La vie de Jaquelin Belenfant est un enchevêtrement de situations où se concentrent les forces du mal en une tragi-comédie tordue. Un chapelet de catastrophes personnelles le pousse à quitter son village abitibien pour refaire sa vie à Montréal. Après le suicide de sa femme lors d’une tournée en Europe, sa faillite personnelle, l’incendie de son bureau, la mort de son père adoptif et l’internement de sa mère – et ceci n’est que le début! –, il abandonne la comptabilité et tente sa chance dans la grande ville comme professeur de piano.
Tout en racontant son destin de victime patentée, la nouvelle vie de Jaquelin s’annonce encore pire, si bien qu’il lui faudra convenir que son karma le poursuit au-delà de la réserve faunique la Vérendrye. Des personnages paroxystiques débarquent dans sa vie et tracent une courbe ascendante d’événements improbables qui ne peuvent que se résoudre dans un enfer déchaîné: le policier cocaïnomane, l’amante survoltée, la carnassière madame Dubois qui instrumentalise son enfant-tronc pour faire fortune, l’ami d’enfance dont on devine l’inconfort, l’ambulancier homosexuel en quête de chair fraîche…
De l’imbroglio jusqu’à l’absurde
On se croirait au départ dans une pièce de salle paroissiale qui annonce une pénible soirée. Le rythme n’y est pas et le jeu des comédiens sonne faux. Mais le décor naturaliste, avec fauteuil central et murs percés de portes sur trois côtés, annonce d’emblée une sitcom qui en bout de course atteindra son but. Progressivement, on sent que les comédiens trouvent leur rythme et parviennent à s’approprier leur personnage.
Du livreur de pizza (très crédible Olivier Arteau) au policier voisin de palier (imposant Pierre-Antoine Pellerin) en passant par l’amante éconduite (délirante Nathalie Séguin) et la méchante madame Dubois (Marie-Ève Bérubé), tous caractériels et parfois hystériques poussant la gueulante pour terrasser leurs interlocuteurs, les comédiens s’appuient enfin les uns sur les autres pour donner corps à cette toile d’araignée qui se referme inexorablement sur Belenfant (excellent Nicolas Centeno, qui sue toute l’eau de son corps), victime impuissante de ce drame surhumain. Il a beau se débattre, son volontarisme et sa détermination ne viendront pas à bout de son tragique destin.
Dans le nouvel appartement dont Jaquelin a pris possession le matin même, les situations se bousculent, se font et se défont en une chaîne de nœuds et de dénouements qui jamais ne sont une solution. L’écheveau se dénoue par à-coups et finit par livrer de terribles secrets en une parodie qui nous rappelle Mouawad et Lepage, familiers des imbroglios familiaux et généalogiques. Mais l’accumulation des contretemps, en une frénésie maintenant bien contrôlée, atteint le paroxysme de l’absurde qui nous emporte dans un rire libérateur.
Le jeu excessif, les erreurs syntaxiques, les postures non assumées, tout cela porte la marque d’un théâtre de débutants, mais s’avère voulu et participe à faire basculer le drame vers une parodie sociohystérique. La scène finale, qu’on croirait être la conclusion d’un destin tragique, ouvre encore une petite porte sur l’impasse de Belenfant quant à son avenir. Avec cet Abadou qu’on ne voit jamais, Hilaire St-Laurent Sénécal aborde la question du racisme au quotidien. Ainsi, le concierge et madame Dubois transportent leur racisme sur Jaquelin, condamné avant même d’avoir ouvert la bouche.
En supposant un resserrement dans la mécanique du jeu, Abadou veut jouer du piano deviendra une comédie populaire où le spectateur, après avoir laissé son esprit critique au vestiaire, pourra apprécier les bienfaits d’une comédie sans prétention.
Texte et mise en scène: Hilaire St-Laurent Sénécal. Conseiller en dramaturgie: Maxime Champagne. Conception: Antonin Gougeon, Émily Vallée-Night et Claudelle Houde Labrecque. Avec Olivier Arteau, Marie-Ève Bérubé, Nicolas Centeno, Mathieu Grignon, Maxim Paré-Fortin, Pierre-Antoine Pellerin, Nathalie Séguin et Dayne Simard. Une production de Détour Nazareth. À Premier Acte jusqu’au 25 novembre 2017.
La vie de Jaquelin Belenfant est un enchevêtrement de situations où se concentrent les forces du mal en une tragi-comédie tordue. Un chapelet de catastrophes personnelles le pousse à quitter son village abitibien pour refaire sa vie à Montréal. Après le suicide de sa femme lors d’une tournée en Europe, sa faillite personnelle, l’incendie de son bureau, la mort de son père adoptif et l’internement de sa mère – et ceci n’est que le début! –, il abandonne la comptabilité et tente sa chance dans la grande ville comme professeur de piano.
Tout en racontant son destin de victime patentée, la nouvelle vie de Jaquelin s’annonce encore pire, si bien qu’il lui faudra convenir que son karma le poursuit au-delà de la réserve faunique la Vérendrye. Des personnages paroxystiques débarquent dans sa vie et tracent une courbe ascendante d’événements improbables qui ne peuvent que se résoudre dans un enfer déchaîné: le policier cocaïnomane, l’amante survoltée, la carnassière madame Dubois qui instrumentalise son enfant-tronc pour faire fortune, l’ami d’enfance dont on devine l’inconfort, l’ambulancier homosexuel en quête de chair fraîche…
De l’imbroglio jusqu’à l’absurde
On se croirait au départ dans une pièce de salle paroissiale qui annonce une pénible soirée. Le rythme n’y est pas et le jeu des comédiens sonne faux. Mais le décor naturaliste, avec fauteuil central et murs percés de portes sur trois côtés, annonce d’emblée une sitcom qui en bout de course atteindra son but. Progressivement, on sent que les comédiens trouvent leur rythme et parviennent à s’approprier leur personnage.
Du livreur de pizza (très crédible Olivier Arteau) au policier voisin de palier (imposant Pierre-Antoine Pellerin) en passant par l’amante éconduite (délirante Nathalie Séguin) et la méchante madame Dubois (Marie-Ève Bérubé), tous caractériels et parfois hystériques poussant la gueulante pour terrasser leurs interlocuteurs, les comédiens s’appuient enfin les uns sur les autres pour donner corps à cette toile d’araignée qui se referme inexorablement sur Belenfant (excellent Nicolas Centeno, qui sue toute l’eau de son corps), victime impuissante de ce drame surhumain. Il a beau se débattre, son volontarisme et sa détermination ne viendront pas à bout de son tragique destin.
Dans le nouvel appartement dont Jaquelin a pris possession le matin même, les situations se bousculent, se font et se défont en une chaîne de nœuds et de dénouements qui jamais ne sont une solution. L’écheveau se dénoue par à-coups et finit par livrer de terribles secrets en une parodie qui nous rappelle Mouawad et Lepage, familiers des imbroglios familiaux et généalogiques. Mais l’accumulation des contretemps, en une frénésie maintenant bien contrôlée, atteint le paroxysme de l’absurde qui nous emporte dans un rire libérateur.
Le jeu excessif, les erreurs syntaxiques, les postures non assumées, tout cela porte la marque d’un théâtre de débutants, mais s’avère voulu et participe à faire basculer le drame vers une parodie sociohystérique. La scène finale, qu’on croirait être la conclusion d’un destin tragique, ouvre encore une petite porte sur l’impasse de Belenfant quant à son avenir. Avec cet Abadou qu’on ne voit jamais, Hilaire St-Laurent Sénécal aborde la question du racisme au quotidien. Ainsi, le concierge et madame Dubois transportent leur racisme sur Jaquelin, condamné avant même d’avoir ouvert la bouche.
En supposant un resserrement dans la mécanique du jeu, Abadou veut jouer du piano deviendra une comédie populaire où le spectateur, après avoir laissé son esprit critique au vestiaire, pourra apprécier les bienfaits d’une comédie sans prétention.
Abadou veut jouer du piano
Texte et mise en scène: Hilaire St-Laurent Sénécal. Conseiller en dramaturgie: Maxime Champagne. Conception: Antonin Gougeon, Émily Vallée-Night et Claudelle Houde Labrecque. Avec Olivier Arteau, Marie-Ève Bérubé, Nicolas Centeno, Mathieu Grignon, Maxim Paré-Fortin, Pierre-Antoine Pellerin, Nathalie Séguin et Dayne Simard. Une production de Détour Nazareth. À Premier Acte jusqu’au 25 novembre 2017.