Critiques

Lifeguard : Habiter le cosmos

Karolina Miernik

Benoît Lachambre est un performeur hors norme, expert et singulier. En lui, le cours du mouvement a toujours semblé saillir autrement qu’en quiconque, et dans un collectif. Depuis longtemps, il a fait jaillir crue, inondation, flambée; il a eu des sabots, des cornes, des ailes, des griffes, des plumes, des chaînes. Il rejoint maintenant le cosmos.

En plus d’incarner tout cela, il aura même dansé, dans ce spectaculaire Lifeguard présenté au FTA, avec une vadrouille, large ramasse-poussière qu’il promène avec grâce à travers le public, au sol, tels un gouvernail ou un mât, ou en l’air, frôlant les visages, tel un cerf-volant.

Karolina Miernik

Métamorphoses

C’est un sauveteur particulier. Pour casser le caractère intouchable de la danse, il entre dans la transe. Au son de A Tribe Called Red et Buffy Sainte-Marie (Working for the Government, mélange de pop, techno et musique indigène cree) ou au rythme de Tomas Furey, Lachambre se fait un roc qui crache la tempête; un cor qui hulule, feule, aboie, glapit, gémit, hennit, brame; un tronc d’où jaillit la lumière; un orgue complet : il souffle tous les vents. Son corps entier, faune massif et délié, traque l’invisibilité des phénomènes, et sa métamorphose en force de la nature entraîne le public à basculer dans son aire d’influence, à s’y laisser capturer.

Lachambre est un sorcier. D’une puissante voix gutturale, d’esprit animiste, et par des gestes invitants, il crée une dynamique flottante qui unit les participants. Sa chorégraphie est un «entre-formes», dirait le philosophe François Jullien, comme des transitions silencieuses, où l’être sort de la pensée et continue d’exister dans les cycles du vivant.

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Drôle d’oiseau

S’il y a des séquences dans cette performance ensorcelante, c’est de rythmes qu’il s’agit, de respirations, de ponctuations dansées. Pour que cet espace-temps réinventé ne quitte pas la salle, devenant ésotérique, le soliste doit revenir à zéro et s’adresser aux participants. Il a des mots simples et minimalistes pour raconter. On remarquera un oiseau de papier blanc, posé sur une colonne lumineuse.

Fluide et instinctif comme un animal, il investit à nouveau les trous entre les gens qui circulent. Dans ce troupeau, ce berger engendre sa danse. Il épuise chaque phase, signant là son humanité, ce qui fait limite. Son corps revient de très loin et se refait dans une brève pause. Échauffé, il reprend son aviron – ce balai à franges −, frayant sur sa lancée dans l’altérité non démarquée : il devient le chamane des chants martelés.

Karolina Miernik

On voit combien ses ressources formidables, disponibles au plus près de chacun, ont une portée féconde. Le public est invité à participer au chantier de la transe. À côté des célébrations de Montréal, Lachambre rend ainsi hommage aux Premières Nations.

On imagine alors que ce territoire chorégraphique transitif n’entend pas seulement ranimer l’histoire. Que la musique pourrait changer de registre, comme ces danseurs improvisés. Ce que le performeur vise gît plutôt du côté des traces, ces embrayeurs d’attachement et de satisfaction qui, par le contact entre humains nourriciers, donnent à la vie ses plus grands plaisirs. La vie psychique fourmille de ces empreintes, enfouies dans l’être ensommeillé. Lachambre réussit à les réveiller.

Lifeguard

Chorégraphie et performance : Benoît Lachambre. Musique : Tomas Furey. Une production de Par B.L.eux. À l’Édifice Wilder, à l’occasion du Festival TransAmériques, jusqu’au 1er juin 2017.