönberg & Wagner en 1996. Puis Drumming en 1998, sur Steve Reich. De là son répertoire impressionnant, avec Rosas, sa compagnie fidèle.
Rain n’invente pas de mouvements, mais conjugue équilibres acrobatiques, portés fulgurants, roulades promptes aux liaisons et déliaisons fuligineuses. Quelle chance de revoir ces pulsations, cette grâce cohérente du singulier dans le son obsessif et la scène enveloppante.
La chorégraphe
Née près de Bruxelles d’un père fermier et d’une mère institutrice, jeune flûtiste, la chorégraphe flamande a touché tôt au répertoire musical, a connu Béjart et le ballet de Flandre. Entrée à l’école de Mudra, elle a aussi aimé le théâtre et mis en scène des opéras. La danse, son médium, lui est apparue comme la mémoire de toutes les expériences, sensuelles, sociales, émotionnelles. À cette mécanique, elle a perçu un trajet intellectuel propre, où la spiritualité rayonne.
La danse de De Keersmaeker s’est ainsi imprégnée d’âge et d’expérience. Rain communique cet indicible. Ars subtilior, partitas de Bach, sonates et concertos romantiques, nouvelles écritures abstraites, musiques baroques et anciennes, tout cela s’ancre dans la beauté formelle et abstraite que nous voyons dans Rain porter ce que nous vivons.
Rain
Chorégraphie : Anne Teresa De Keersmaeker (2001). Musique : Steve Reich. Scénographie et lumières : Jan Versweyveld. Costumes : Dries Van Noten. Une production de la compagnie Rosas présentée par Danse Danse. Au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts jusqu’au 6 mai 2017.