Critiques

La mort d’un commis voyageur : Classique de chez classique

© Jean-François Hamelin

Considérée par beaucoup comme l’œuvre majuscule du théâtre états-unien, La mort d’un commis voyageur raconte le destin tragique d’un père de famille de la classe moyenne dans l’Amérique des années 1950.

Nourri au rêve américain et tiraillé entre ses envies de réussite, de reconnaissance, et l’ambition démesurée qu’il nourrit pour sa descendance, Willy Loman personnifie le drame qui pourrit l’existence des petits soldats du capitalisme et de la société de consommation. Il est celui qui veut mais qui ne peut, qui s’imagine plus qu’il ne se fait. Il incarne aussi ce père qui perd le contrôle de la relation avec ses fils, coupable d’avoir voulu le meilleur pour eux, mais coupable aussi de n’avoir jamais voulu les regarder tel qu’ils sont. Rongé par ses vieux démons, Willy Loman finit par voir les pans de sa vie s’effondrer les uns après les autres.

La mort d’un commis voyageur est cette tragédie moderne, intemporelle, qui laisse place à l’imagination et à la liberté d’adaptation. Serge Denoncourt joue plutôt la carte d’un conservatisme rigoureux. Sa mise en scène semble taillée sur mesure pour les amateurs d’un théâtre sans surprise. Elle souffre de l’absence de partis pris forts et débouche sur une version prévisible, parfois ennuyeuse, qui pourrait avoir du mal à séduire les publics les moins avertis.

© Jean-François Hamelin

Parmi les choix du metteur en scène, celui d’avoir voulu reproduire à tout prix la réalité et l’esthétisme des années 1950 fige quelque peu la pièce dans une seule époque, dans une seule dimension. Sur la scène du Rideau Vert, La mort d’un commis voyageur devient alors une pièce presque naturaliste de ces années-là, privant au passage le public de la dimension universelle et éternelle du texte d’Arthur Miller.

Le plateau pourrait ressembler à certains égards à une peinture d’Edward Hopper, portraitiste des classes moyennes américaines et l’un des plus fidèles représentants du naturalisme. Seules une table et quatre chaises meublent l’espace, et laissent le champ libre au jeu des acteurs et à la mélancolie ambiante. Une grande et belle image en noir et blanc vient illuminer l’arrière-plan et donner une dimension supplémentaire au plateau. Les quelques notes de musique et les jeux de lumière réduits à leur plus simple appareil rythment le passage du réel au fantasmé, du présent au passé. Ils ne sont toutefois pas suffisamment singuliers pour apporter une vraie signature à la représentation.

En dépit d’une distribution prometteuse, les acteurs peinent à donner la pleine mesure de leur talent. Au premier rang desquels Marc Messier, qui, pour la première fois dans un emploi dramatique d’envergure, ne paraît pas tout à fait à l’aise dans son nouveau costume. Si Louise Turcot émeut dans le rôle de la mère dévouée, désabusée et impuissante, difficile en revanche d’être convaincu par la prestation d’Éric Bruneau dans le celui de Biff, le fils prodigue qui vit toujours chez ses parents et qui finit par tenir tête à son père. Dans la peau du deuxième fils, Happy, Mikhaïl Ahooja a trouvé un ton plus juste.

Le tout donne l’impression d’être un peu surjoué, le réalisme laissant sa place à un style de jeu faussement naturel. Les directions données par le metteur en scène semblent un peu floues, et l’ensemble s’en ressent terriblement.

© Jean-François Hamelin

La mort d’un commis voyageur

Texte: Arthur Miller. Traduction et mise en scène: Serge Denoncourt. Accessoires: Julie Measroch. Costumes: Ginette Noiseux. Scénographie: Guillaume Lord. Éclairages: Erwann Bernard. Maquillages et coiffures: Amélie Bruneau-Longpré. Musique: Laurier Rajotte. Perruques: Rachel Tremblay. Avec Marc Messier, Mikhaïl Ahooja, Marilyse Bourke, Éric Bruneau, Sarah Cloutier-Labbé, Charles-Alexandre Dubé, Aude Lachapelle, Robert Lalonde, Jean-Moïse Martin, Mathieu Richard, Manuel Tadros et Louise Turcot. Au Théâtre du Rideau Vert jusqu’au 11 novembre 2017, puis en tournée au Québec du 10 janvier au 3 février 2018.

Mathieu Carbasse

À propos de

Journaliste touche-à-tout, il se passionne pour le spectacle vivant, notamment le théâtre, depuis une dizaine d’années.