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Georges Molnar (1940-2017)

Yves Dubé

Le comédien Georges Molnar est décédé le 17 octobre dernier. Pour lui rendre hommage, nous reproduisons ici un portrait paru dans Jeu 102 en 2002 : Le vieil homme et la scène par Christian Saint-Pierre.

Chaque spectateur garde en lui le souvenir de cet acteur à la présence scénique sans pareil. Que ce soit le vieil homme à quatre pattes des Âmes mortes, le passif de La Paresse créée par François Girard, le père endeuillé de Mr. Lear ou encore le vieillard acrobatique de Silence et cris, dernière création de Carbone 14, les rôles interprétés par Georges Molnar sont généralement tout en nuances et laissent un souvenir indélébile de fureur et d’engagement. Auréolées de mystère, ces compositions sont toujours troublantes, chargées de zones d’ombre et d’intériorité.

Georges Molnar est né à Budapest, en Hongrie, en 1940. Il a étudié le mime avec Etienne Decroux et travaillé avec lui à Paris pendant plusieurs années à titre d’assistant; il a également enseigné à son école entre 1972 et 1975. De cette rencontre décisive avec le maître lui provient l’assise même de son travail d’acteur et d’éducateur. À Montréal, il poursuivra l’apprentissage de son art avec Michel Poletti et enseignera à l’UQAM ainsi qu’à l’École nationale de théâtre. Invité depuis à donner des séminaires sur la méthode Decroux un peu partout à travers le monde, Molnar est, au Québec, un des plus importants porteurs du savoir du célèbre mime.

C’est vers la fin des années 1970 que Molnar se joint à la troupe de Gilles Maheu, les Enfants du Paradis, qui deviendra Carbone 14 en 1981. Les années 1980 le verront plutôt travailler à des projets personnels au sein de ses propres compagnies: le Théâtre à l’Oblique et le Théâtre de l’EntreCorps (co-fondé par Molnar en 1977-1978). À partir de 1996, il joue dans les spectacles de Carbone 14: Les Âmes mortes, d’abord, puis L’Hiver/Winterland (1998) et Silence et cris (2001).

En 1999, l’acteur fait beaucoup parler de lui en participant au Musée d’art contemporain de Montréal à une installation intitulée La Paresse (voir le compte rendu de Guylaine Massoutre, « Ce n’était pas un hologramme! », paru dans Jeu 94 en 2000). Cette performance du cinéaste et metteur en scène François Girard obtiendra un très bon accueil de la part des médias comme des visiteurs. Seul dans une grande salle, le vieil homme « paresseux » incarné par Molnar est observé par les spectateurs à travers une vitre encadrée, où son image est également projetée. Cette surimpression des facettes du personnage fait de lui l’élément central de la composition d’un tableau vivant.

Presque nu dans cette lumière mystérieuse, ses cheveux blancs si longs qu’ils jonchent le sol, rejoignant le squelette d’une bête qui sera morte dans l’attente, Molnar a passé pendant un mois et demi quelque 345 heures dans ce tableau exprimant l’état de paresse. L’acteur a fait preuve de beaucoup d’audace en acceptant de participer à ce projet. Comme l’audace ne lui manque surtout pas, il a même pris plaisir à cette aventure. C’est que le vieillard de cette œuvre vivante, semblant attendre la mort, ne fait pas qu’être l’objet du regard: il observe également et ira jusqu’à interagir, toujours dans cette lenteur qui donne le ton, avec les visiteurs qui s’intéresseront vraiment à lui. Comme l’acteur le dit lui-même, s’il n’est pas devenu fou, c’est qu’il l’était déjà bien avant : « Pas une personne normale aurait accepté de faire ça. » (ces propos proviennent d’un article de Stéphanie Bérubé, « Des nouvelles de Georges », paru dans La Presse en 1999).

Dans Mr. Lear, présenté en 2001 au Studio de l’Usine C, Molnar semble renouer avec sa création personnelle. Présenté par sa propre compagnie, le Théâtre à l’Oblique, Mr. Lear est le fruit d’une collaboration entre Molnar et l’un de ses anciens élèves, John Sipes, qui a étudié le mime avec lui, à Paris, il y a plus de 25 ans. Les deux acteurs s’étant retrouvés à Montréal lors d’une conférence sur le mime organisée par Jean Asselin, Sipes a proposé à son ancien professeur d’élaborer avec lui une adaptation en mouvement de King Lear. Un véritable spectacle-atelier, guidé par le risque et l’expérimentation. Ce Mr. Lear nous aura donné l’occasion de constater encore une fois – ailleurs que chez Omnibus – que le mime parvient à rendre ou à accompagner les émotions d’un personnage parfois bien mieux que la parole.

Georges Molnar est en train, petit à petit, d’accumuler un bagage d’expériences théâtrales des plus riches. En refusant toujours d’entrer dans un cycle de production qui ne lui conviendrait pas et en privilégiant les collaborations susceptibles de faire évoluer son art du mouvement, il poursuit une démarche sous le signe de l’authenticité et de l’originalité.